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Pandémie : la terrible injustice de la mémoire collective

TRIBUNE

Pandémie : la terrible injustice de la mémoire collective

En ces temps malheureux sortis d’un autre siècle, si nous excluons les pandémies plus contemporaines comme Ebola ou H2N1, l’humanité se remémore d’autres grandes catastrophes sanitaires avec plus de force dans l’imaginaire collectif. Parmi cette remontée de l’histoire, deux tiennent le haut du podium dans la mémoire des êtres humains, la peste et la grippe espagnole.

Nous nous intéresserons à la seconde car elle a une particularité, elle heurte un grand pays moderne comme l’Espagne. L’adjectif apposé à une terrible maladie n’est franchement pas la meilleure image que peut souhaiter un peuple.

L’humanité n’a jamais adjoint aux autres grandes pandémies un adjectif de localité. On ne dit pas « la peste française, américaine ou japonaise », pas plus que l’on dirait « la rage mexicaine ou bretonne » et ainsi de suite. 

Une seule exception « La grippe asiatique » mais d’une part la dévastation n’est sans aucune mesure comparable, d’autre part on peut considérer que l’élargissement d’un territoire d’origine au niveau d’un continent est moins propice à heurter les sensibilités locales de chacun des pays. 

Les lecteurs pourraient me contredire avec d’autres exemples mais le simple fait qu’ils ne viennent pas à ma mémoire spontanément au moment de la rédaction de cet article réconforte l’argument précédent.

Il y a bien Donald Trump qui a écrit dans une communication officielle « le virus chinois » mais la communauté internationale comme l’opinion interne l’ont immédiatement dissuadé de ne pas poursuivre sur cette voie.

Mais pourquoi cette grippe ravageuse du début du XXème siècle a-t-elle pris un qualificatif faisant référence à un pays dont nous allons voir qu‘il est totalement hors de propos ? Certes, l’Espagne a fini par être touchée mais tardivement par rapport aux autres pays car elle fut très loin d’être l’origine du foyer d’infection.

Nous sommes en 1919, à la fin d’une guerre sanglante qui a secoué l’Europe en laissant sur le champ de bataille un gigantesque nombre de morts après une boucherie sans nom.

Les grippes virulentes ont été, à la fin du siècle précédent, très fréquentes et dévastatrices mais celle qui allait rajouter au drame de la guerre tua des millions de morts. Elle restera à jamais gravée dans la mémoire collective comme l’une des plus grandes catastrophes de l’humanité après la peste des siècles anciens.

Chose tout à fait surprenante et ignorée par beaucoup, c’est aux États-Unis que les premiers cas ont été recensés avant que la maladie se déclare sur le vieux continent avec une virulence et une force ravageuse. 

Et c’est à ce moment qu’on peut trouver l’explication de l’histoire, les belligérants de la grande guerre ne voulaient absolument pas divulguer l’information pour des raisons de gloire et de stratégie diplomatique et militaire tout autant que celle de préserver le moral déjà meurtri de leurs peuples.

L’Espagne fut alors le seul pays qui a publié les premières observations scientifiques à propos de cette épidémie. Une malheureuse Espagne qui n’avait rien demandé à personne pour être neutre et assez dotée, à cette époque, de médecins et de chercheurs.

Voilà comment un pays se retrouve affublé d’un qualificatif négatif qui n’a rien à avoir avec une catastrophe mondiale dont il fut éloigné, n’en étant ni le responsable ni le lieu d’origine de propagation du fléau.

Pire que les rumeurs, pire que les légendes et les médisances, la grippe espagnole restera une référence collée à ce pays aux côtés de celle de la peste de l’Europe médiévale, rien n’y fera. 

C’est totalement injuste mais la définition même de l’injustice est de frapper du sceau de l’infamie les pauvres innocents.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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