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Oran : chronique du haut et du bas

Oran

Lorsque nous n’étions pas encore des illettrés dans notre pays, il m’est arrivé quelque chose d’étonnant dans mes derniers retours en avion.

Dès que l’avion commençait son atterrissage, nous étions sollicités pour remplir la fiche de police de nombreux émigrés qui n’en n’avaient pas la possibilité. C’était l’occasion de voyager dans plusieurs villes algériennes en retranscrivant leur nom inscrit dans les passeports. Un jour j’avais lu le nom de l’une d’entre elles suivi de la mention t’hata. On m’avait  dit plus tard qu’il en était pareil dans d’autres villes avec t’hata et fouaqa (qu’on me pardonne l’orthographe pour la retranscription en lettres latines).

J’ai alors compris que cela correspondait à la traduction française, la « ville du haut » et la « ville du bas ». Je me suis douté que cela correspondait à la délimitation d’une partie de la ville. C’est donc explicable mais je n’ai pas réussi à supprimer de ma tête le sens très négatif dérivé du  langage courant.

Il y aurait ainsi des quartiers de haute noblesse et des quartiers de citoyens au statut inférieur. J’ai toujours trouvé cela très insultant. 

Alors, mes chers lecteurs, je me suis dit que l’humour pouvait répliquer d’une manière suggestive dans sa force. Le haut et le bas, c’est quoi et à partir de quelle position ?

Les quartiers qui étaient à l’époque aux frontières de la ville d’Oran étaient t’hata ou fouaqa ? La réponse de la topographie de la ville plaide pour fouaqa. On disait bien, je descends en ville (curieuse façon d’ailleurs de dire, au centre-ville) et non monter. 

Dans ce cas l’insinuation de noblesse sociale se retournait en étant celle des quartiers périphériques. La Place d’Armes était le centre du départ des bus pour y aller dans une configuration en éventail. Il ne vient à l’idée de personne de dire que le centre est en haut de l’éventail.

Et puis, il y a ceux qui voudraient s’aventurer sur un terrain glissant en évoquant la position géographique de gauche et de droite. Ce qui correspond à peu près à la distinction du positionnement politique en fonction des revenus, donc du haut et du bas de la condition sociale.

Lorsqu’on se place au niveau de la mer, les quartiers les plus bourgeois seraient donc  ceux placés à droite. Mais dans le sens contraire, il y a une révolution populaire qui inverse la droite et la gauche. La politique est toujours versatile.

Dans la hiérarchie militaire l’affront au bas est encore plus prononcé. Le commandement serait la tête, en haut, qui réfléchit et possède une vision stratégique du loin. Les jambes, en bas, seraient les fantassins qui s’avancent vers l’ennemi et les pieds, ceux qui les écraseraient. Vous voyez qu’il est préférable d’être en haut.

Puis il a les filous qui dissimulent dans leur langage la position du haut et du bas. Ils la suggèrent seulement et n’expriment jamais clairement la hiérarchie de statut entre le haut et le bas. Les champions dans cet exercice sont les pléonasmes qui associent un mot à un autre qui a le même sens. Ainsi pour eux, c’est monter en haut et descendre en bas. L’utilisation des verbes monter et descendre suffit à confirmer sournoisement l’existence hiérarchique entre le haut et le bas.

Il y a également les expressions malheureuses comme mon esprit est à l’envers. Ainsi, la raison ne peut être naturellement qu’en haut alors que le contraire serait une perturbation de la logique rationnelle.

Je pourrais vous en citer pour une page entière mais je ne peux terminer sans évoquer le cas de ma lâcheté à ne jamais dévoiler ma pensée à ce sujet.

Si vous me posez la question, comment vas-tu ? Je ne prendrais aucun risque, je répondrais par, ça va mais il y a des hauts et des bas ! 

Boumediene Sid Lakhdar

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