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Origine et identité en Algérie, la grande confusion ! 

Drapeau amazigh

Si un pays devait être comparé à un corps humain, le squelette serait l’équivalent de sa racine. La partie qui tient et contient les organes vitaux. Le facteur qu’on ne peut modifier. L’identité serait quant à elle, l’apparence extérieure.

Tout ce qu’on peut faire évoluer selon les vents qui soufflent,  l’air du temps, l’histoire et l’interaction avec ses contemporains. Par la guerre, ou par le commerce, le frottement avec l’Autre laisse des traces sur différents niveaux :  la langue, la croyance et même les habitudes alimentaires. L’origine est immuable quand l’identité est évolutive. 

L’origine n’est donc pas l’identité. L’origine est la racine. La combinaison espace-temps. La terre investie de l’ensemble des mythes et expériences partagée par un groupe précis sur un temps long. La résilience de la langue qui, même si elle varie, ne disparait pas. Le socle sur lequel se pose donc une nation, c’est la partie sur laquelle nous n’avons pas ou peu d’influence. On en hérite et on construit dessus. Telle une fondation  sans laquelle rien ne tiendrait debout. 

L’identité, à contrario, est souple. Elle est soumise aux rapports de force entre puissances de son temps.  Aux idées et choix idéologiques qu’elle adopte de force ou de gré. Aux croyances et religions qui la traversèrent. Aux langues qui sont adoptées ou recyclées. Ou tout simplement aux aléas nombreux qui poussent tout homme vers l’exil. Notre identité bouge et se transforme. Tantôt elle évolue en combinaison prospère, tantôt elle régresse quand elle se replie ou se renie. L’identité est quintessence d’une multitude d’éléments, et  l’origine   son essence. 

En Algérie, l’opinion ne différencie pas ces deux notions, d’où la dissonance qui en découle. L’Algérien confond ses origines avec son identité. Sa langue avec sa croyance. Son appartenance ethnique avec sa loyauté envers sa religion. L’idéologie avec la vérité absolue. Il faut avouer qu’on n’a absolument rien fait pour l’aider à clarifier des éléments de cohésion pourtant essentiels à la compréhension de son histoire. A sa survie même comme groupe homogène faisant nation. On le pousse constamment d’un extrême à l’autre. 

L’amazighité,  qui dès la guerre d’indépendance, fut abordée comme un élément de discorde entre révolutionnaires, continue d’être appréhendée sous le prisme confessionnel politisé ou celui de l’idéologie, par définition conjoncturelle. 

Panarabisme et négationnisme originel

Prenons le panarabisme qui s’est construit sur le mythe de l’union. A force d’homogénéisations forcées, il a fini par générer les causes de son propre effondrement. Antagoniste, négateur des différences, dictatorial et impulsif, il a tué la raison et la capacité de ses élites intellectuelles, à adapter leurs pays aux mutations de leur temps. A l’identité d’inclure les éléments qui la fécondent.

Imaginez un arbre planté à l’envers. La partie feuillue destinée à pousser et donner des fruits sous terre, et les racines à l’extérieur pour être taillées. C’est la nécrose assurée ! 

L’intelligence et le bon sens populaires ont été réduits à néant. La créativité criminalisée, et l’art en berne après qu’il fut influent et  universel. Semant la discorde et la frustration, cette idéologie a plus divisé qu’unifié. Pire, elle a transformé la diversité, source de richesse, en carte géostratégique dans les mains de ses ennemis. Intentant à ses propres intérêts territoriaux et sécuritaires. On ne compte plus les erreurs fatidiques, générées par la confusion entre identité et origines, ayant conduit à la fragmentation de la majorité des Etats se revendiquant du panarabisme. 

Aujourd’hui, avec les enregistrements fuités du président égyptien Jamal Abdel Nasser, on s’aperçoit que cette idéologie génératrice d’une identité artificielle, en plus d’être destructrice de l’individu et de ses libertés, s’est avérée également malhonnête intellectuellement et dissimulatrice quant à ses  intentions réelles et bilan. Que de temps perdu et de tergiversations coûteuses pour comprendre que l’opinion dite arabe a vécu de slogans creux et de mensonges.

Que les chocs frontaux n’étaient pas du courage, mais un manque de discernement, de moyens, et de préparation minutieuse. De simples précipitations suicidaires qui ont décimé des armées, ravagé des populations et morcelé des pays. 

La guerre, en plus d’être à multiples facettes, est un art que les  dirigeants nationalistes, n’ont pas su gérer. 

Islamisme et perdition identitaire

L’autre plaie qui crée confusion entre origine et identité, est l’islamisme. Sa conception supranationale du pouvoir. Son approche fascisante de la religion qu’il transforme en machine de guerre pour accéder au pouvoir. Son attachement au ciel et non à la terre. Ses principes prosélytiques transfrontaliers à l’allégeance, sinon floue, vénale et pathétique, ont réduit beaucoup d’Etats nations dits arabes en territoires-confettis dirigés par des émirs-parrains. En nids intégristes violents, où femmes et hommes de nationalités différentes s’octroient le droit de massacrer les populations de pays qui ne sont pas en conflit avec les leurs. Un droit de tuer mercenaire sous couvert religieux qui absout toute règle et frontières qu’elles soient d’ordre éthique, morale, juridique ou territoriale. 

