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Ould Kaddour, patron de Sonatrach, au secours des raffineurs italiens

Hydrocarbures

Ould Kaddour, patron de Sonatrach, au secours des raffineurs italiens

Ainsi, après plus d’une décennie d’importation de carburant pour satisfaire le marché national, les promesses faites pour réhabiliter les raffineries existantes et d’en construire d’autres semblent selon toute vraisemblance redevenir un vœu pieux.

Il faut signaler d’emblée que non seulement l’augmentation de la capacité de raffinage ne constituait pas le vrai problème de la pénurie d’essence sur le marché national mais aussi son échec sonne de tous les côtés. En effet, de nombreux experts se sont déjà exprimés à ce sujet pour réorienter cette question sur la révision du schéma de production des produits pétroliers dans les unités existantes qui restent en inadéquation avec le marché intérieur.

Le PDG de Sonatrach, profitant de son passage à l’usine de Tiguentourine situé dans la wilaya d’Illizi au demeurant fortement médiatisé pour faire une annonce du moins surprenante mais très attendue de sa part, que le mastodonte qu’on lui a confié vient de signer un espèce de contrat de «processing » avec un raffineur italien pour d’abord envoyer une partie de notre brut, certainement homme et bagages pour la transformer en carburant puis le ramener pour le mettre à la disposition de l’utilisateur algérien. Il espère ainsi, selon ses propres termes « faire des économies sur les deux milliards dédiés annuellement à ce produit ». Interrogé par un journaliste de l’APS sur la consistance d’un tel contrat, il le ramène à une simple «location» des équipements de raffinage qui permettra aux équipes de Sonatrach de faire les opérations nécessaires pour ensuite rapatrier le carburant utile pour la consommation nationale. Il est allé plus loin, tout en atermoyant l’éventualité d’une réhabilitation des capacités nationales en prévoyant l’acquisition future des actions et pourquoi pas des raffineries sur place et ailleurs. 

A ce niveau de responsabilité, on ne devrait pas lancer des slogans déroutants sans donner l’essentiel de  ce que devrait l’être. Ainsi de nombreux points ont été éludés lorsqu’on évoque une telle perspective. En louant des équipements de la sorte, le procédé de raffiner ne donne pas que des carburants, que va-t-on faire des coproduits ? Le calcul de rentabilité donnerait un gain de quel niveau ? Quelle est la tendance  du marché mondiale des produits pétroliers en général et des carburants en particulier ? Pourquoi  certains pays producteurs préfèrent continuer d’importer leur complément en carburant que de les fabriquer sur place ou ailleurs ? De nombreux analystes ont pris cette annonce dans sa version plutôt politicienne qu’économique

1- Lorsqu’on raffine un baril de brut, on n’a pas que de l’essence

Il ne s’agit pas de se réveiller de bon matin, de prendre ses bagages et de se diriger outre mer pour déclarer une rentabilité certaine. Il faut une étude de marché de toutes les éventualités pour comparer les prix et opter pour le scénario le plus significativement profitable en tenant compte de l’aspect purement financier c’est-à-dire le niveau réel du gain en coût, quantifier le manque à gagner dans le cas où le procédé aurait été fait sur place. Commençons d’abord par la conversion chimique elle-même. Tenant compte du brut Algérien léger et moins sulfureux, on pourrait arriver à un  taux  de conversion de 45% c’est-à-dire sur une quantité de 100 de brut, on peut avoir les produits ci après en chiffre arrondis pour la tendance uniquement : Essence : 45% ; Carburant distillé : 21% ; Kérosène :9%, ; coke :5% ;Fuel résiduel : 4% ; gaz de raffinage liquéfié : 5% ;Gaz de distillation : 4% ; asphaltes et bitumes : 3% ; Charges pétrochimiques :3% ;Lubrifiants et autres : 1% . Si l’on se limite à l’essence, il va falloir trouver un débouché pour les autres coproduits sinon ils viendront greffer le coût pour voir le prix de la tonne d’essence revenir largement supérieur à celle qu’on aurait importé. En rentabilité et loin de toute considération politique, le processus d’importation n’est pas un acte contraignant pour un pays car il dépend des circonstances du moment. Il n’est pas non plus incompatible avec une démarche économique saine. C’est le marché et l’avantage comparatif qui oriente vers  la voie la plus économiquement indiquée. Cette situation n’est pas étrangère à l’Algérie et bien d’autres pays similaires. Elle s’est posé pour le marché de l’antibiotique par exemple, au moment où il existe une surproduction dans les pays occidentaux qui ont fait d’énorme progrès en matière de santé publique, est il rentable d’en fabriquer dans les pays qui en ont encore besoin ou carrément l’importer au moindre coût. Il ne faut surtout pas comparer cela à l’élevage ovin et bovin. En effet, l’Algérie dispose d’une grande superficie pastorale où les habitants ont acquis un savoir faire d’élevage durant plusieurs siècles. Favoriser l’importation de la viande et du lait industriel, certes à des coûts relativement bas mais cela va les conduire à abandonner par la loi de la compétitivité leur métier séculaire en restant dépendant éternellement de celui qui les approvisionne. L’Algérie, a bien construit la première usine de liquéfaction du gaz au monde en 1964, elle a commencé grâce à une formation tout azimut à maitriser les 4 procédés pour liquéfier le GN en GNL mais par ce qu’elle n’a pas su capitaliser et consolider et surtout fertiliser cet avantage, tout est parti en l’air.

