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Pascal Bielskis : fragments d’un cri urbain

Pascal Bielskis :

Pascal Bielskis est un écrivain, auteur, poète et chanteur français dont l’œuvre plonge ses racines dans la scène alternative de sa ville natale, Bordeaux. Avant d’embrasser la littérature, il s’est illustré dans la musique — notamment dans le rap — cette traversée musicale marque durablement son écriture : une langue rythmée, fluide, portée par un rapport organique et viscéral à la parole. 

Son chemin d’écrivain débute avec des textes à la frontière du poème et du récit, animés par une écriture spontanée qu’il qualifie parfois d’« automatique ». En 2016 paraît 00:32 (Éditions Collections de Mémoire), recueil de fragments poétiques explorant l’errance mentale, les émotions floues, les états de bascule. Ce premier livre pose les jalons de son style : images sensorielles, atmosphères nocturnes, langue brute et tendue.
L’année suivante, Grande mesure (Éditions Collections de Mémoire, 2017) approfondit cette voie. Dans ce livre, récit et poésie s’entrelacent avec plus d’ampleur, marquant une nouvelle étape : l’écriture gagne en construction sans perdre sa fièvre première.

En 2018, avec Angles olfactifs (Éditions Grand Chic), il amorce un tournant vers la nouvelle, s’attachant au pouvoir narratif des sensations. Chaque texte y devient une plongée sensorielle où les odeurs ravivent souvenirs, vertiges, et basculements subtils.

Ses influences se dessinent avec netteté : l’âpreté du quotidien et l’humour noir de Charles Bukowski, la musique syncopée et les ellipses de Louis-Ferdinand Céline, la liberté rythmique et existentielle de la Beat Generation (Kerouac, Ginsberg). À cela s’ajoute l’empreinte de la chanson française poétique — Léo Ferré, Alain Bashung — et du rap littéraire, de NTM à Oxmo Puccino en passant par Casey, qui ont profondément forgé son oreille.

Peu à peu, Bielskis affirme une voix originale, à la fois urbaine, sensorielle et indisciplinée. Ce travail prend une nouvelle ampleur avec Un appartement festif (Éditions Grand Chic, 2020), puis dans sa seconde édition enrichie, Un appartement festif (Éditions Zola Ntondo, 2022). Ce livre brosse un tableau à la fois acide et tendre de la nuit bordelaise, entre fêtes en apnée, marginalité vibrante, solitude latente et créativité souterraine. Il y esquisse une galerie de personnages en déséquilibre, dans une atmosphère électrique, où l’intime frôle le politique. Le ton oscille entre récit intime, chronique sociale et poème narratif.

Dès lors, Zola Ntondo, maison indépendante bordelaise, devient son éditeur de référence. Ensemble, ils initient une collaboration soutenue. En 2023, il publie Angles olfactifs – Intense (Éditions Zola Ntondo), version enrichie du recueil de 2018, suivi de Les salles sanglantes (Éditions Zola Ntondo, 2023), une fiction grinçante sur les tensions sociales dans les lieux publics, où les cinémas deviennent le théâtre d’une violence latente.

En 2024, deux nouveaux titres paraissent chez le même éditeur : L’utopie des insectes (Éditions Zola Ntondo), récit allégorique sur les dynamiques sociales et la transformation collective, et Pas assez sanglant ? (Éditions Zola Ntondo), roman-satire mêlant polar, critique sociale et humour noir.

Bielskis y explore les frictions entre intime et collectif, chair et béton, violence sourde du monde contemporain et éclats fugitifs de grâce. Fidèle à son style — nerveux, musical, habité — il signe une œuvre dense, marquée par des fulgurances et une lucidité rare.

Le style de Pascal Bielskis se distingue par sa liberté formelle, son oralité affûtée, et une tension constante entre lyrisme et trivialité. Il écrit avec les nerfs, le souffle, mais aussi une attention aiguë aux marges, aux corps, aux vibrations du réel. Sa langue, tendue comme une batterie nerveuse, oscille entre violence et nuance, à l’image des poètes de la désobéissance et des narrateurs du bitume.

