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Paul Ardenne : « Avançons, main dans la main »

Paul Ardenne

Paul Ardenne. Crédit photo : ARTE

Écrire sur Paul Ardenne, cette figure emblématique, savant de l’art, n’est pas une chose aisée, tant l’aura de cet universitaire infatigable, éclectique aux multiples facettes, pour ne pas se contenter d’une discipline, ne cesse de rayonner, et son nom revient à chaque fois qu’un questionnement, un doute, surgissent pour troubler la pensée forgée par le moule des sociétés modernes qui ne voient plus dans l’art que son instrumentalisation, passant outre le créateur et la création.

Des spécialistes érudits comme Paul Ardenne sont indispensables lorsqu’ils sont eux-mêmes et non pas pris dans les tourbillons de l’époque qui va trop vite, filant vers le superflu et oubliant l’essentiel. Paul Ardenne a été agriculteur, avant ses études universitaires poussées, il comprend donc la terre et le ciel et il s’abreuve à la bonne source, celle pure de toute beauté.

Paul Ardenne me fait penser à Gaston Bachelard, ce philosophe de génie au parcours atypique, qui s’est interrogé sur le concept d’obstacle épistémologique pour analyser les obstacles à la connaissance scientifique, autant de séductions qui empêchent la progression de la connaissance, pour un rapprochement philosophique, littéraire, de l’imagination, de la création, dans un élan de non dualité vers la complémentarité.


Paul Ardenne est né dans une famille d’agriculteurs charentais, il exerça un temps la profession d’agriculteur. Il étudie les lettres, l’histoire et la philosophie dans les facultés de Poitiers et de Toulouse avant de faire une thèse en histoire de l’art à l’université de Picardie d’Amiens (« La création plastique contemporaine, formes et contraintes », 1960-2000) sous la direction de l’historienne de l’art Laurence Bertrand-Dorléac avec laquelle il continue de travailler.


Agrégé d’Histoire et docteur en Histoire de l’Art, commissaire d’exposition, spécialisé dans l’art contemporain. Il a enseigné l’histoire de l’art contemporain à la Faculté des Arts de l’université d’Amiens. Paul Ardenne se focalise sur l’art contemporain, il est le témoin et analyste de la culture de son époque, il donne des conférences dans tous les domaines de l’art et de l’architecture, ainsi que dans le domaine de la vidéo d’art.

Écrivain, romancier et essayiste, Paul Ardenne collabore depuis longtemps à des revues et magazines. Son écriture ne cesse d’évoluer dans un souci et une volonté sans cesse renouvelés d’appréhender le réel.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes Bertrand Gervais, Paul Ardenne, figure incontournable de l’histoire de l’Art, qui est Paul Ardenne ?

Paul Ardenne : Un individu sur 8,16 milliards, le nombre d’habitants de notre planète à cette heure. Autant dire une figure négligeable et pourquoi le déplorer ? L’identité est une énigme insondable. Je suis né là, en France, sous un nom que je n’ai pas demandé (et que j’ai modifié), à tel moment de l‘espace-temps cosmique (au moment où s’achève la Guerre franco-algérienne, pour fournir un repère). Un si petit moment, sachant que notre univers compte quatorze milliards d’années d’existence selon le modèle cosmologique fourni par la relativité générale.

J’aurais pu naître ailleurs, à un autre moment ou pas du tout. Dans les Aurès ou en Kabylie il y a dix siècles, ou à Luzon ou Punta Arena il y cinq ou trois mille ans. Qui est-on ? « Dieu seul sait », prétend un proverbe universel, étant entendu qu’il n’est même pas sûr que Dieu se soit donné la peine d’exister. L’identité ? Me concernant, c’est l’errance totale. Ce qui a cette conséquence positive, m’interdire tout arrogance, toute posture fondée sur le lieu de naissance, son moment, la race (il n’y a de toute façon qu’un seul ADN humain) et moins encore l’origine sociale.

