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Moussa Dienne : « Certes le pouvoir impressionne, mais l’homme qui le porte reste vulnérable »

Moussa Dienne

Moussa Dienne. Crédit photo : Le Matin d'Algérie

Alors que La fièvre du Troisième mandat Éditions l’harmattan 2022 continue de susciter débats et réflexions, Moussa Dienne a accepté de répondre aux questions du Matin d’Algérie. Dans ce roman incisif, il analyse les risques d’un pouvoir tenté par un troisième mandat et les fractures qu’une ambition sans limites peut provoquer au sein d’une nation. À travers une fiction nourrie de réalités politiques contemporaines, l’écrivain met en lumière le rôle déterminant de la jeunesse et de la société civile, tout en interpellant dirigeants et citoyens sur l’importance de l’éthique, de la vigilance et de l’engagement citoyen.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire un roman sur les dérives d’un pouvoir poussé à briguer un troisième mandat ?

Moussa Dienne : Ce qui m’a vraiment inspiré c’est la récurrence des problèmes politiques découlant du non-respect des dispositions constitutionnelles limitant le nombre de mandats présidentiels. L’histoire politique récente montre que la tentation du pouvoir sans limites engendre presque toujours des fractures profondes, des manifestations destructrices, des violences latentes et une désillusion quasi-collective. Au Sénégal, la politique est omniprésente dans les conversations et les médias. En tant qu’écrivain, il m’a semblé opportun de transformer cette préoccupation populaire en matière romanesque, afin de montrer comment l’ambition personnelle débridée peut mettre en péril l’équilibre d’une nation.

Le Matin d’Algérie : Pourquoi avoir choisi le ton satirique et ironique pour traiter de thèmes aussi sérieux que la corruption et la manipulation politique ?

Moussa Dienne : Je ne dirai pas que le ton est satirique au sens classique du terme. Il est parfois ironique, certes, mais avant tout descriptif et percutant. Mon objectif n’était pas de tourner les faits en dérision, mais de les exposer avec une lucidité parfois tranchante, afin de laisser au lecteur le soin d’en mesurer la gravité. Les thèmes abordés appellent à la réflexion, à la prise de conscience et non au rire.

Le Matin d’Algérie : La métaphore du « géant aux pieds d’argile » traverse tout le roman. Que voulait-elle symboliser pour vous ?

Moussa Dienne : Cette métaphore symbolise le décalage entre l’image du pouvoir et sa réalité. Le chef de l’Etat est perçu comme un géant, alors qu’il est en permanence contenu par la loi, dépendant de forces extérieures qu’il ne maîtrise pas, et limité par sa propre humanité appartenant à une famille, un clan… Certes le pouvoir impressionne, mais l’homme qui le porte reste vulnérable.

Le Matin d’Algérie : Kondéfa Sissi et Jeynah Amer incarnent deux facettes du pouvoir. Comment avez-vous construit ces personnages pour refléter la réalité politique ?

Moussa Dienne : Ces personnages sont nés d’une observation de la vie politique africaine contemporaine. Kondéfa et Jeynah ne renvoient pas à des individus précis, mais à des logiques de pouvoir bien réelles. Ils incarnent deux manières de concevoir la puissance, deux tempéraments et deux niveaux d’ambition que l’on trouve dans de nombreux couples présidentiels. Je n’ai pas inventé ces personnages, je les ai observés puis fondus dans la fiction pour en faire des archétypes.

Le Matin d’Algérie : La jeunesse et la société civile jouent un rôle central dans votre récit. Que représentent-elles selon vous pour l’avenir de votre pays et de la région ?

Moussa Dienne : La société civile est indispensable pour équilibrer le pouvoir : elle observe, interpelle, dissuade, explique, propose et sensibilise. La jeunesse, elle, est une force décisive, capable du meilleur comme du pire. Sans une bonne formation politique et citoyenne, elle peut être séduite par des discours simplistes et porter au pouvoir des leaders populistes ou autoritaires. Le roman interroge précisément à propos de cette responsabilité collective.

