Un soir de décembre 2019, Nicolas De Torsiac se lance dans l’écriture, donnant vie à des univers peuplés de chimères, clones et androïdes. Primo-édité en 2020, ses nouvelles paraissent dans des revues prestigieuses comme Géante Rouge HS, Galaxies, Gandahar, Marathon éditions, Répliques, Portejoie et AOC (Aventures Oniriques et Compagnie).
Récompensé par une troisième place au concours Aristophane 2021 et une deuxième place au concours Le Bussy 2024, il décroche le Prix Rosny Aîné 2024 pour sa nouvelle Le fils du fossoyeur. Le 17 janvier 2025, il publie Maléficity, histoire d’un conte défait, une novella cyberpunk-féérique. Dans cet entretien, De Torsiac dévoile les coulisses de cette dystopie où l’immortalité obsessionnelle, les conglomérats surpuissants et les néo-espèces divisées reflètent les dérives de notre époque. À travers son héroïne, une inspectrice gynoïde en quête d’identité, il interroge l’humanité dans un monde en ruines. Inspiré par Orwell, La Fontaine, Blade Runner et des mangas comme Akira, il mêle noirceur, ironie et espoir, tout en abordant des thèmes actuels : crise écologique, transhumanisme, surveillance. Il évoque également un spin-off prévu pour 2026 et partage sa vision d’un optimisme radical, convaincu de la résilience humaine face aux ténèbres.
Le Matin D’Algérie : Maléficity s’ouvre avec un monde en ruines, où l’immortalité est devenue un objectif aussi obsessionnel que destructeur. Qu’est-ce qui vous a poussé dans une dystopia ? Expliquez ?
Nicolas de Torsiac : Le fantasme de l’immortalité est complexe à mettre en scène dans un cadre contemporain, car il touche au sacré et à la science. En le plaçant dans un monde dystopique, où les repères sociétaux et religieux diffèrent, je voulais offrir aux lecteurs un terrain neutre. La dystopie permet une lecture universelle, projetant chacun dans un univers inquiétant mais qui projette un univers qui semble familier, où la quête de l’immortalité reflète des aspirations contemporaines.
Le Matin d’Algérie : Votre héroïne, une inspectrice gynoïde, n’est pas qu’un outil narratif : elle n’est pas seulement un outil narratif, elle incarne une double quête, personnelle et politique. Pourquoi avoir choisi une entité artificielle pour parler de l’humanité ? brisée ?
Nicolas de Torsiac : Cette novella explore les dérives du transhumanisme, mais surtout ce qui définit l’humain. L’inspectrice gynoïde sert de miroir déformant à notre identité. En brouillant les codes avec une automate comme protagoniste, je cherche à interroger ce qui fait l’humanité. Ses fêlures, révélées au fil du récit, la magnifient, et invitent à réfléchir, sans imposer de réponses.
Le Matin d’Algérie : Dans votre roman, les conglomérats sont plus puissants que les États. Diriez-vous que Maléficity est une critique directe du capitalisme technologique actuel ?
Nicolas de Torsiac : Nier cela serait mentir. L’usage irréfléchi des technologies et l’exploitation des ressources à des fins productivistes, face à des États affaiblis, rendent pessimiste. Mais Maléficity reste avant tout un divertissement, écrit avec une note d’espoir malgré son cadre sombre.
Le Matin d’Algérie : Vous introduisez des néo-espèces – savanistes, polaires, insectoïdes… – toutes génétiquement incompatibles. Cette logique de division programmée évoque des stratégies de domination bien réelles. Aviez-vous des modèles historiques ou contemporains en tête ?
Nicolas de Torsiac : J’ai puisé dans des classiques comme La Ferme des animaux d’Orwell ou Demain les chiens de Simak, mais aussi dans des bandes dessinées comme Blacksad ou Elephantmen. Les fables de La Fontaine, avec leurs animaux anthropomorphes, ont également influencé mon imaginaire, expliquant leur omniprésence dans Maléficity.