Je suis un Terrien sur une planète ayant déjà compté avant moi cent vingt milliards d’autres Terriens, sûrement pas une personnalité incarnant avec un orgueilleux quant-à-soi on ne sait quelle suprématie, blanche, bourgeoise, occidentale, intellectuelle, de genre, de clan, de religion ou que sais-je encore. « Moi » ? Une unité parmi une infinité d’autres, et qui ne revendique rien sinon le maximum de santé, de bonheur et de paix pour tous comme pour moi, sans violence ni prédation si possible (ne rêvons pas trop, cependant : l’inégalité et l’injustice, qui perdurent, sont de puissants facteurs de violence).

Le Matin d’Algérie : Je n’ai pas pu m’empêcher d’évoquer le philosophe Gaston Bachelard en pensant à vous, vous avez tous les deux un parcours atypique, mais soucieux d’être témoins actifs engagés de leur époque, mais lui pense que la vérité scientifique n’est pas le fait de l’expérience, c’est l’expérience qui doit être corrigée par l’abstraction des concepts, n’y a-t-il pas une contradiction avec le travail de l’historien ?

Paul Ardenne : On peut adhérer à ce point de vue, au regard de cette donnée notoire : le monde, le réel ne sont pas ce que veut l’humain, ils ne sont pas d’abord ce qu’encodent notre savoir et notre intelligence mais un devenir matériel qui a sa propre substance, sa mécanique intrinsèque carburant au prorata de lois avec lesquelles l’humain, tard venu dans l’histoire des faits cosmiques, n’a rien à voir.

L’humanité est une conséquence. Ce qu’elle nomme « vérité scientifique » est une somme d’acquis fondés sur l’observation, la recherche et la taxinomie, ce classement des choses sues par entrées spécifiques. C’est là, qu’on le veuille ou non, le résultat d’une « expérience » du monde (experire, « faire l’essai de », nous dit l’origine latine de ce terme), que cette expérience soit volontariste (on cherche), aventureuse (on prospecte dans l’espace-temps) ou hasardeuse (la sérendipité, qui fait que l’on découvre sans s’y attendre).

Vivre c’est expérimenter le réel de toutes les manières possibles, même à ne faire que respirer – respirer aujourd’hui, de la sorte, c’est endurer l’anthropocène et la qualité dégradée de l’air résultant des pollutions d’origine humaine.

L’historien est quant à lui, dans cette perspective, celui qui se repose de l’expérience : les faits ont eu lieu, il est « après ». Ces faits, propose-t-il, recensons-les et mettons-les en ordre en essayant de voir du mieux possible ce qu’ils nous enseignent, ce qu’ils nous disent de nous, ce à quoi ils nous invitent, pour le présent et le futur.

Le Matin d’Algérie : Vous avez enseigné l’histoire de l’art, vous avez beaucoup publié, d’où vient cette passion pour l’art ?

Paul Ardenne : D’une déception absolue. Celle de l’impossible autonomie de l’humain. J’ai grandi, vous l’avez rappelé, dans un milieu paysan, au milieu des animaux, des végétaux, de la terre. Le premier constat que fait l’enfant, dans un tel milieu, c’est celui de sa faiblesse, de son incapacité à ne pas dépendre de tout. De son environnement naturel, de son environnement familial, de tous les dispositifs qui « font » un homme, de l’apprentissage d’une langue complexe à celle des usages sociaux, sur le mode d’une domestication interminable, d’une « orthopédie », disait Miguel de Unamuno. Regardez maintenant les animaux, les végétaux – et constatez leur autonomie. Eux vivent de ce que commande leur survie biologique. Pour le reste, nul besoin de lois, d’écoles, d’académies, de règlements. Pas besoin de représentations – la pie qui marche là dans mon jardin n’a pas écrit ni lu À la recherche du temps perdu. S’en porte-t-elle plus mal ?

J’en viens à l’art et avant lui, en amont, à l’artiste, au créateur culturel au sens large du terme – l’écrivain, le plasticien, le musicien, le dramaturge… indifféremment. Des créateurs de représentations. Ces individus ne peuvent supporter de vivre le monde tel qu’il est et survivent uniquement de le reformuler, d’en modifier la substance par le biais de leurs œuvres, en y ajoutant quelque chose.

