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Moussa Lebkiri ou la magie des mots

Moussa Lebkiri
Crédit photo : Moussa Lebkiri

Moussa Lebkiri, l’enfant des Aït Chebana, cette belle Kabylie profonde, est un comédien, humoriste, conteur, écrivain, metteur en scène. Un artiste accompli.

Pour Moussa Lebkiri l’art est une éthique. Une manière de vivre. Il a d’ailleurs fait de l’art sa raison d’être, il n’a pas cessé durant de longues années de sillonner les routes en véritable saltimbanque en participant à des festivals en France et à l’étranger sans jamais se fatiguer, toujours en s’émerveillant et en émerveillant, en ayant à l’esprit la transmission, avec toujours cette volonté de vouloir former et lancer la nouvelle génération.

Moussa Lebkiri crée en 2011 le Café Bavard au café de Paris, une scène ouverte à la découverte de nouveaux talents, le succès est grandissant depuis.

Le Matin d’Algérie : Vous avez fêté le dimanche 5 novembre vos 40 ans de carrière au café littéraire parisien de l’Impondérable, invité de l’écrivain Youcef Zirem où vous avez émerveillé le public, pouvez-vous nous parler de cette belle rencontre

Moussa Lebkiri : Officiellement j’ai fêté mes 40 ans de carrière en 2016. J’ai un public qui me suit fidèlement dans mes spectacles, tout comme à mes Café Bavard et dernièrement au Café Littéraire de l’Impondérable. Dans ce genre de lieu populaire, ou souvent le bruit des verres trinquent avec le public, c’est une gageure que de s’y produire, il faut avoir assez de métier pour capter l’attention de l’auditoire. Pour ma part le challenge a été relevé.  Je viens de cette école de l’inconfort où il faut savoir recréer à chaque fois la magie du verbe. Je me complais à dire que ma formation théâtrale, je la dois à la plus grande école, celle de la rue dont le public jusqu’à aujourd’hui reste mon réfèrent professeur.

Le Matin d’Algérie : Vous paraissez infatigable, qu’est-ce qui vous insuffle cette force ?

Moussa Lebkiri :  Infatigable ? oui mon carburant, je le puise dans l’ART et tant que je peux faire le plein, je roule. Mon engouement pour l’art est comparable au jardinier qui cultive son jardin, au cuisinier qui mijote ses plats… tout ce qui est création transcende une banalité en une chose sublimée. Le théâtre pour moi est générateur d’énergie, c’est mon jogging. Faire rire et émouvoir le public est ma récompense, ravi de le surprendre au détour d’un mot d’une grimace dans mon jeu…

Le Matin d’Algérie : Quels sont les humoristes et conteurs qui vous parlent ?

Moussa Lebkiri : en premier, Moi ! Chaque matin je me parle et je tente de me faire rire, je n’y arrive pas tout le temps. L’humoriste qui par excellence me parle est Devos, maître des mots et de l’absurde, ses mots rugissent comme dans un cirque, ils les domptent à sa guise. Il y a Desproges à l’humour acide, corrosif, décapant, le verbe cinglant mais aussi une plume qui sait prendre quelques envolées joliment poétiques. Et puis, il y a l’ami Fellag, un authentique clown qui sort tout droit de la commedia dell’arte. Par le rire, il a su panser les blessures d’un peuple algérien qui a beaucoup souffert et hélas qui souffre encore. Il nous est arrivé de partager la même scène avec un bonheur que je crois réciproque.

Le Matin d’Algérie : Un mot sur la danseuse Saliha Bachiri qui vous accompagne depuis de longues années.

