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Parrainages pour la présidentielle française : questionnement de la démocratie

Parrainage

La démocratie avance toujours sur des sentiers incertains, seules les dictatures politiques et de l’esprit ont des certitudes.

Aussitôt un régime constitutionnel apparaît, compatible avec elle, aussitôt les débats juridiques et philosophiques surgissent. Celui de la restriction des candidatures à la présidentielle est l’un des plus épineux à trancher, surtout dans une constitution où le Président détient l’essentiel du pouvoir exécutif, à l’image d’un monarque républicain.

Ce questionnement est au centre d’une profonde contradiction, ce qui est consubstantiel à la démocratie, comme à la politique, parce que leur mission est de concilier les oppositions et les contraires.

Partons du dogme central de la démocratie pour lequel le pouvoir souverain appartient au peuple (ou à la nation si on se réfère au débat de 1789). Mais la suite historique de la démocratie fantasmée d’Athènes (aussi mythologique dans son existence qu’irréalisable dans sa pratique) nous apprend que sa version directe ne fut possible que dans de rares pays, si rares que la majorité des étudiants ne saurait en citer spontanément qu’un seul, celui de la Suisse.

Ainsi la représentation indirecte par l’intermédiaire d’élus est devenue le procédé le plus évident jusqu’à présent. Or, dès qu’on franchit une étape dans la consolidation de la démocratie apparait un questionnement qui ne remet pas en cause l’essentiel mais qui est de nature à alimenter des débats, parfois des oppositions politiques et intellectuelles fortes.

La question qui découle de la doctrine fondamentale de la démocratie est celle de décider de la légitimité des candidatures ? Doit-on restreindre les candidatures pour éviter un flot ingérable de candidatures farfelues ou qui encombreraient la procédure d’une manière incontrôlable ?

Le fait même de se poser cette question de la profusion ingérable nous place au cœur d’une contradiction de principe.

La contradiction doctrinale

En France, elle apparaît au lendemain de la réforme constitutionnelle de 1962 instituant l’élection au suffrage universel pour l’accès à la présidence de la république.

Jusqu’alors cette question du filtrage ne s’était jamais posée, en tout cas pas avec cette acuité actuelle, y compris lors de la première version du texte de la 5ème république, en octobre 1958. Le régime parlementaire était, depuis plus d’un siècle, bâti sur le mécanisme parlementaire, soit la nomination du responsable du parti majoritaire au poste de président du conseil du gouvernement. 

C’était la version la plus naturelle, non écrite. Mais même si ce n’était pas le cas, les candidats émanaient tous d’une coalition ou étaient des personnalités qui obtenaient l’appui des principaux partis politiques. C’était parmi les parlementaires qu’étaient choisis les Présidents du conseil, ainsi en avait décidé les constitutions précédentes.

Il n’y avait pas de problème de candidatures dites « farfelues » car les leaders de ces partis, ou les personnalités soutenues, étaient des politiciens chevronnés, légitimés par leurs combats politiques reconnus (donc par leur confrontation aux élections) tout autant, pour la plupart, par leurs fréquents passages dans les gouvernements successifs.

Dès lors que le général de Gaulle voulut que la mainmise des partis ne soit plus la règle en attribuant le pouvoir d’élection du Président au peuple, il s’était imposé immédiatement une nécessité, soit le filtrage des candidatures.

Les principales adoptées sont, l’âge d’accès au droit, déjà présent auparavant, soit 23 ans (redescendu à 18 ans en 2011), la jouissance des droits civiques ainsi que certaines autres capacités légales prévues par la loi.

Mais à l’évidence, ce n’était pas suffisant car cette ouverture à une démocratie très large devait être davantage filtrée pour éviter des candidatures pléthoriques qui n’avaient aucun sens et qui auraient paralysé le système.

Un parrainage de 100 signatures avait alors été institué. Une décision qui avait limité les candidatures, soit 6 en 1965, 7 en 1969 mais d’une manière moins forte en 1974, soit 12 candidatures. C’est ainsi que la réforme de 1976 porta le nombre à 500 signatures d’élus sur tout le territoire national (la représentativité locale diverse sur plusieurs territoires devait être respectée).

Cette grande idée, inédite, du suffrage universel pour l’élection présidentielle venait d’être égratignée d’une profonde contradiction de principe. La remise du pouvoir électif au peuple supposait, dans sa doctrine la plus évidente, que tout citoyen pût en théorie se porter candidat.