Le signe de l’inadaptation majeure. L’art m’intéresse pour cette raison d’abord, comme aveu de l’impossibilité de vivre le réel. Comme faiblesse. Comme pauvreté. Comme stratégie de survie et fabrique de la possibilité de vivre. L’artiste est par excellence l’inadapté, pas dans un sens romantique (l’incompris, le voyant, etc.) mais bel et bien d’abord celui qui doit créer ses représentations pour pouvoir vivre. Cette inadaptation a cette qualité, vous le savez bien, vous qui êtes poète : elle génère le métamonde de l’art, des productions a priori sans productivité mais qui ont ce pouvoir inespéré de nous soulever, de nous valoir un possible accès au sublime. L’art est une formule de transit entre la faillibilité humaine et le pouvoir de générer l’absolu esthétique. La pie de mon jardin n’aura jamais pleuré à l’écoute de la mort d’Isolde mise en musique par Richard Wagner ? Moi si, et je ne m’en plains pas, au bout du compte. Nos mondes cohabitent sans se concilier, avec leurs tactiques de vie respectives.

Le Matin d’Algérie : Le monde va à toute vitesse, l’intelligence artificielle fait peur lorsqu’elle crée des œuvres d’art, elle se nourrit pourtant de l’intelligence humaine, est-ce seulement la peur de nous-mêmes ?

Paul Ardenne : L’IA est un outil, en tout et pour tout. Un outil de plus dans la longue liste des outils dont l’humanité s’est dotée depuis Néandertal et sans doute avant celui-ci déjà. Vitruve le maçon-architecte, en son temps, dessine le plan de ses bâtiments à la main, sur la pierre, quand l’architecte d’aujourd’hui utilise pour ce faire un logiciel génératif appliqué à la conception architecturale : simple logique du progrès technique, dont la finalité générique est d’améliorer la faisabilité, tous domaines confondus. Le « GAN Art », l’art généré par l’IA, qui a déjà une bonne dizaine d’années d’existence, est un outil au service des artistes… ou pas, s’agissant de ceux qui préfèrent refuser cet outil. L’important, en l’occurrence, est moins l’outil que les mobiles qui font qu’on l’utilise ou le résultat que l’on vise en y recourant.

Que les IA fabriquent des œuvres d’art de manière de plus en plus autonome, pourquoi pas ? Aucune raison de s’en inquiéter. Cela n’empêchera en aucune manière l’amoureux du fusain ou le musicien de dessiner ou de composer à l’ancienne. Quant à l’amateur d’art, il fera son choix dans une offre élargie. Il ne faut pas craindre cette concurrence, qui d’ailleurs n’en est pas une. Une démultiplication de l’offre et des opportunités créatives, plutôt.

Le Matin d’Algérie : L’Art évolue, l’art urbain, l’art contextuel, ou sommes-nous encore à la définition des concepts ?

Paul Ardenne : Nous avons élargi la gamme des concepts d’« art » et il faut espérer que cela ne cessera pas – parce que c’est là, somme toute, un signe de vitalité symbolique. La modernité a intronisé le principe de la rupture, le culte du nouveau, l’amour de la variation. S’en déduit une culture de l’instabilité des signes, avec toujours plus de conflits, de différences, de porosité, jusqu’à cette « culture de la prospérité virale » sur laquelle j’écrivais il y a trente ans, dans les années 1990, au moment de son surgissement, à l’heure de l’affirmation « postmoderne » de notre civilisation – le fait qu’en tendance, l’on verse aux combinatoires culturelles, au mix, aux métissages esthétiques parfois les plus inattendus… Ce qui n’empêche pas les cultures plus conventionnelles de perdurer en parallèle, ce qui est une donnée au demeurant normale : chacun sa chapelle, ses chapelles, selon l’humeur et le contexte.

Si nous avons atteint ce jour, à force d’émancipation, l’âge démocratique de l’art, alors il est normal que l’art prenne du point de vue pratique comme esthétique une multitude de formes, de voies, jusqu’à brouiller la définition même de ce qu’est l’« art ». L’art urbain ou encore l’art dit « en contexte réel » (celui qui se fait en corrélation avec des réalités précises, pour les mettre en perspective) ne sont à cette entrée qu’une partie de la production artistique.

L’expansion et la dissémination de la création artistique (toujours plus d’œuvres, en tous genres) sont à la fois un signe d’accomplissement (on donne au monde sa foultitude de représentations) et de désarroi (on ne sait plus au juste quelle représentation du monde doit prévaloir). L’espoir conjugué au désespoir : l’art me dit qui je suis mais tout compte fait, le dit-il vraiment ?

