Il est des signes avant-coureurs de la décadence morale d’une société qui, lorsqu’ils apparaissent, ne peuvent être ignorés sans que la conscience collective ne sombre.
L’un de ces signes, insidieux, glaçant, est aujourd’hui observable dans les cliniques privées algériennes : la marchandisation cynique de l’enfantement, là où devrait régner l’éthique, la bienveillance, la mesure.
Des cliniques (non toutes, mais suffisamment nombreuses pour que le phénomène inquiète) pratiquent un différentiel tarifaire entre l’accouchement d’un garçon et celui d’une fille. Comme si l’enfant, avant même de pousser son premier cri, portait déjà sur lui l’étiquette d’une valeur marchande différenciée. Comme si le sexe biologique, donné par la nature, était déjà la clef de voûte d’une hiérarchie tarifaire profondément inique.
Cette dérive ne relève pas d’une simple « anomalie du marché », elle est le symptôme d’un effondrement, celui d’une médecine désacralisée, désarrimée de toute transcendance morale, et convertie en entreprise rentable.
Car derrière ce geste apparemment anodin, faire payer plus cher une naissance masculine, s’agite un monde entier de représentations dégradées, le retour sournois de l’idéologie patriarcale, recyclée par la comptabilité clinique ; la résurgence d’un sexisme archaïque, désormais encadré par des reçus.
À cela s’ajoute un autre scandale, plus technique mais non moins violent : la multiplication injustifiée des césariennes. Là où la voie naturelle était possible, on privilégie trop souvent l’intervention chirurgicale.
Pourquoi ? Parce qu’elle coûte plus cher. Parce qu’elle s’inscrit dans une logique industrielle du soin, où le corps de la femme devient site d’exploitation, champ opératoire d’une économie sanitaire sans âme. Ce n’est plus la médecine qui soigne, c’est le marché qui tranche.
Que reste-t-il alors du serment d’Hippocrate ? Que reste-t-il de cette vocation fondée sur la compassion, l’humilité face à la vie, le refus de nuire ? Dans ces cliniques privées, il semble que le scalpel ait remplacé la main bienveillante, que la fiche de facturation ait remplacé le diagnostic sincère, que le « pronostic vital » ait cédé place au « rendement optimal ». Ce n’est plus seulement une question de santé publique. C’est une crise morale pour ne pas dire de civilisation.
Car une société qui tolère que la naissance soit tarifée selon le sexe, une société où l’on ouvre les corps pour gonfler des marges, est une société qui renonce à toute éthique, toute justice, toute dignité. Elle devient ce que les penseurs du déclin ont décrit : un corps social rongé par la corruption de ses finalités, où même le miracle de la vie devient variable comptable.
Par conséquent, nous exigeons, au nom de la morale, de la raison et de la justice :
1- Une inspection générale nationale des cliniques privées, mandatée par le ministère de la Santé, indépendante, sévère, transparente.
2- Le plafonnement des tarifs des accouchements, qu’ils soient naturels ou chirurgicaux, ainsi que des consultations et échographies, dans un souci d’équité.
3- La sanction des cliniques fautives, avec possibilité de retrait de licence en cas de pratiques discriminatoires ou abusives.
4- L’instauration d’un registre public d’évaluation médicale et éthique, accessible à tous les citoyens, pour permettre une information claire, un contrôle citoyen, une réhabilitation de la confiance.
5-L’introduction de l’éthique médicale et de la bioéthique appliquée dans la formation des médecins privés, afin de réenraciner la pratique médicale dans un horizon autre que celui du profit.
Le ventre d’une femme n’est pas un guichet. L’enfantement n’est pas un service, c’est un événement sacré. Et ce qui se joue dans l’instant de la naissance ne peut être prostitué à des calculs sordides sans que l’humanité tout entière n’en ressente le contrecoup.
Que ce cri atteigne les instances aveugles, les ministères sourds, et réveille les consciences dormantes. Car ce qui se vend aujourd’hui dans les cliniques privées, ce n’est pas seulement une naissance, c’est la dignité humaine elle-même.