Moussa Lebkiri : Un mot, il en faudrait bien plus pour parler de l’artiste Saliha Bachiri. Ça été pour moi une vraie rencontre lors de son spectacle « L’une devenant la mémoire de l’autre », un spectacle de danse kabylo-contemporain où la danse kabyle et la danse contemporaine se cherchent pour se confondre, se défaire et s’intégrer l’une à l’autre. J’ai été séduit par l’artiste. Saliha, on peut le dire, a mis la barre haute pour donner au public quelque chose de nouveau sortant des sentiers battus et débattus. Par ailleurs, elle danse également la vraie danse kabyle dite « authentique » sans tomber dans un folklorisme qui l’appauvrit, la limitant aujourd’hui à un seul mouvement récurent, un « bug » sur la vibration des hanches. Le clip de la chanteuse Lycia où Saliha danse en témoigne, elle a également chorégraphié et dansé pour Rachid Taha, le chanteur Zedek, le groupe Djurdjura… et bien sûr dans certains de mes spectacles, sans compter ses nombreuses créations, ses cours où de nombreuses danseuses se sont formées chez elle. Ses pièces chorégraphiques sont de petits bijoux parlant à notre âme, à notre culture berbère sans aucun complexe.

 

Le Matin d’Algérie Votre double culture française algérienne a-t-elle été un atout ou un handicap dans votre carrière en France ?

Moussa Lebkiri : Un réel atout, il m’a fallu ce cocktail délicieux, cette potion culturelle magique qui m’a permis de puiser à ces deux sources en tant que kabyle ancré dans cette douce France. Je me complais d’ailleurs à dire en raccourci, je trempe ma plume dans ma Kabylie pour écrire mon ici. Jouer sur les deux tableaux, c’est merveilleux d’avoir « un ici » et un « là-bas » pour faire jongler son art. Bien que tout n’est pas été rose pour moi, les débuts étaient très difficiles professionnellement. Il faut se faire un nom au-delà de son propre nom, car celui d’origine n’est pas harmonieux à certaines oreilles du pays d’accueil. Qu’on se rappelle la prime au retour dans les années 70, et qui a inspiré le réalisateur Mahmoud Zemouri avec son film « prend 10 000 balles et casse-toi » où j’ai joué le rôle de Djelloul.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes toujours dans la transmission, vous essayez toujours de lancer la relève, pensez-vous avoir atteint votre objectif ?

Moussa Lebkiri : J’essaie de transmettre ce que l’on m’a transmis, donner ce que l’on m’a donné, un juste retour. La passation est essentielle quand on hérite de l’expérience des anciens, ce fut le cas notamment pour le métier d’« amachaou », celui de conteur. L’artiste laisse une trace de son passage, dans une mémoire qui à son tour nourrira les générations à venir qui n’auront plus qu’à se servir pour y trouver leurs inspirations. La formation est un rouage de transmission, j’ai aimé former et j’aime encore donner des cours de théâtre et de contes pour réveiller l’artiste qui sommeille dans tout un chacun. Je serais plutôt un éveilleur qu’un donneur de leçon.

Le Matin d’Algérie Un mot sur le Café Bavard

Moussa Lebkiri : Lors de mes tournées, j’ai toujours aimé faire découvrir un artiste avant mes spectacles, le Café Bavard n’en ait qu’une continuité.

C’est une scène découverte d’artistes professionnels et amateurs de tous bords (Chanson, théâtre, opéra, conte, humour, danse…). Le Café Bavard existe depuis 2011 et fait parti des bonnes sorties parisiennes sélectionnées par Télérama. Il a séduit quelques médias tel que M6 qui pourrait un jour titrer : « Le Café Bavard a d’incroyables talents ». Ce que le public aime chez moi, c’est mon côté « monsieur presque loyale », ma transparence à dire ce que je pense des artistes mais toujours avec élégance, humour sans froisser quiconque.

Le Matin d’Algérie : L’humour, la comédie, le théâtre dissipent le gris, nous rapprochent, nous rappellent notre humanité, et facilite le vivre ensemble, qu’en pensez-vous ?

Lebkiri Moussa : Un artiste est un être subversif, il est un éveilleur, il interpelle sans cesse, il est le chahuteur de nos pensées souvent arrêtées et obtuses. Il donne du beau, du ciel bleu à ceux qui ouvrent leurs yeux et leurs cœurs.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot, avez-vous des projets en cours ?

Lebkiri Moussa : La vie est mon projet avec de belles rencontres et j’espère que le public aura toujours comme projet celui de m’applaudir encore et encore. La poésie me porte et me donne le souffle de déclamer toutes les lumières des possibles.

Entretien réalisé par Brahim Saci
https://lebkiri.com/

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