Le Matin d’Algérie : Les pressions internes et externes pour un troisième mandat évoquent des situations que beaucoup connaissent. Est-ce une fiction pure ou un commentaire sur des réalités vécues ?

Moussa Dienne : C’est une fiction par ses noms et ses lieux, mais un récit profondément ancré dans le réel par ce qu’il donne à voir. Les scénarios et les personnages sont inventés, mais les situations qu’ils traversent renvoient à des réalités politiques et sociales vécues dans de nombreux contextes. C’est donc une fiction construite sur des réalités.

Le Matin d’Algérie : Votre roman dénonce les abus de pouvoir et la corruption. Quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs à ce sujet ?

Moussa Dienne : Le roman rappelle que le pouvoir n’est ni un privilège ni une propriété, mais une responsabilité. Il interpelle les dirigeants sur le respect des lois et des serments, et met en garde les électeurs contre la passivité et la fascination pour les discours mielleux. La démocratie ne survit que par l’exigence morale de ceux qui gouvernent et la vigilance de ceux qui choisissent.

Le Matin d’Algérie : Vous insistez sur la responsabilité citoyenne et l’éthique. Pensez-vous que les citoyens peuvent réellement changer le cours d’un pouvoir corrompu ?

Moussa Dienne : Si. Vous touchez une des fragilités de la démocratie du suffrage universel. Même par le vote, les citoyens peuvent changer le cours d’un pouvoir politique, on se demandera toujours pour le remplacer par qui ou par quoi ? Dans beaucoup de pays, il y a régulièrement des alternances politiques, mais dans bien des cas, il s’agit tout simplement d’un changement d’hommes et non de vision et de pratiques. Un jeu de chaise musicale. J’ai la conviction que, pour un véritable changement, il faudra que les électeurs soient mieux éduqués et mieux conscients des enjeux politiques, afin d’être capables de faire de bons choix.

Le Matin d’Algérie : La tension entre ambition personnelle et devoir public est forte dans votre récit. Pourquoi ce dilemme est-il si central selon vous ?

Moussa Dienne : Cette tension, due à la prédominance des intérêts particuliers, est permanente dans nos sociétés. Même au niveau de la religion, l’intérêt matériel ou sensuel se heurte aux exigences du devoir d’adoration. La corruption, l’escroquerie, le mensonge, les détournements de fonds publics, le népotisme… tous ces vices relèvent de la prédominance des ambitions personnelles sur le devoir de servir la république en toute impartialité et en toute responsabilité.

Le Matin d’Algérie : Quels enseignements humains voulez-vous que les lecteurs retiennent : courage, solidarité, vigilance… ?

Moussa Dienne : La vigilance surtout face aux hommes et manœuvres politiques. Je peux y ajouter la prééminence de l’analyse critique avant et au cours de tout engagement sociopolitique.

Le Matin d’Algérie : Selon vous, quel rôle la littérature peut-elle jouer pour éveiller les consciences face aux dérives politiques ?

Moussa Dienne : La littérature doit cesser d’être uniquement vulgarisatrice d’un passé ou des us et coutumes, contemplative de traits culturels, pour devenir une littérature d’engagement et de transformation. J’ai écrit un manifeste sur le sujet. En cela, elle contribuera à l’éveil idéologique et politique des masses, à commencer par les élèves et les étudiants qui formeront l’élite intellectuelle et les leaders politiques.

Le Matin d’Algérie : Enfin, croyez-vous que votre roman peut inspirer un engagement concret des jeunes et de la société civile dans la vie politique et sociale de leur pays ?

Moussa Dienne : Oui. Non seulement un engagement dans la vie politique, mais aussi dans toutes les préoccupations sociales majeures, y compris la religion et son organisation.

Entretien réalisé par Djamal Guettala 

Biographie 

Moussa Dienne est maître coranique au daara Nasroudine de Dienné, au centre du Sénégal. Il est l’auteur de L’Islamisme en deux tomes (essai, mai 2014) et de Tout sauf le caleçon (roman, mai 2019), tous parus chez L’Harmattan. Collection : Harmattan Sénégal
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