2- Les grandes tendances du marché des produits pétroliers

Si les prix du baril de pétrole ont amorcé une baisse drastique depuis juin 2014 notamment avec l’avènement de la production du gaz de schiste par les producteur américains, les produits pétroliers n’ont pas été en marge de cette tendance qui a confirmé le statut des Etats Unis d’en devenir un  importateur net qui a quelque peu bouleversé les habitudes de ce pays fortement énergétivore. Selon le département américain de l’énergie (EIA) ce pays qui a commencé à exporter à peine 19 millions de tonnes de produits pétroliers en 2011, il en exporte aujourd’hui  4 fois plus. En 2010, ce pays constituait le principal débouché pour l’excédent d’essence dans le monde, aujourd’hui, elle en offre tout en continuant à consommer le quart de la production mondiale en produits raffinés. Si l’on se réfère aux analyses de l’AIE, on s’attend à un déclin net durant les deux prochaines décennies ou éventuellement une très faible croissance de l’ordre de 0,5% pour atteindre en 2030 près de 99 millions de barils par jour contre 85 aujourd’hui. En tout cas, s’il ya croissance, elle sera du côté des pays émergents. La chine à elle seule prendra la part du lion. Par contre les pays industrialisés qui avaient l’habitude de s’accaparer de 70% des fruits du raffinage leur demande a  chuté et de nombreuses raffinerie sont soit fermées soit seront en surproduction de produits pétroliers et par voie de conséquence leur prix restera relativement bas. Il faut insister sur le caractère chronique de cette tendance qui ne s’explique pas seulement par un excédent d’offre du pétrole mais  par le résultat d’un large programme de réformes qui se fonde sur une efficacité énergétique et la promotion de nouvelles technologie peu consommatrice d’énergie fossile. Dans les pays de la communauté européenne qui se situent de l’autre rive de l’Algérie dont justement l’Italie, le fuel qui représentait dans les années 70 plus du tiers de la consommation des produits raffinés, est descendu aujourd’hui à 10% tout au plus. Il ne faut pas se leurrer car cette tendance se poursuivra eu égard aux exigences environnementales. Il n’est pas extraordinaire que le fuel disparaisse complètement du chauffage domestique pour  se limiter uniquement à une utilisation pour des équipements marins.

3- Il existe actuellement un excédent d’essence sur le marché

L’abandon progressif du diésel dans le monde s’est fait et continue à se faire au détriment du gasoil pour aboutir dans le procédé de raffinage à un excédent d’essence qui est une conséquence directe qu’il reste impossible de régler à cause de la configuration du schéma de raffinage lui-même. La proportion d’essence d’une raffinerie est dans la pratique limitée à un pourcentage minimum de 25% quel que soit le schéma de raffinage qu’on veuille imposer. Maintenant cet excédent s’étend de la communauté européenne aux Etats-Unis en quantité abondante et au moindre prix. La demande de l’essence va selon une étude de l’EIA diminuer de près de 80 millions de tonne par an d’ici deux ans. Conséquence : fermeture des raffineries, suivie de leur baisse de prix quelquefois moins de celui du brut. Cela fait que la marge brute de raffinage, qui est la différence entre le prix du pétrole et le prix moyen du panier des produits raffinés qui en sont issus, demeure très faible. Les raffineurs préfèrent donc se dessaisir de leur équipement au moindre prix ou carrément reconvertir les colonnes de distillation en centre de stockage. Cette marge extrêmement basse de raffinage justifie le démantèlement de nombreuses raffineries européennes que le PDG de Sonatrach vient à leur secours pour les louer.

4- Conclusion

Il existe très peu de raffineries construites ces dernières années dans les pays européens, par contre les pays du Golfe ont profité d’un prix raisonnable pour bâtir quelques-une dont le coût global (battery limit investment, utilities etc.)  voire clé en main, est compris dans une fourchette 600-850 dollars la tonne raffinée. En terme simple, une unité complète d’une capacité de 5 millions de tonnes, chiffre qui manque pour résorber le déficit de carburant en Algérie, reviendrait à près de 3,5 milliards de dollars soit moins d’une année et demi d’importation. Alors pourquoi ne pas acquérir une raffinerie et produire sur place au lieu de faire du cinéma en Italie. Est-ce encore un effet d’annonce ? Dans ce cas dans quel but ?  Certainement pas dans l’intérêt économique de Sonatrach.                                                                                              

Auteur
 Rabah Reghis, Consultant, Economiste Pétrolier

 




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