Le Matin d’Algérie : La connaissance de l’histoire de l’Art et l’art en particulier peuvent-ils aider à l’émergence d’une nouvelle conscience ?

Paul Ardenne : C’est indéniable. L’homme est un être de représentations, un Narcisse singulier qui se regarde et tout en se regardant, qui choisit la manière qui lui semble la meilleure de s’esthétiser. L’art est un dispositif spéculaire, son effet est l’effet-miroir : je me posture dans l’œuvre d’art, avec elle, je me jauge par rapport à elle, au musée, au concert, dans mon salon lorsque je lis Le Bruit et la Fureur de Faulkner. Cette œuvre-là parte-t-elle de moi, m’identifie-t-elle, fabrique-t-elle en moi de l’émotion, donc de la vie mise en mouvement ? Plutôt que d’émergence d’une nouvelle conscience, je parlerais plus volontiers d’états de conscience. Le contact avec l’œuvre d’art, s’il agit, génère une friction vibrante, qui émoustille, qui rompt le barrage de la stabilité mentale – un temps ou plus longtemps, selon l’œuvre, selon l’effet qu’elle produit sur nous, passager ici, durable là. L’ami(e) de la vie comme mouvement adhère.

Le Matin d’Algérie : On ne peut parler d’art sans évoquer la liberté, le monde se radicalise, se refroidit, la France des Lumières a failli tomber dans le gouffre de l’extrême-droite, comment sommes-nous arrivés là ?

Paul Ardenne : De multiples hypothèses, sur ce point, sont recevables : le trop de mouvement et trop vite, la perte des références symboliques, la peur de l’autre (l’immigré, africain notamment), la défiance religieuse (à l’égard de l’islam, en France notamment), la réalité belliqueuse actuelle (Ukraine, 7 Octobre-Gaza, violences intercommunautaires ou religieuses d’Afrique sahélienne, équatoriale et de l’est…).

La forte poussée du conservatisme enregistrée en Europe ces dernières années (mais aussi en Argentine comme aux États-Unis avec les partisans de Donald Trump) résulte à cet égard d’un sentiment très fort de perte d’identité, et de repères. Au mouvement démocratique qui prône l’ouverture s’oppose un mouvement réactionnaire qui aspire à un retour en arrière, à la ressaisie de « valeurs » que ce populisme va considérant comme perdues ou en danger de disparition telles que l’autorité, la morale, le mérite ou encore le contrôle étatique des corps. L’historien, sur ce point, nous rappellerait qu’il n’y a rien de nouveau à ces fièvres régressives et que l’histoire en est pleine, à commencer par l’histoire de France (la révolution puis la contre-révolution, la république bourgeoise contre la Commune, Pétain et Vichy contre le Front populaire, etc.). Ce qu’il convient d’entériner, pour la circonstance, c’est le caractère labile du « politique », l’impossible accès à la stabilité. C’est toute l’histoire de l’être humain, au fond, celle du conflit perpétuel – avec lui-même, avec autrui.

Le Matin d’Algérie : La pensée libre est sans cesse menacée et, avec elle, l’expression artistique, la loi des marchés semble s’imposer, la connaissance de l’histoire peut-elle nous éclairer afin de sortir de la nuit ?

Paul Ardenne : Je crains que non. L’histoire, qui indexe la réalité du monde passé, témoigne pour l’heure d’une réalité décidément problématique, plus tendue en tout cas que portée à la concorde interhumaine. Cette histoire rend compte de distorsions continuées que nous n’avons pas jusqu’à présent su surmonter, rien n’indiquant au surplus que l’on puisse les surmonter sous peu. Je songe notamment à l’inégalité matérielle globale, au contrôle économique aux mains de quelques-uns (les « marchés » dont vous parlez à juste titre) et à l’hypocrisie des États dominants en matière de lutte environnementale.

Sans oublier la permanence de ces pratiques de pouvoir ambigües utilisant la culture comme vecteur : l’entertainment, la propagande de type Soft Power, sur fond d’affermissement du « culturel » (le spectacle) contre la « culture » (la réflexion). Le signe, pour le moins, que les âmes de bonne volonté ont encore du pain sur la planche si l’enjeu est de rendre notre monde vertueux. L’éthique, aujourd’hui, est une grande souffrante, elle se voit maximalement mise à mal.

