Nous accusons la justice algérienne d’avoir failli à sa mission d’établir la vérité dans l’affaire des incendies meurtriers de l’été 2021 et du lynchage effroyable de Djamel Bensmaïl.
Nous accusons les autorités et tous les services concernés de ne pas avoir mené d’enquête sérieuse sur la tragédie du 11 août 2021 dans laquelle persistent de grandes zones d’ombre dans le déroulement des faits lors de l’acte ignoble dont a été victime Djamel Bensmail.
De même, aucun travail d’investigation sérieux n’a été mené sur les incendies. À ce jour, nous ignorons encore le nombre de victimes, l’importance des dégâts et la réalité de l’existence des rapports d’expertise et de police sur les circonstances de cette catastrophe de l’été 2021.
Rappelons la troublante annonce, sans enquête préalable, de l’origine criminelle des incendies par les autorités publiques dès la première vague des feux. La précipitation dans cette affirmation pouvait interroger sur une éventuelle préméditation d’accusations fallacieuses.
Nous accusons l’instruction judiciaire de dérives graves dans cette affaire : non-respect de la présomption d’innocence, violation du secret de l’instruction avec des interrogatoires publics transmis sur les médias, irrégularités et incohérences diverses ayant entaché les procédures judiciaires, usage de sévices physiques sur les prévenus pour extorquer des pseudo « aveux » et humiliations diverses.
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Nous accusons les magistrats d’avoir instruit à charge et organisé un procès expéditif avec une centaine de prévenus jugés en 5 jours alors que cette affaire nécessite des semaines d’audience si le but est la recherche de la vérité, violant ainsi le principe du procès équitable tel qu’il est défini par les normes universelles en vigueur.
Dans ce procès, la police, présente le jour du drame, n’a pas été entendue sur son rôle et n’a jamais été inquiétée pour sa responsabilité dans la défaillance flagrante dans la protection d’un citoyen en danger et dans le non-emploi des moyens de dispersion de foule, techniques qu’elle a démontré maîtriser parfaitement dans d’autres circonstances.
Agissant en juge et partie, cette même police a non seulement mené l’enquête mais, fait troublant, s’est constituée tardivement partie civile en se considérant comme victime !
De grandes interrogations demeurent sans réponses sur les faits entourant ce drame :
L’entretien d’une confusion entre les motifs d’inculpations (homicide et incendie), la massification des arrestations, le manque de clarté des circonstances qui ont conduit à appréhender la victime, la lenteur incompréhensible prise pour son transport dans un véhicule de police, les nombreux appels à se rassembler pour accroître et « chauffer à blanc » la foule, les raisons de la réaction inappropriée de la police à proximité d’un commissariat, le mystère du portable de la victime que détiendrait les services de sécurité et d’autres éléments et faits rapportés non pris en compte, non clarifiés et non vérifiés.
Ainsi, après deux procès et deux années d’instruction, nous ne savons toujours pas ce qui s’est réellement passé et les raisons de cette issue tragique alors que, dans les mêmes jours, plusieurs personnes suspectées d’être à l’origine des feux avaient été auparavant appréhendées et livrées par la population à la police, sans aucune voie de fait sur leurs personnes.
Concernant l’origine des incendies, aucune preuve tangible n’a été fournie pour incriminer les inculpés dans les causes de départ des feux. En revanche, plusieurs témoignages fiables ont prouvé que les accusés de ce forfait, lourdement condamnés, étaient occupés à éteindre les feux au péril de leur vie.
Le procès s’est tenu dans un climat de tension voulu avec un déploiement disproportionné des forces de l’ordre. Les inculpés ont comparu à l’audience menottés, dans une attitude contrainte et humiliante, jamais encore observée dans une audience de tribunal criminel algérien.
Nous accusons les juges d’avoir prononcé des peines non pas sur des faits avérés mais d’avoir manifestement obéi à des injonctions d’ordre politique.
L’acmé de l’arbitraire a été atteint quand certains jeunes inculpés ont été condamnés à la peine capitale alors que des preuves et des témoignages incontestables ont montré qu’ils n’étaient pas présents sur la scène du crime.
Des détenus ont été acquittés en deuxième instance après avoir été condamnés à mort, sans preuve tangible, en première instance, alors que d’autres, à l’inverse, ont vu leurs peines aggravées pour des raisons tout aussi incompréhensibles.
Cette grandeur d’écart entre les peines pour le même cas démontre, si besoin est, l’incohérence et le peu de considération avec lesquelles ont été traités ces dossiers, jetant le doute sur la solidité juridique de tous les autres dossiers.
Le nombre consternant des condamnations à mort (49 puis 38) pour des faits commis au maximum par une dizaine de personnes montre l’esprit contraire à la justice avec lequel sont prises de telles décisions, n’excluant pas un sentiment de vengeance. Ces sentences discréditent gravement la justice algérienne plus qu’elle ne l’est déjà par les condamnations injustifiées des militants du Hirak.
Pour juger de la disproportion voulue des peines, ces verdicts sont a comparer avec les jugements des attentats liés au terrorisme des années 90 ayant causé de nombreuses victimes et ceux des crimes humanitaires de grande ampleur ayant eu lieu de par le monde (procès de Nuremberg, génocide rwandais, charniers des conflits de l’ex-Yougoslavie, etc.).
Nous accusons la justice algérienne de n’avoir pas assumé son rôle, celui de rendre la justice au nom du peuple en respectant le droit de tout citoyen à un procès juste et équitable. Cette institution se serait honorée en acquittant les citoyens pour lesquels aucune preuve de culpabilité n’a été démontrée, en se prononçant sur les manquements du droit à la défense, en ouvrant des enquêtes sur les allégations de torture, en jugeant également les agents de l’Etat à leurs différents niveaux de responsabilité, en sanctionnant les coupables à la juste mesure des faits irréfutables dont ils sont responsables, tout en tenant compte du contexte très particulier et douloureux du moment, propice au phénomène d’entraînement bien connu de la psychologie des foules.
Nous accusons les décideurs au sein du pouvoir d’avoir instrumentalisé la justice à des fins politiques car le verdict semble traduire une volonté de punition collective contre une région pour la défaire moralement et la stigmatiser en raison de son rôle majeur dans la contestation démocratique, tout en prenant prétexte d’accusations fantaisistes de terrorisme émises à l’encontre d’une formation politique.
Le traitement de cette affaire criminelle semble, au demeurant, avoir bien profité au régime en créant de la diversion, faisant oublier sa gestion calamiteuse de l’épidémie de covid et l’abandon des populations face aux incendies et, grâce à ces procès iniques, masquer la grave défaillance du système de sécurité publique.
Nous soutenons le Collectif des familles des détenus de Larba Nat Iraten dans leur lutte contre l’injustice et nous sommes solidaires des avocats dans leurs efforts à établir la vérité des faits pour travailler à la libération des innocents et à l’obtention de justes peines pour les coupables.
Nous espérons que la Vérité pourra un jour être dite pour ne pas ajouter de l’injustice éhontée à l’horreur vécue. Et que la Justice soit enfin rendue, en respect de la mémoire de toutes les victimes des incendies et de la belle âme de Djamel Bensmail, venu accomplir son devoir national de solidarité.
Comité de soutien de la Diaspora algérienne au Collectif des familles de détenus de Larbaa Nath Irathen