Le gouvernement d’Élisabeth Borne fait face ce lundi 24 octobre à l’Assemblée nationale à deux motions de censure. L’une déposée par la Nupes, l’alliance de gauche, et l’autre par le Rassemblement national.
La semaine dernière, la Première ministre a dégainé deux fois le 49-3 pour faire passer le premier volet du budget de l’État et la partie recettes du budget de la Sécu. Pour évoquer le climat politique actuel, entretien avec Jean-Christophe Gallien, politologue et communicant, enseignant à l’Université de Paris la Sorbonne, président de l’atelier de communication et d’influence JCGA.
RFI : Est-ce que l’on est en train de vivre ce qui va devenir la norme de ce deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron : des passages en force et des motions de censure ?
Jean-Christophe Gallien : On a effectivement l’illustration d’un contexte où deux majorités sont en train de tenter d’organiser leurs relations. La majorité parlementaire qui reconnaît une majorité relative et d’un autre côté, la majorité qui est, pour elle, la majorité présidentielle. Cette « majorité présidentielle » organise une forme de domination malgré tout dans le système constitutionnel français.
On a un rapport de force qui se met en place aussi avec des oppositions qui, elles, sont théoriquement majoritaires à l’Assemblée nationale, mais qui font face à une responsabilité d’alliances si elles veulent dans leur désaccord avec le gouvernement tenter de le faire tomber. C’est ce que permet la motion de censure. Et d’un autre côté, il y a un gouvernement qui lui a une arme qui est celle de passer en force. Cette arme a été contrôlée depuis le mois de juillet 2008 : on peut le faire sans limite à l’intérieur de la procédure budgétaire ou celle concernant le budget de la sécurité sociale, et de l’autre côté, par contre, à l’intérieur d’une question parlementaire, le faire qu’une fois.
Donc, on est dans ce rapport de force qui ramène la vie politique à quelque chose qui ressemble à une conversation simplement politique autour de techniques, de relations d’oppositions, d’influences, et qui oublie effectivement un petit peu le fond des choses. Voilà dans quel contexte on est aujourd’hui. D’un côté, oui, il faut garder la majorité relative unie, de l’autre côté les oppositions tentent de s’allier. Mais en même temps, on voit bien que c’est difficile de le faire, on n’y arrive pas.
Pour rester sur la séquence du jour, on sait que le gouvernement ne tombera pas, parce que les oppositions ne vont pas réussir à s’unir ?
Exactement. C’est toute la difficulté de la motion de censure. Dans l’histoire constitutionnelle du pays, ce n’est arrivé qu’une fois qu’elle réussisse à faire tomber un gouvernement. Là, en l’occurrence, on a des désaccords. Certains diront ne pas pouvoir travailler, qu’on ne les laisse pas discuter du fond, on passe en force et nous, on a besoin de réagir. Et de l’autre côté, le gouvernement dit : « Non, vous faites de la guérilla, des amendements, on n’est pas sur le fond non plus ».
La réalité, c’est que c’est très difficile pour les oppositions, même avec une majorité relative, de s’installer dans un processus de rapports équilibrés avec un gouvernement parce qu’il faudrait qu’elles s’allient dans le moment fort qui est la procédure budgétaire…. Or, elles sont même plurielles, on le voit bien, et elles ne veulent même pas entendre parler d’un vote d’une motion de censure qui n’émanerait pas de leur propre groupe.
C’est un moment de vérité aussi pour les oppositions et c’est un moment de vérité qui montre aussi leur difficulté à exister concrètement dans ce contexte-là.
Dans un entretien au JDD, l’ancien président Nicolas Sarkozy a suggéré à Emmanuel Macron de se tourner vers la droite, c’est-à-dire de conclure un accord politique avec Les Républicains pour dégager une majorité qui deviendrait absolue à l’Assemblée nationale. Est-ce que c’est vraiment une option ?
C’est une option déclarée par certains dès le début…
Sur le papier, ça marcherait. Mais sur le papier…
Exactement. Mais sur le papier, il faut garantir un certain nombre de députés qui sont susceptibles d’y participer. On le voit bien cette fois-ci d’ailleurs. Ce n’est pas qu’ils s’associent au gouvernement. En tout cas, ils refusent de voter l’attaque qui est faite par deux autres groupes d’opposition importants. Est-ce que Nicolas Sarkozy, qu’il est en mission ? Est-ce qu’il est dans quelque chose qui vise à stabiliser un régime dont on voit bien les difficultés ? Là, aussi, on vit un moment politique particulier.
La procédure budgétaire est un moment très important. Mais le gouvernement a surtout des difficultés sur les sessions parlementaires où il n’y a plus maintenant qu’une capacité seulement pour un texte de loi par session de passer en force, alors qu’avant c’était possible tout le temps. Donc, c’est un moment, encore une fois, charnière parce que c’est là que vont se révéler ou pas d’ailleurs les attitudes politiques en vue justement de cette association.
Est-ce que c’est une association, un contrat qui serait pour toute la mandature ? Est-ce que c’est un contrat à durée déterminée par périodes ou par séquences ? C’est assez intéressant, et on verra d’ailleurs comment réagira le parti lui-même, parce que Nicolas Sarkozy n’est qu’un élément…
… extérieur.
Exactement. On l’a vu pendant l’élection présidentielle. Il a plutôt soutenu Emmanuel Macron que le candidat de son propre parti. En l’occurrence, c’est un vrai sujet, c’est un défi aussi pour Les Républicains parce que, ce faisant, ils risquent évidemment, non pas de se noyer, mais en tout cas de se perdre dans un espace qui leur rendra difficile une singularité qui est celle de l’après-Macron.
Est-ce que cela peut tenir cinq ans comme ça ?
Cela va être difficile. D’ailleurs, Emmanuel Macron lui-même l’a dit. Il a dit : « On aura des moments où on passera en force. Et si ce passage en force est refusé… »
… je siffle la fin de la partie et je dissous !
Exactement, parce que sa deuxième arme, c’est celle de la dissolution. C’est vrai qu’on estime dans son environnement, effectivement, que c’est quelque chose qu‘il a pris en compte. Est-ce que ce sera l’année prochaine ou les années suivantes ? On verra. Tout dépendra en fait de cette scénarisation à l’œuvre.
Le 49.3, l’article le plus connu de la Constitution
Le 49.3 fait référence à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de la Ve République, qui permet au « Premier ministre, après délibération du conseil des ministres » d’engager « la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale ». Le Premier ministre peut recourir à ce dispositif également pour un autre projet de loi mais uniquement une fois par session parlementaire, ce qui limite son usage. Le projet est ensuite considéré comme adopté, « sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent ».
En dégainant le 49.3, le gouvernement risque une motion de censure : les députés doivent la déposer dans les 24h, signée par 58 d’entre eux. Le texte est ensuite discuté en séance dans les 48h. Si la motion de censure ne parvient pas à obtenir la majorité absolue, fixée à 289 votes, le texte du gouvernement est adopté sans vote. Si la motion de censure est adoptée, elle entraîne la démission du Premier ministre et de son gouvernement. Plus de 100 motions de censure ont été déposées depuis 1958, rappelle l’Agence France presse, mais seule une a abouti, en 1962, faisant chuter le gouvernement de Georges Pompidou.
RFI