“Quand on vit dans une énorme insécurité politique et économique, la question de l’identité est très importante. Et l’identité, la culture et l’art sont liés.” Henning Mankell
Son nom est carrément imprononçable. Est-ce pour cette raison que l’État d’Oaxaca reste discret dans le panorama du tourisme au Mexique ? Il ne rassemble qu’une infime partie de la population sur un minuscule territoire. Il se situe à la dernière place en termes du revenu par tête d’habitant. C’est parait-il ici, dans cet État, que le maïs a été domestiqué pour la première fois. C’est devenu l’aliment incontournable de toute l’Amérique latine. « Sin Maiz, no hay pais » dit-on ici. C’est également à Oaxaca qu’est née la première cité précolombienne, celle de Monte Alban, capitale des zatopèques, où on a trouvé en 1932 un trésor qui rivalise avec celui de Toutanthamon. C’est également à Oaxaca que se trouve la plus grande offre de variétés de langues et d’ethnies différentes. Il y a les Zapothèques et leurs ennemis mixtèques, les Zoques, les Cuicathèques, les Mazathèques et les Chinantèques.
C’est à Oaxaca que la teinture de cochenille, ce rouge profond jamais obtenu ailleurs, a connu son heure de gloire. L’armée britannique a pu voler cette invention pour teindre les habits cardinalices et les jaquettes des militaires. C’est à Oaxaca que l’on fabrique le meilleur mezcal, que Frida Kahlo aimait tant vider d’un seul trait, brûlant la politesse à Diego Rivera et à Léon Trotsky. Oaxaca est enfin la cité de la gastronomie mexicaine et la capitale de la transformation du cacao. Voilà suffisamment de raisons pour accorder son attention à cette terre qui s’étend du Pacifique aux hautes terres mayas, jusqu’à l’isthme de Tehuantepec.
Et la violence ? Le Mexique défraie constamment la chronique avec ses narcotrafiquants et Oaxaca a fait parler d’elle avec le soulèvement des maîtres d’école en 2006, qui a donné naissance à la révolte populaire de 2008. Tout au long de mon séjour dans cet État, pas une fois j’ai senti l’obligation de me protéger.
J’ai appris sur place que cette ville a accueilli Pieyre de Mandiargues, D.H. Lawrence, Malcom Lowry, le cinéaste Eisenstein et le chanteur Jim Morrison. Ça ne doit pas être le fruit du hasard. Si Oaxaca a su se placer aux premières loges de la scène artistique contemporaine, elle n’oublie pas son passé. Inscrite au patrimoine de l’Unesco depuis 1987, elle a permis à ses habitants de retrouver des savoirs ancestraux.
Cette fusion d’hier et d’aujourd’hui, cette juxtaposition du peintre qui ne connait pas un seul mot d’espagnol et du designer dernier cri, n’est nulle part aussi frappante qu’à Oaxaca. Un atout maître en cette époque qui se cherche maladroitement des racines et des identités factices.
Kamel Bencheikh