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Nicolas Sarkozy et la justice qui écoute aux portes

Nicolas Sarkozy

La décision de la Cour de cassation vient de rendre son jugement ce mercredi 18 décembre suite au pourvoi de Nicolas Sarkozy concernant sa condamnation en appel pour trafic d’influence.

Elle valide la condamnation à trois ans de prison à l’encontre de l’ancien président. Avant d’aller au sujet que je souhaite aborder, il faut expliquer aux non-initiés en droit la procédure judiciaire, à peu près équivalente en Algérie, en tout cas dans son principe même si les noms des instances différent.

On dit que la cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre pénal, rend une décision sur « la forme » et non sur « le fond ». C’est-à-dire qu’elle ne se prononce pas sur la culpabilité de l’accusé, elle déjà est actée en jugement d’appel mais vérifie si les conditions du jugement sont conformes à la loi. Pour être rapide, elle vérifie la légalité des procédures et le bon choix et/ou la bonne interprétation de la loi.

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Nicolas Sarkozy était déjà considéré comme coupable lorsque son pourvoi a été pris en compte. Ce n’est bien évidement pas le cas du premier jugement (en première instance) et du jugement en appel où l’accusé est présumé innocent tant que la culpabilité n’est pas prononcée au second.

Ainsi, l’appel ayant confirmé le jugement en première instance, l’ancien président n’est plus présumé coupable mais devient coupable lorsque son dossier est jugé par la cour de cassation.

Une fois ce préalable dit, il faut maintenant rappeler les faits. Nicolas Sarkozy est jugé coupable de  « trafic d’influence ». Lui et son avocat Thierry Herzog, avaient tenté d’obtenir des informations du magistrat Gilbert Azibert sur le débat concernant l’affaire Bettancourt dans laquelle était impliqué l’ancien président.

La preuve du trafic d’influence est matérialisée par des écoutes clandestines autorisées par le juge d’instruction. Ces écoutes clandestines sont-elles illégales dans une procédure d’enquête pénale ? Si la réponse est positive, restera à définir si la preuve illégale peut être invoquée dans le dossier d’accusation.

C’est une question très importante qui concerne le secret professionnel portant sur les échanges d’un avocat avec son client. On peut s’imaginer combien le principe est normalement intangible au regard du droit à la défense.

Et à ce moment du questionnement apparait la complexité du droit qui peut aller jusqu’au débat byzantins. Lorsque des textes laissent le moindre flou, les arguments byzantins s’y engouffrent.

Commençons par les dispositions du droit interne. Que nous dit le code de procédure pénale par son article 100,

Aucune interception ne pourra porter sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile…/… 

Mais alors, si l’interdiction est clairement indiquée, la preuve doit être annulée et ne pas être portée dans le dossier d’accusation.

Que la vie serait facile s’il n’y avait pas toujours un « mais… », « Sauf… », « À l’exception de… », À condition de… ». Il faut se rappeler qu’en droit c’est comme dans la vie, vous êtes autorisés à dire ou faire quelque chose mais avec des exceptions. Elles sont souvent si nombreuses et/ou floues dans le périmètre de leur champ de définition que le droit qui semblait assuré se retrouve vidé de sa substance.

Ces conditions se lisent dans la suite de l’article 100,

…/…Elle restera toutefois possible s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe. Cette mesure devra être autorisée par ordonnance motivée du juge des libertés et de la détention, saisi à cette fin par ordonnance motivée du juge d’instruction, prise après avis du procureur de la République, et devra être proportionnée au regard de la nature et de la gravité des faits.

Et voilà ce qui motive la décision de la cour de cassation. Le droit au secret tombe s’il est estimé que l’ordonnance prise par le juge d’instruction, après avis du procureur, est proportionnée au regard de la nature et de la gravité des faits. En quelque sorte, doit-on aller jusque-là s’il existe d’autres moyens de preuve sans écorcher le principe qui légitime le secret professionnel ?

Les tribunaux, de première instance et de l’appel, avaient confirmé la validité du recours aux écoutes. C’est ce que vient de déclarer la cour de cassation qui confirme à son tour que les écoutes téléphoniques étaient conformes au droit au regard de la gravité des faits.

Nicolas Sarkozy est donc définitivement déclaré coupable et a épuisé tous les recours possibles devant les juridictions françaises. Pour autant l’affaire n’est pas terminée puisqu’il a déclaré son intention d’un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme  pour motif d’un jugement inéquitable.

Le recours n’étant pas suspensif, sa condamnation est immédiatement applicable. Il est avocat, il sait plus que quiconque que le jugement n’interviendra pas avant au moins trois ou quatre ans vu l’encombrement des dossiers en cours.

Et c’est là où pointe de son nez une autre difficulté qui n’est pas des moindres même si elle est habituelle en droit, soit les contradictions entre les disposions du droit interne et ceux de l’instance européenne.

Nous ne connaissons pas encore les arguments qui seront présentés mais il est à peu près certain que les articles 6-1 et 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés seront de présents.

Pour l’article 6 titré « Droit à un procès équitable », je ne vois pas ce qui diffère des grands principes déjà invoqués dans le droit interne français en ce qui concerne les conditions d’un procès équitable.

Sur le fondement de l’article 6, c’est à mon avis la possibilité d’obtenir un échelon supérieur de recours car que peut invoquer de plus l’ancien président de ce qui a déjà été invoqué. La cour européenne ira-t-elle dans le même sens que la cour de cassation ou se déterminera-t-elle en contradiction.

De plus si l’article 8 expose clairement l’illégalité des écoutes dans le cadre d’une relation entre l’avocat et son client, il renvoie aux lois internes de chaque pays qui ont pour charge de définir le champ des exceptions.

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

En fin de compte, Nicolas Sarkozy plaidera devant une cour qui respecte le droit interne français, ce qu’ont déjà en principe fait les magistrats de la cour de cassation.

Il ne lui reste qu’à recourir à une notion très subjective du droit comme dans toute affaire humaine, l’interprétation des textes. Les décisions de la cour européenne faisant jurisprudence ne s’appliquent pas rétroactivement aux décisions judiciaires internes, raison pour laquelle, nous l’avons dit, la condamnation définitive de l’ancien Président n’est pas suspensive.

La France risque une condamnation à des pénalités ou une injonction à mettre son droit en conformité mais sans plus. L’Europe passe son temps à proclamer des injonctions pour la mise en conformité de la législation interne. L’eau s’écoule très lentement et longtemps en cette affaire

En attendant, on confirme la validité de la célèbre (et insultante) phrase du publiciste Jacques Séguéla à propos de son ami Sarkozy, « Si à 50 ans, on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie ».

Qu’il se rassure, à 69 ans, il va avoir un bracelet électronique. Il est mon aîné de huit mois, je refuse le même cadeau d’anniversaire.

Boumediene Sid Lakhdar

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