Qu’est-ce qui pousse les députés du Mouvement de la société pour la paix (MSP) à vouloir légiférer contre les sites internet destinés au public adulte ?
Au-delà de l’initiative, en soi légitime et même attendue dans un espace numérique sans garde-fous, la question renvoie à une constante de la mouvance islamiste algérienne : la volonté récurrente de se poser en gardienne des « valeurs morales » et de régenter les productions culturelles au nom d’une conception restrictive de la morale publique.
La proposition de loi déposée par le député Youcef Adjissa, fin novembre 2026, s’inscrit parfaitement dans ce registre. Présenté comme un texte de « protection des catégories vulnérables », il entend encadrer et bloquer les sites et plateformes diffusant des contenus sexuels explicites. Une première en Algérie, où l’encadrement du numérique reste fragmentaire. Mais l’initiative porte les marqueurs d’une moralisation de la vie publique que le MSP défend depuis sa création.
Un texte technique, un discours idéologique
Dans son exposé des motifs, le député justifie la loi par la « nécessité de protéger les valeurs morales et sociales » face à la prolifération des risques numériques et à l’essor des technologies d’intelligence artificielle. Le registre est classique : associer l’immoralité supposée de certains contenus à des menaces contre l’ordre social pour légitimer une intervention étendue de l’État.
Le texte propose d’ailleurs un arsenal lourd :
– définition large des sites concernés (« atteinte à la pudeur publique »),
– blocage généralisé des plateformes nationales et étrangères,
– responsabilité pénale pour toute facilitation d’accès,
– amendes lourdes pour les entreprises,
– obligation pour les fournisseurs d’accès d’exécuter les décisions administratives.
Sous couvert de régulation, c’est une logique de contrôle renforcé des usages numériques qui s’esquisse. Bonjour aux nouveaux directeurs de conscience!
Un parti qui revendique le rôle de gardien des mœurs
Ce qui interpelle dans cette initiative, ce n’est pas tant la volonté de protéger les mineurs – un objectif qui n’est contesté par personne – que l’inscription du texte dans une vision plus large : celle d’un parti islamiste qui aspire à régenter l’espace culturel au nom d’une « identité » dont il s’érige en interprète exclusif.
Ce tropisme n’est pas nouveau. On se souvient de la virulence des attaques contre le roman Houaria d’Inaam Bayoudh, accusé d’« atteinte aux valeurs morales de la société algérienne ». Plus largement, toute œuvre de fiction – cinéma, littérature, musique – s’écartant de la norme conservatrice est susceptible de devenir la cible de campagnes coordonnées.
Le MSP, comme d’autres formations de la mouvance islamiste, étend régulièrement son discours normatif à l’ensemble de la création artistique. La proposition Adjissa apparaît ainsi moins comme une mesure isolée que comme une étape supplémentaire dans une entreprise politique assumée : fixer les contours de ce qui est moralement acceptable et, en creux, instaurer une police des contenus.
Entre protection de l’enfance et contrôle des imaginaires
La proposition de loi invoque de nombreuses études sur les effets de l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques : risques d’addiction, isolement, troubles du comportement, baisse des performances scolaires. Des inquiétudes légitimes, partagées par les experts et les institutions internationales.
Mais le flou volontaire qui entoure la définition des contenus visés et la large marge discrétionnaire accordée aux autorités de régulation soulèvent une inquiétude parallèle : celle d’une extension du champ de la censure, qui pourrait englober toute production jugée « contraire aux bonnes mœurs », selon une appréciation éminemment subjective.
Dans un pays où le débat sur les libertés individuelles reste fragile, l’encadrement du numérique ne peut se réduire à une opération de moralisation. Il devrait s’inscrire dans un cadre juridique clair, transparent, garantissant à la fois la protection des mineurs et la préservation des libertés culturelles et créatives.
Un débat législatif à mener, une vigilance à maintenir
En introduisant le premier texte du genre sur la pornographie en ligne, le MSP ouvre un débat nécessaire. Mais il le fait avec une grille de lecture qui, elle, n’est pas nouvelle : moraliser la société plutôt que renforcer l’éducation numérique, cadrer les usages plutôt que promouvoir la liberté responsable, et élargir le périmètre du contrôle plutôt que clarifier les règles.
L’enjeu dépasse de loin la question des sites pour adultes : il touche à la place accordée à l’individu dans l’espace numérique, à la liberté de création et à la tentation, toujours présente, de faire de la morale un instrument politique.
Samia Naït Iqbal