Sous cet ordre fondamentaliste, les origines comme les identités se retrouvent menacées d’une uniformisation aliénante. D’autonégation de leurs propres cultures et langues. D’une atomisation fatale à tout particularisme. L’islamisme est l’un des visages contemporains du néolibéralisme débridé.

En préambule ou en queue des menées néocoloniales, il prépare ou conclut les prédations. Il ne couvre pas uniquement les corps des femmes d’un étendard à son idéologie pour éliminer toute trace visuelle de l’identité mère des peuples, il pulvérise la notion même de  nation.

Semant confusion entre langues et textes sacrés. Culture ancestrale et apostasie. Erigeant son propre temps calendaire d’avant et d’après l’ère de l’état séculaire post colonial dans les pays musulmans. Il est l’illustration même du « chaos constructif».  

Nous avons subi les deux idéologies. L’une après l’autre, puis en mode « pot pourri ». D’où cette négation et méconnaissance de soi. Une schizophrénie identitaire qu’on ne retrouve pas uniquement en Algérie, mais aussi en Egypte, au Liban, en Syrie et dans les pays du Sahel. Des pays qu’on a ramenés de la diversité féconde vers l’uniformité morbide par la force. 

Hirak, la voie oubliée ! 

Cinq années se sont écoulées depuis l’avènement du Hirak. Une éternité selon les valeurs de l’ère numérique et de l’intelligence artificielle. Un temps précieux qu’il aurait fallu davantage investir dans les réformes structurelles réclamées par le mouvement populaire. Dans la remise en question de notre modèle politique et des lois régissant la liberté d’expression. Or, il s’est passé exactement le contraire. On a bloqué toutes les issues d’expression de telle sorte que l’opinion locale se fabrique désormais à l’étranger. Par les blocs mainstream internationaux. Du Golfe arabe aux pays occidentaux. Ou pire au travers d’aventuriers mercenaires populistes et dangereux. 

Une presse aux ordres est un bras de défense collective saboté. Une alarme qui ne sonne plus. Un vivier de louanges qui aveugle davantage des responsables sans idées, au lieu de les mettre devant leurs responsabilités. Pourtant, il est moins hasardeux d’encaisser des opinions contraires chez soi, aussi désagréables soient-elles, que le rapt fatidique de son opinion publique, par des pays tiers.

Surenchérir sur les islamistes. Faire montre d’une orthopraxie encore plus exigüe que la leur, est non seulement un choix qui a déjà fait la preuve de sa faillite, mais il risque de nous conduire vers une autocratisation intégrale. 

Si le pays ne veut pas se transformer en arène taurine qu’on affole d’un simple chiffon, il doit faire de ces attaques médiatiques, des opportunités de débats et de réflexion. D’outils à détecter son talent d’Achille. D’occasions inespérées pour amorcer les réformes nécessaires dans les milieux sinistrés par l’ignorance, la médiocrité et la bigoterie. De l’école élémentaire à l’université gangrenée par les approches  intégristes.

La priorité doit aller à la connaissance académique sans aucune interférence confessionnelle. A libérer le champ de l’expression libre pour convaincre et non contraindre ou emprisonner. Bref sortir du tout répressif qui bouche les issues de la réflexion et des débats salvateurs. 

Donner carte blanche aux artistes et aux éditeurs afin de promouvoir la culture dans toute sa diversité et immensité. Réconcilier tout le peuple avec ses racines amazighes en explicitant l’enjeu d’unité et d’authenticité qui ancrent leurs pieds et renforce leur adhésion à la patrie. Traiter plus largement des siècles précédant l’histoire coloniale française, afin d’enraciner le pays dans sa géographie immédiate et sa profondeur civilisationnelle méditerranéenne. 

Enfin, l’amazighité n’est pas seulement une composante indiscutable de notre identité, elle en est le noyau. Si des parents ou des élèves refusent son apprentissage, ce n’est pas par mépris, mais par manque de pédagogie et de valorisation. L’Algérien pense la langue comme il pense sa citoyenneté qu’il juge incapable de répondre à ses besoins et espérances. Il lui préfère les autres langues européennes, jugées  plus utiles en cas d’exil. C’est du pragmatisme déguisé en nationalisme identitaire. 

Bref, toute acceptation pleine de nos origines amazighes, ne doit pas être appréhendée comme une menace pour la dimension arabophone inhérente à notre identité. Dans un pays de la taille de l’Algérie, la place des langues et autres croyances  ne sont pas une menace, mais une réalité qu’il faudra pleinement assumer et défendre. 

Myassa Messaoudi, écrivaine

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