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« Monzami » : quand la maladie s’invite à nouveau (16)

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Image par Ilo de Pixabay

Il est vrai que grand-père avait fait le bonheur de nombreux pauvres de la région, en ces temps de splendeur où il exerçait le noble métier de boucher au marché de Larbaâ. Il ne s’était arrêté de travailler que quand ses pieds ne lui permettaient plus de marcher les quelques kilomètres qui séparent le village de la ville. L’unique retraite c’est le relai que prend son fils pour subvenir aux besoins de tous.

Le premier investissement des Kabyles consiste à faire autant d’enfants que possible pour assurer la relève. C’est pour cela que, dans chaque famille, on souhaite la venue d’un garçon en aîné. Une fille en premier est souvent considérée comme un mauvais présage. On invoque tous les Saints pour que cela n’arrive pas.

« Monzami » : Dehbia (15)

L’été tire à sa fin, les provisions de figues, de semoule et d’huile aussi. Et pour ne rien arranger, les poules se font vieilles. Elles ne pondent plus comme avant. Nous sommes au mois de septembre, et toujours pas de mandat. Chaque jour, c’est le même rituel. Elle envoie Ali, en fin d’après-midi, demander à tonton Ahmed s’il avait été consulter le courrier chez le boulanger de Larbaâ, lequel faisait office de boîtes aux lettres pour tous les villages avoisinants. Il faut dire qu’en ces temps-là, le seul courrier que l’on recevait était celui envoyé par les émigrés, essentiellement des mandats que l’on retirait à la poste, juste en face du boulanger. Et chaque jour, c’est la désillusion. Dehbia se perd en conjectures. Depuis qu’il est parti, Hocine n’a envoyé qu’une seule lettre pour dire qu’il allait bien et qu’il ne fallait pas s’inquiéter.

« Monzami » : virée au marché (14)

C’est la seule trace de son séjour en France. Souvent, en cachette, notre femme délaissée prend l’enveloppe et retire la feuille de papier – elle qui ne sait pas lire – juste pour la respirer et la toucher, la caresser. De temps à autre, elle décroche sa photo accolée au miroir. Un geste naïf qui lui donne la sensation de se rapprocher de ce mari lointain. Parfois, elle y déposait un baiser de tendresse. C’est son unique univers d’intimité avec son bien-aimé.

Les journées s’égrènent au ralenti. Les mois et les années défilent à leur tour, le petit Omar a bien grandi. Ali et Amar sont déjà adolescents. Le quotidien est encore plus rude… De temps à autre, la maman lui ramène quelques légumes de son potager et des pissenlits pour faire du bon aḥlouid (sorte de soupe épaisse aux herbes, essentiellement des pissenlits, et des épinards sauvages parfumés à la menthe) ou du couscous aux légumes avec du petit lait ou du lait caillé. Les enfants en raffolent.

« Monzami » : et pour quelques tapis de plus (13)

Mais ce qui consomme le plus le temps de Dehbia, c’est le petit dernier. À quatre ans, Omar gigote dans tous les sens. Depuis que grand-mère est alitée, personne d’autre que sa maman ne s’occupe de lui. Quand il était plus petit, les seuls moments où il ne faisait pas de bêtises, c’était lorsqu’il se retrouvait à califourchon sur le dos de sa mère. Il adorait la voir s’adonner à toutes sortes de besognes pendant qu’il est bien accroché dans les airs.

Un jour, Omar se réveille avec une forte fièvre… (à suivre)

Kacem Madani

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