Le Matin d’Algérie : Le personnage principal retourne dans sa cité d’origine pour y retrouver « l’enfant qu’il a été ». La mémoire de l’enfance devient ici un acte de résistance. Quel rôle accordez-vous à l’enfance dans ce monde déshumanisé ?
Nicolas de Torsiac : L’enfance symbolise l’innocence dans l’imaginaire collectif, et je l’utilise pour souligner la résistance de l’héroïne. En refusant d’oublier son passé, elle s’oppose à la corruption de son monde. Préserver cette « petite flamme » enfantine, c’est, pour moi, ce qui permet à l’humain d’accomplir de grandes choses.
Le Matin d’Algérie : Végétown, l’une des nombreuses cités du roman, est décrite comme une « pustule » née du chaos. Comment avez-vous construit l’architecture mentale et politique de ces villes post-apocalyptiques ?
Nicolas de Torsiac: J’ai opté pour un collage mental, inspiré par les visions cauchemardesques de la science-fiction moderne, plutôt que de cartographier précisément. Végétown est mouvante, instable, à l’image de la mégalopole, sans modèle fixe, pour laisser libre cours à l’imagination.
Le Matin d’Algérie : Le ton de votre roman mêle noirceur, ironie et une forme de lyrisme discret. Quel a été votre rapport à la langue dans l’écriture de Maléficity ? Avez-vous voulu « réenchanter » la dystopie par la forme ?
Nicolas de Torsiac : Oui, je voulais une dystopie qui finit bien, avec une touche différente. J’ai façonné des vers sombres pour coller au récit, tout en insufflant une musicalité propre. Cela a demandé plusieurs réécritures, mais l’exercice fut plaisant.
Le Matin d’Algérie : Le livre se présente comme le premier volet d’un diptyque. Que pouvez-vous nous dire sur la suite à venir ? Quels arcs narratifs ou personnages souhaitez-vous développer davantage ?
Nicolas de Torsiac : Encouragé par mon éditrice chez Cordes de Lune, j’écris un spin-off, non une suite directe : un recueil de quatre nouvelles et une novella, situé à Végétown. De nouveaux personnages apparaîtront, avec des retours, notamment Meurice, un morse télépathe. Publication prévue pour début 2026, si tout va bien.
Le Matin d’Algérie : On sent l’influence du cyberpunk, mais aussi des mythes anciens et des contes classiques, que vous détournez. Quelles sont vos principales références littéraires ou cinématographiques ?
Nicolas de Torsiac : « Je voulais créer un univers cyberpunk-féérique, mêlant cyborgs et contes. Mes influences vont de Blade Runner à Dark City, en passant par les mangas Akira et Ghost in the Shell, ou encore des bandes dessinées comme La Belle Mort et le roman graphique Memories of Retrocity. Les contes de mon enfance y apportent une touche cartoonesque. »
Le Matin d’Algérie : À travers ce monde de fiction, vous abordez aussi des thématiques très actuelles : crise écologique, manipulation génétique, surveillance… Votre ambition était-elle aussi de provoquer un sursaut éthique chez vos lecteurs ?
Nicolas de Torsiac : Sans prétention, je note que ces thématiques sont connues. Maléficity est une bouteille lancée à la mer : si elle suscite un sursaut éthique, tant mieux ; sinon, divertir et faire sourire suffit à ma mission.
Le Matin d’Algérie : Votre narratrice affirme que « leurs ténèbres n’ont pas éteint ma lumière ». Pensez-vous que même dans les pires systèmes, il existe une part irréductible d’humanité ?
Nicolas de Torsiac : J’en suis certain, et ma foi en la résilience humaine me pousse à écrire des histoires sombres qui finissent bien.
Le Matin d’Algérie : Enfin, Maléficity est un monde dur, mais n’est pas désespéré. Est-ce que vous vous considérez comme un pessimiste lucide ou un optimiste radical ?
Nicolas de Torsiac : Avec l’âge, je suis passé de pessimiste lucide à optimiste radical. La vie est unique, autant la rendre la moins mauvaise possible. J’ai encore du chemin, mais j’y travaille !
Entretien réalisé par Djamal Guettala