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Noël, du julien au grégorien

Imaginons une population qui se coucherait un soir et se réveillerait treize jours plus tard. Cela est pourtant bien arrivé au seizième siècle sans être ni de la fiction ni un coma collectif.

Avant d’en arriver à cette histoire étrange, il faut remonter le temps pour en donner quelques bases.

Le mot calendrier tient son origine du mot latin Calendae qu’utilisaient les Romains pour nommer le premier jour du mois. C’était un mot qui désignait le « règlement des dettes », justement fixé en ce premier jour.

Alors qu’un registre des comptes était tenu pour les dettes, celui-ci est progressivement devenu un registre de division du temps.

C’est Jules César, encore lui, qui allait proclamer le calendrier officiel romain, en 46 avant Jésus-Christ. Ce calendrier, dénommé Julien par identification à son inventeur, devait rester en cours en Europe et dans le pourtour méditerranéen pendant seize siècles, jusqu’en 1582.

C’est à cette date précise que le Pape Grégoire XIII proclama le nouveau calendrier, portant lui aussi le nom de son concepteur, le calendrier grégorien.

Pourquoi ce changement ? Le fait était connu depuis bien plus tôt que la période romaine. Les êtres humains savaient que les cycles du soleil et des autres astres divergeaient avec les calculs et les prévisions du découpage du temps qu’ils avaient adoptés.

Il y eut de nombreux calendriers dans l’humanité, toutes les civilisations n’avaient pas le même. Si le calendrier julien a persisté dans notre zone géographique, il ne faut pas en oublier la raison, l’empire romain englobait un territoire aussi vaste que le monde connu de l’époque.

D’autres civilisations ou communautés avaient adopté le cycle lunaire comme base calendaire. Ainsi la tradition juive devait retenir une mesure du temps mixte, luni-solaire, ce qui était également le cas du calendrier chinois. Seule la tradition musulmane garde encore une mesure du temps strictement lunaire dans le calendrier hégirien.

Si nous revenons au calendrier julien, celui-ci prenait en compte 29 ou 31 jours. Seul le mois de février en comptait 28. Mais, dès le départ, on savait qu’il fallait une première rectification pour s’adapter au décalage avec la rotation du soleil qui persistait. Un premier correctif fut fait en introduisant un jour supplémentaire au mois de février, tous les quatre ans, la célèbre année bissextile que nous avions appris dès notre début de vie scolaire.

Mais cela n’a pas suffi, on savait qu’il existait toujours un décalage, infime mais significatif. La dérive calendaire par rapport à l’année solaire allait devenir importante au bout de nombreux siècles, soit près de treize jours au seizième siècle.

Et nous voilà à Grégoire XIII, dans ce siècle si lumineux qui fut une extraordinaire avancée humaine, née au 15e siècle. Cependant le nom de «Siècle des lumières » fut porté par le XVIIIe, digne héritier du 16e qui allait bouleverser les connaissances humaines, jusqu’à mettre l’humanité en ordre de marche vers nos années contemporaines et modernes.

Ce n’était donc pas si surprenant que ce fut à cette époque qu’une telle modification fut entreprise par la bulle pontificale Inter gravissimas (le nom est plus long mais c’est le début qui est resté dans les mémoires). Pour les plus jeunes lecteurs, une bulle pontificale est une sorte de décret du Pape.

Je laisse cependant les érudits nous rappeler la complexité des étapes et réflexions pour en arriver à ce texte, du concile à la bulle pontificale.

Il ne faut cependant pas se méprendre, si les bases scientifiques légitimaient la décision, le souci était surtout l’enchevêtrement et le désordre des dates des fêtes chrétiennes associées aux autres, notamment d’origine biblique.

Et si nous en revenons à mon titre, c’est précisément à Noël que le désordre est le plus significatif aux yeux du monde chrétien. L’origine de la controverse est qu’aucun texte chrétien ne précise le jour de la naissance de Jésus-Christ.

Certains chrétiens célèbrent Noël le 25 décembre, d’autres le 6 janvier, d’autres encore le 7 janvier et aussi le 19 janvier à Jérusalem.

C’est le Pape Libère qui avait décidé de la date du 25 décembre car elle représentait une célébration importante pour les romains, le solstice d’hiver. Un argument supplémentaire, cette date coïncidait avec la fête des Saturnales pendant laquelle les romains festoyaient par un grand carnaval.

Mais pourquoi les Eglises orthodoxes et d’autres de rites orientaux fêtent la naissance du Christ un 6 et 7 janvier ?

On aurait pu penser qu’il s’agit là d’une bataille identitaire pour affirmer sa différence doctrinale. C’est en partie faux car tous fêtent Noël à la même date. Comment cela est-il possible ?

Justement parce que les Chrétiens d’occident ont gardé la référence du calendrier Julien et la décision du Pape Libère, soit le 25 décembre. Les orthodoxes célèbrent la naissance du Christ à la date du 7 janvier dans le calendrier grégorien, en correspondance avec le 25 décembre dans le calendrier julien. Ils fêtent donc tous la nativité à la même date, avec des calendriers différents.

J’ai dit que c’était en partie faux car il y a toujours une raison doctrinale et politique qui se cache derrière de tels choix. Si nous somme d’accord que les deux dates sont identiques, il est évident que les uns et les autres ne font pas grand-chose pour réunifier la date de la naissance du Christ, chacun voulant sa propre démarche pour montrer « sa spécificité ».

Et c’est ainsi que l’Ukraine et toutes les Eglises orthodoxes en conflit avec la Grande Russie ont émis récemment leur souhait de s’aligner sur la date occidentale. Chacun comprendra la raison de ce choix exprimé (sera-t-il mis en œuvre ? C’est une histoire beaucoup plus compliquée, nous verrons).

Et de toute façon, quelle que soit la date choisie par l’histoire ou la politique, je ne manquerais jamais une belle bûche glacée, le 24 décembre au soir. C’est bien cela l’essentiel pour un athée.

Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant

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