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Omar Racim et l’histoire du soldat Cheikou Cissé (II)

La Guerre de 1914 -1918

Omar Racim et l’histoire du soldat Cheikou Cissé (II)

Huit années plus tard, c’est au tour du ministre des Colonies de faire savoir que l’administration pénitentiaire avait proposé Cheikou Cissé pour une mesure gracieuse. Mais dans les faits le même ministère et son Gouvernement de l’Afrique coloniale française, redoutaient le retour de celui que les militants des droits de l’homme et ceux du monde syndical nommaient le camarade Cissé. Déjà avec la publication par La Lutte sociale de son nom comme étant un détenu d’opinion et illégalement condamné, Cheikou Cissé sera transféré de Barberousse (Alger) à Nouméa (Île Nou), et de là vers Cayenne où Les Annales Coloniales (du 17/3/1936), confirment sa déportation à vie en Guyane. 

Cayenne, le bateau blanc, l’Ile du Diable et la mort qui s’oublie

A la fermeture du bagne de la Nouvelle-Calédonie en 1931, le territoire de la Guyane se transforme en terre française de déportation. De cette transposition d’une aire géographique en un vaste espace pénitencier, Georges Ferré du journal Le Matin, publie une série de reportages sur les bagnes et prisons de la France coloniale et au numéro du 13 décembre 1931, il est en Guyane, face à des constructions qui n’ont plus de toit et où «à l’intérieur des cours, la brousse s’enfle et grandit. Entre les blocs de cette maçonnerie rouge et blanche, pétrie de sang et d’ossements, qui, de la Guyane à l’Ile Nou, en passant par Poulo-Condor, caractérise infailliblement l’architecture pénitentiaire, des lianes jaillissent comme une poignée de couleuvres » (p. 2).

Et de poursuivre, à la vue de l’hôpital et du cimetière :

« Un étrange champ de morts, une terre truffée d’ossements qu’on heurte du pied et qui font des taches blanches parmi les ronces. La mer battait doucement cette rive macabre ».

Le long de cette contrée, le ministère des colonies en a fait un espace où se matérialise l’imaginaire de centaines de millions d’individus. Bien au-delà de cet imaginaire, le territoire de la Guyane avait accueilli quelque 67000 déportés entre 1852 et 1938 entre bagnards transportés de prisons de la Métropole et ceux que l’on appelait les relégués (les multirécidivistes). Parmi les transportés de France un homme enclenchera les vérités vécues sur la Guyane pénitentiaire, le long d’un ouvrage-témoignage de 64 pages qui mettra à nu l’idéologie carcérale de l’œuvre humaniste de la colonisation.

Nous parlons de l’ouvrage de l’ex-détenu Paul Roussenq (5), qui a brûlé son treillis de 50 francs en 1908 alors qu’il se trouvait en 1929 toujours en Guyane après avoir expiré intégralement sa peine de 20 ans et qu’à sa libération n’arrivant pas à se réadapter complètement à sa nouvelle vie, il se suicide, en 1952, en se jetant dans l’Adour à Bayonne (Pays basque français). Cet ex-bagnard fut cité dans un ouvrage d’Antoine Mesclon (6) et où il écrit :

« Albert Londres apprend au public que vous avez pu, pendant quinze ans infliger trois mille sept cent soixante !dix !neuf jours plus dix-ans et quatre mois de cachot à Roussenq » (p. 308).

Albert Londres fut journaliste au Petit Parisien qui mena en 1923, une enquête sur le bagne de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) et qu’il dénommé le « cul-de-sac du monde ».

Mais revenant au cas Cheikou Cissé : il semble que son devenir dans cet univers de l’oubli carcéral, est lié à un navire qui le transporta la première fois d’Alger à Nouméa via le Canal de Suez et la seconde fois de Nouméa à Saint-Laurent-du-Maroni. Ce « pied de biche », comme l’on nommé les relégués et qui s’est inscrit aussi et à jamais dans le parler algérien (kraâ lemiz) embarquait sur La Martinière (le Bateau blanc, comme le surnommé l’imaginaire populaire algérien, El-babour labyad). Le cargo-prison en question appartenait à la Compagnie Nantaise de Navigation à Vapeur (CNNV) et qui dès le mois de mai 1932, remplaça La Loire, il accostait toujours à l’entrée du port d’Alger devant la darse du Feu Rouge. Le navire fétiche de Cheikou Cissé – hasardions-nous de le nommer ainsi- fut aussi l’objet d’un roman inédit de Georges Simenon, Le Locataire (1934) et publié en séries sur la revue littéraire Marianne, de même qu’un reportage signe par Albert Camus sur Alger-Républicain du 1 er décembre 1938, sous un titre évocateur, Ces hommes qu’on raye de l’humanité. 57 relégués ont quitté avant-hier Alger pour le bagne. La cargaison de forçats était en route pour Cayenne.