D’ailleurs c’est ce qui fut écrit dans la constitution par les mots introductifs « Tout citoyen… ». Par le parrainage, on voit bien la contradiction car les signatures sont très difficiles à obtenir pour un inconnu qui n’est pas dans les hautes instances des partis politiques, à fortiori le leader.

Or le principe du suffrage universel suppose le parallélisme des formes par l’accès libre à la candidature de tout citoyen. Il faut, sereinement, examiner les deux versants du problème, soit la classique revue des avantages et limites de chaque option. Et ce n’est pas simple car les deux nous renvoient à une contradiction apparente avec la démocratie, soit en la dévoyant, soit en la limitant.

Ouvrir le champ des candidatures, c’est dévoyer la démocratie

Comment, dans des conditions de totale liberté de candidatures pourrait-on éviter les candidatures farfelues ? 

Depuis le début de la cinquième république, elles ont été nombreuses et le couperet de l’obligation des parrainages les avait éliminées.

La liste est aussi longue que la diversité des outrances humaines ou des ambitions démesurées. J’ai personnellement un exemple en tête qui m’avait choqué et dont je ne retrouve plus la référence. Il s’agissait d’un gourou d’une secte de « sauteurs ». Leur « méditation transcendantale » (comme le dit un célèbre sketch) consistait à s’assoir en tailleur et sautiller, tous ensemble, comme des grenouilles, avec l’élan de leurs jambes enlacées qui se détendaient brusquement par bonds successifs.

Bien d’autres passèrent par ce ridicule casting qui est risible mais représente néanmoins une insulte aux enjeux éminemment sérieux de l’élection présidentielle, surtout dans la cinquième république.

Dans ces conditions, il était impossible d’ouvrir entièrement le champ de la candidature à tout citoyen sans conditions qui ne puissent filtrer ces candidatures afin qu’elles ne fassent pas de l’élection un spectacle indigne de la démocratie. Le souci est que l’argument s’inverse pour la position contraire.

Limiter les candidatures, c’est porter atteinte à la démocratie

La liberté de candidature, nous l’avons déjà précisé, est la conséquence inévitable de l’appartenance au peuple de la souveraineté.

Les constitutions prévoient, toutes, une disposition équivalente à l’article 4 de la constitution française qui précise : « Les partis et regroupements politiques concourent au suffrage ». C’est-à-dire qu’ils suscitent et organisent l’émergence des pensées et courants politiques et, par conséquent, sont légitimes à proposer des candidatures qui les incarnent.

Mais ces mêmes constitutions n’imposent à aucun citoyen d’appartenir à un parti politique pour jouir de ses droits à la liberté de candidature. Après tout, un citoyen détient, par définition, une part de la souveraineté du peuple, pourquoi serait-il empêché de proposer sa vision et son projet politique ? 

Et ainsi, on pourrait même considérer qu’une candidature iconoclaste, qualifiée par certains comme farfelue, serait concevable. Ce fut le cas de Coluche en France (à l’image de Pépé Grillot en Italie). L’exemple est assez déroutant car on peut toujours trouver en un saltimbanque (pris dans son sens professionnel et non méprisant) une certaine légitimité par la justesse des messages des sketchs et, particulièrement pour Coluche, par son combat militant qui ne faisait aucun doute. 

D’ailleurs nous nous confronterions immédiatement à un souci de doctrine, qui aurait la légitimité de juger du caractère farfelu d’une candidature ? On voit bien le danger car une proposition politique est toujours de l’ordre de la subjectivité et la majorité serait tenté d’imposer ses jugements pour écarter les candidatures qui ne l’arrangent pas.

Très probablement la position de force de certains mouvements détruirait ainsi l’esprit de la démocratie en censurant des idées ou des personnes qui entraveraient leur chemin vers le pouvoir.

Le parrainage par l’argent

C’est un argument dans lequel se sont engouffrés les partisans du parrainage. Il éliminerait le travers de l’exemple le plus caricatural, celui des Etats-Unis. La France a écarté le financement « ouvert et déclaré, sans limites » du financement des candidats par l’apport de fonds financiers.

Non pas que cette possibilité soit interdite mais le plafond de financement reste très encadré, peu de nature à entraver la juste concurrence, en tout cas dans une proportion inacceptable. La raison est simple à comprendre, nous aurions manifestement un pouvoir politique entièrement redevable du pouvoir financier.

Bien que le parrainage par l’argent soit toujours présent, il y a une unanimité de ne pas le laisser déborder, ce qui est constaté d’une manière assez raisonnable en France. Reste alors à examiner le parrainage moral, celui attribué par la signature des élus. 