Artiste transversal, il incarne une littérature vivante, incarnée, qui se déploie autant dans les livres que dans la performance. Il capte sans romantisme mais avec acuité et tendresse la micro-société bordelaise : ses failles, ses dérives, ses beautés cabossées. Son œuvre, à la fois profondément locale et étrangement universelle, interroge les liens, les marges, les désirs d’intensité et les faux semblants de notre modernité.

En quelques années, Pascal Bielskis s’est imposé comme une voix singulière dans le paysage littéraire contemporain. Entre indépendance farouche et ancrage territorial, il trace une trajectoire libre, à la croisée des genres, des disciplines et des sensibilités. Une écriture qui ne cherche ni à séduire ni à se conformer, mais à percuter, troubler, et dire — sans fard — ce qui palpite sous la surface.

Dans cet entretien, Pascal Bielskis nous ouvre les portes de son univers littéraire et sonore, où la poésie se mêle à la rue, à la fête, à l’écorchure du réel. Écrivain, performeur, ancien rappeur, il explore les marges avec une langue vive, syncopée, organique. De Bordeaux à ses pages, il compose une œuvre hybride, entre roman fragmenté, manifeste urbain et cri intime. Il revient ici sur son parcours, ses influences, sa vision de l’écriture, et les projets qui prolongent sa recherche d’une parole libre, mouvante, insoumise.

Le Matin d’Algérie : Votre écriture oscille entre poésie, récit et musique. Où prennent vie vos textes en premier : dans l’esprit, dans la chair ou dans l’expérience vécue ?

Pascal Bielskis : Je pense que mes textes prennent vie en premier dans l’esprit. Je cultive constamment mon « jardin imaginaire ». Je regarde au moins un film par jour (en moyenne entre 350 et 400 dans une année), je lis des livres tous les jours. Je regarde aussi des opéras. Toutes ces histoires me font penser à un autre sujet, ou à un autre biais de rédaction. Je conseille d’ailleurs aux auteurs et écrivains qui subissent ce que j’appelle « le syndrome de la page blanche ». Donc oui c’est par l’esprit que je visualise mes futurs projets. Et comme tout romancier notamment, une part de vécu apparaît de temps à autre dans mes œuvres.

Le Matin d’Algérie : Dans 00 h 32, vous plongez dans l’errance mentale et les émotions mouvantes. Quelle impulsion initiale a nourri l’écriture de ce recueil ?

Pascal Bielskis : J’ai fait 27 ans de scène (principalement en tant que rappeur) et quand il a fallu que cela s’arrête j’étais pendant un certain temps angoissé. Je fais partie de ces artistes qui pensent toujours à l’après, au projet suivant. Un membre important de ma famille a subi une longue maladie et malheureusement a perdu son combat. À cette époque, j’avais du mal à me coucher tôt. Alors j’ai commencé à écrire des textes de nuit sur Facebook. Il fallait que j’écrive, une thérapie qui fait très souvent ses preuves. Un ami qui était graphiste dans une petite maison d’édition m’a dit qu’on pourrait éditer un livre de recueil de mes textes nocturnes. Au début je n’y croyais pas trop, entre la déception de la fin de ma carrière musicale et l’inconnu de se projeter vers la littérature. Mais mon ami m’a dit de continuer à écrire et qu’un jour il reviendrait me proposer de nouveau de publier un recueil. La première fois qu’il m’a demandé si je me sentais prêt, j’ai dit oui. « 00h32 » est né. Et le début de ma carrière d’auteur/écrivain avec.

Le Matin d’Algérie : Zola Ntondo est aujourd’hui votre maison d’édition privilégiée. Qu’est-ce qui vous lie si profondément à cette structure indépendante ?

Pascal Bielskis : Je connais Zola Ntondo depuis près de 30 ans. Nous avons partagé beaucoup de scènes ensemble, dans des registres différents. Il s’avère qu’il suivait de près mon parcours littéraire tandis que lui poursuivait des études poussées au Conservatoire de Musique de Bordeaux. Un jour je lui ai proposé de corriger et mettre un page le livre d’une personne (j’avais un autre emploi à l’époque qui m’empêchait de faire cette tâche). J’ai proposé à Zola Ntondo de le faire, il a accepté et comme il avait l’expérience d’auto-entrepreneur il s’est dit qu’il pouvait créer sa maison d’éditions. C’est ainsi que sa maison d’édition est née et notre proximité a fait que nous nous sommes rapprochés. Le premier livre publié par les éditions Zola Ntondo est une réédition de mon roman « Un appartement festif ».