Le nom de Cheikou Cissé s’est aussi associé à un bon nombre de militants internés ou déportés. Un Français notamment, Léon Chareyron, mobilisé en 1914, quitte les tranchées et se réfugie en Suisse. Revenant en France, il sera arrêté et traduit devant un Conseil de guerre pour intelligence avec l’ennemi en temps de guerre, rappelant le cas de l’Algérien Omar Racim. Lui évitant la condamnation à mort, il sera envoyé à l’Ile du Diable (Iles du Salut, Guyane), tout comme l’officier Dreyfus. Le 6 avril 1933, le SRI français et à travers son secrétaire, Jean Chauvet, une lettre est adressée avec quelques secours à Cheikou Cissé qui fut parrainé par la ville de Bondy, région parisienne. La lettre, expédiée du bureau de poste de Paris le 7 avril 1933, arrivait à Cayenne le 26 mai 1933 et elle en repartait le 24/6/1933 pour revenir au siège du SRI avec une mention imprimée et manuscrite de l’administration carcérale : DECEDE.

Au plus tard le 28 juillet 1933, le Comité local du SRI -Bondy recevait une lettre de Cheikou Cissé. Etait-elle de lui ? S’interroge-t-on à l’époque. Le 1er février 1933, il avait bien envoyé une lettre écrite par un de ses compagnons de bagne, où il disait entre autres :

« Je crois qu’après quinze ans de captivité pour n’avoir en fait contre la France, il serait temps de penser que l’on est venu me chercher dans mon pays pour la défense. J’espère, camarades, que vous ferez ce qu’il est possible de faire pour me faire revenir près de ma femme et mes miens ». (7)

Le député communiste de l’époque Jacques Doriot, devenu un fasciste notoire en 1936, avait posé la question au ministre des Colonies, à savoir si Cheikou Cissé est toujours vivant ? Le 29/9/1933, le ministre répondait qu’il n’a pas été avisé du décès et qu’il vient d’être proposé par l’administration pénitentiaire pour une mesure gracieuse. Le ministre en question n’était autre que l’amiral Darlan (enterré à Oran en Algérie) et ainsi le Front populaire faisait le terrassement du front fasciste de Vichy qui avançait aussi sur le corps du soldat Cissé.

1933 semble être l’année de la mort pour ce citoyen malien du 4e Régiment des Tirailleurs Sénégalais. Tout laisse croire que son souffle de vie s’est éteint en cette année comme étant le dernier bagnard de la Nouvelle-Calédonie. Et pourtant ? L’histoire le liera à jamais à un autre Algérien et cette fois en Guyane.

Note :

1 – Roman paru en 1995 dans la série Fleuve Noir, collection « Aventures sans frontières », N° 7, 228 pages.

2 – In, Le Courrier de Tlemcen, Algérie, du 10/12/1915.

3 – In, L’Echo d’Alger, du 1/7/1923.

4 – La revue La Défense, organe du Secours Rouge International – Section française, numéro du 17/8/1934, p.3.

5 – Paul Roussenq, Vingt-cinq ans de bagne, Préface de François Vittori, Paris, édition La Défense, 1934. 64 p ; Réd. En 2009, L’enfer du bagne, Préface de Jean-Marc Delpech et une postface d’Albert Londres, Paris, Libertalia, 129 p.

6 – Antoine Mesclon, Comment j’ai subi quinze ans de bagne, Editions « France et Humanité », A. Mesclon, éditeur, Paris (18e), 1932, 438 pages.

7 – In, L’Humanité du 4/10/1933.

 

Auteur
Karim Assouane

 




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