La position intermédiaire du parrainage par les élus, oui mais…

Confrontés à ce dilemme, les constitutionnalistes français ont cru trouver par le parrainage d’élus une solution intermédiaire. Ils ont estimé qu’elle ne contredirait pas d’une manière outrancière la démocratie tout en évitant les candidatures farfelues qui détruiraient le sérieux et la bonne image d’un scrutin éminemment important.

Comment ne pas y trouver une disposition sage et équilibrée puisqu’il s’agit de corps intermédiaires, des d’élus, donc légitimes à filtrer les candidatures ? C’est certain mais vont se poser d’autres limites, c’était inévitable.

La principale est la question du plafond des parrainages. Il fut de 100 dans la première version pour atteindre à l’heure actuelle 500. Mais à ce niveau élevé, on s’est rapidement aperçu qu’il avait le grand inconvénient de risquer d’entraver des candidatures qui, même appartenant aux extrêmes, étaient loin d’être farfelues. 

Car si nous avons la liberté de militer contre des philosophies politiques comme celle du Front National, du temps du père comme de sa fille, de celle d’Éric Zemmour ou de certains autres candidats des extrêmes, y compris de l’ultra gauche, il est impossible d’entraver leur présence.

Les éliminer poserait un grave problème doctrinal de la démocratie. Comment occulter des suffrages par millions qui, manifestement, adhèrent aux doctrines et projets proposés ?

Non seulement ce serait rejoindre l’écueil que nous avions déjà précisé, contraire à la démocratie, mais ce serait également très dangereux. La marginalisation des opinions extrêmes et leur censure pour une visibilité médiatique comme dans les institutions, peut nourrir des lendemains explosifs.

D’ailleurs, plus cette tentative de marginalisation s’est exprimée, notamment par un mode de scrutin majoritaire puissant, plus ces mouvements extrêmes d’idées politiques s’en sont nourris pour en arriver à des scores sondagiers puis électoraux jamais observés antérieurement. 

A l’heure actuelle, ces mouvements ont des forces en suffrages potentiels qui rend possible leur présence au premier tour, comme ce fut le cas pour Jean Marie le Pen. Qu’Eric Zemmour ne puisse pas obtenir le droit de se présenter me ravit mais me pose un profond souci de conscience démocratique.

Reste le débat sur l’anonymat des parrainages

Si Jean Marie Le Pen, en son temps, et actuellement Éric Zemmour, se sont confrontés au mur du nombre des parrainages, malgré une adhésion record à leurs idées ainsi qu’une foule présente à tous leurs meetings, c’est pour une raison argumentée.

A l’origine, il avait été décidé la garantie d’un anonymat pour tout élu qui accorderait sa signature. Une précaution bien utile car on pensait que l’élu aurait eu des soucis avec son électorat et son parti politique qui lui accorde son investiture sous sa bannière.

Or l’une des philosophies du parrainage est de permettre à un élu de se dire « je ne suis pas du camp de ce candidat mais j’estime que ses idées doivent être représentées pour l’intérêt de la démocratie ».

On s’est rapidement aperçu que cet anonymat servait à une tout autre raison, bien moins honorable. Les partis politiques encourageaient leurs élus à donner leur signature à des candidats qui entravent ceux qui sont leurs concurrents les plus directs.

Une manœuvre qu’il n’était plus possible de laisser se perpétuer. Et la raison à la levée de l’anonymat fut hypocritement justifiée par la nécessité que les électeurs puissent connaître, en toute transparence, quels sont leurs élus qui ont apporté leur parrainage à des candidats.

Ma conclusion, embarrassée

Il faut avoir l’honnêteté de dire qu’après 46 ans de mon premier cours de droit constitutionnel à l’Institut d’Etudes Politiques Paris, je n’ai vraiment jamais réussi à me convaincre d’une solution définitive qui ferait bon mariage entre l’efficacité et la doctrine démocratique.

Cela me permet de revenir à mon propos d’ouverture, la démocratie n’a pas de vérité révélée mais est en perpétuelle recherche d’équilibre.

Comme toujours, dans ce cas si fréquent, la solution la plus solide est l’instruction des populations afin qu’elles opposent à ce genre de questionnement un esprit de discernement acquis par l’instruction scolaire et la pédagogie à la politique.

L’humanité qui avance n’a jamais trouvé une autre arme aussi convaincante que celle des esprits libres et éclairés. Il n’y a pas d’autres garanties plus solides afin de consolider la démocratie.

Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant.

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