Le Matin d’Algérie : Bukowski, Céline, la Beat Generation… Vos influences littéraires sont multiples et marquées. Comment ces héritages se répercutent-ils dans votre façon d’écrire ?

Pascal Bielskis : De la même manière que pour cultiver mon jardin imaginaire. Ces influences me semblaient proches du Rap et du Spam, je me sentais dans mon univers, une certaine zone de confort pour aborder ce monde magnifique mais immense qu’est la littérature. Ces influences sont les premières arrivées mais depuis quelques années j’ai lu les grands classiques de la littérature occidentale : L’Iliade et L’odyssée d’Homère, La Divine Comédie de Dante, Faust de Goethe, du Shakespeare et du Molière, le Paradis Perdu de John Milton, Les frères Karamazov de Dostoïevski… Mais la littérature contemporaine ou plus ancienne du Moyen Orient m’intéresse tout autant. 

Le Matin d’Algérie : La ville, et plus particulièrement Bordeaux, est omniprésente dans votre œuvre. Quelle place tient-elle dans votre imaginaire ? Est-ce un décor, un personnage, un terrain de jeu ?

Pascal Bielskis : Bordeaux est quelque part un « petit Paris » puisque Paris intra-muros est peuplé de provinciaux et notamment pas mal de Bordelais. Ayant été très souvent sur Paris j’y ai retrouvé des similitudes. Bordeaux est une ville de Province avec une histoire riche (et bien entendu, contrastée, on dit que seuls les peuples heureux n’ont pas d’histoire…). Avec Internet, les distances se rapprochent et les villes se ressemblent au final de plus en plus je trouve. Alors il est plus facile pour moi de placer ma ville dans mes histoires. Cela devient donc à la fois un décor, un personnage et un terrain de jeu. Mais Paris n’est jamais très éloigné. Un roman futur se passera en plein centre de Paris, à Châtelet les Halles. 

Le Matin d’Algérie : Vous citez souvent Bukowski, Céline, la Beat Generation, mais aussi des figures du rap et de la chanson. Comment ces influences dialoguent-elles entre elles dans votre écriture ?

Pascal Bielskis : Je peux vous répondre, le rythme. Le rythme de l’écriture, d’une phrase, d’un chapitre guide souvent mes écrits.

Le Matin d’Algérie : Quelle place accordes-tu au lecteur dans ton écriture ? Penses-tu à lui en écrivant, ou est-ce un dialogue qui ne s’installe qu’après coup ?

Pascal Bielskis : C’est plutôt un dialogue qui s’installe après coup. Car si je dois penser au lecteur c’est forcément se fermer un lectorat plus large. C’est comme dans la musique. Si vous composez un album et que vous demandez l’avis de tout le monde, vous n’arriverez à aucun résultat clair. Je pense que l’artiste ou un créatif doit accepter cette part de risque. Après c’est différent si le livre est une commande éditoriale spécifique vers un certain lectorat. Mais cette situation ne s’est jamais présentée à moi. Donc je propose et ensuite le public dispose (ou pas).

Le Matin d’Algérie : Quels sont vos projets actuels ou à venir ?

Pascal Bielskis : J’envisage d’écrire un essai dont je tais la thématique pour l’instant. Et ensuite j’ai un projet d’envergure plus large : écrire dans tous les registres littéraires. J’ai fait du recueil de textes, un recueil de poésies, un recueil de 4 nouvelles, des romans… Il ne me manque plus que l’essai et une pièce de théâtre. Mais sinon j’ai 4 projets de livres actuellement en tête.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Pascal Bielskis : Tout d’abord, encore un remerciement pour ces questions sur mon travail. Je passe aussi le bonjour au peuple algérien. Un de mes deux romans préférés est L’Etranger d’Albert Camus. L’histoire se passe en Algérie. D’ailleurs Albert Camus disait en parlant de quel pays il se revendiquait a répondu : « Mon pays c’est le français ». Je trouve cette phrase magnifique. Et puis n’hésitez pas à suivre mes écrits et projets sur Internet et les réseaux sociaux.

Entretien réalisé par Brahim Saci

https://zolantondo.fr/pascal-bielskis

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