Le Matin d’Algérie : Quelles sont vos influences dans le domaine de l’art ?

Paul Ardenne : Je parlerai à titre de romancier, si vous le voulez bien – à titre de « créateur », donc. Longtemps, je me suis réglé sur la littérature « de fond », Dostoïevski, Proust, Beckett, Canetti…, jusqu’à ce que je renonce à écrire de la fiction, pendant une longue période. Au juste, je n’avais rien à dire, je voulais exister en tant qu’auteur et rien de plus. Un comportement narcissique, pitoyable. Marx a raison quand il prétend, dans L’Idéologie allemande, que les artistes sont avant tout des produits de leur époque, des répétiteurs de la grande Parole collective, celle aujourd’hui que fabriquent les médias de masse et que relaient pour l’essentiel servilement les réseaux sociaux.

Puis j’ai changé mon fusil d’épaule, pour des raisons qui restent obscures pour moi. Je me suis remis à « fictionner » mais selon un principe simple : ne jamais écrire pour produire (deux ans peuvent passer sans que j’écrive une seule ligne de fiction) et n’écrire qu’à partir d’impulsions incompréhensibles.

Une phrase ou une simple formule énigmatique que je trouve dans ma tête le matin, au réveil, au tomber d’un rêve, en l’occurrence. Comment je suis oiseau. Roger-Pris-dans-la-Terre. La Face radieuse de Marie saintes. L’Ami du bien. Juste ces phrases-là. Puis je développe, ou pas. Je n’ai rien de très intéressant à raconter, au fond. Écrire est pour moi, à la fois, un passe-temps et une thérapie introspective.

Le Matin d’Algérie : Albert Einstein disait « C’est l’art suprême de l’enseignant d’éveiller la joie dans l’expression créative et la connaissance », qu’en pense l’enseignant ?

Paul Ardenne : Qu’Albert Einstein a raison, même si le but n’est pas toujours atteint ! Entre les multiples phalanges des humains, les enseignants sont pour moi les êtres les plus précieux et nécessaires qui soient – à condition qu’ils ne fassent pas idéologues ou démagogues, ce qui advient fréquemment (l’enseignant est aussi un individu, avec son histoire, ses convictions propres).

L’éducation, si elle sait être sage, informée, rationnelle et respectueuse, est une des voies du salut social, et les enseignants, les héros de la société ouverte et mature, contre ses ennemis. Je révère ceux qui aident, qui servent, qui ont pris l’option du Care avec la claire conscience que répliquer à la fragilité pour en amoindrir le domaine est le plus grand engagement humain possible. À cet égard, j’ai raté ma vie. C’est aide-soignant que j’aurais dû être, pour servir.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?

Paul Ardenne : Je publie cet automne Redux, le récit administratif de la vie d’une communauté d’écologistes radicaux, installés dans l’ouest français durant les années 2010, dont le désir a été de créer un nouveau mode de vie fondé, si l’on résume, sur l’anthropophobie, la haine de l’humain. La quête de ces « Redux », ceux littéralement qui « reviennent » (à l’essentiel ?) : être humain en cessant d’être des humains. Et j’ouvrirai en février prochain, à Marseille (Friche de la Belle de Mai), l’exposition collective « Âmes vertes. Quand l’art affronte l’anthropocène », consacrée aux nouvelles configurations de l’art dit « écologique ». Une création essentielle, en accord avec le principal combat à mener dare-dare et sans fléchir, le combat contre le réchauffement climatique pourvoyeur des désastres actuels que l’on sait, de la hausse folle des températures aux migrations de la misère en passant par les mégafeux et les variations accélérées du niveau des mers, aux effets côtiers destructeurs.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Paul Ardenne : Oui, tous mes remerciements d’abord pour cet entretien, et pour le travail que vous a coûté sa préparation. Et puis, un mot pour mes amis Algériens, arabes comme kabyles. Peuples de France et d’Algérie, essayons de trouver enfin la voie de l’apaisement. Plus de soixante ans ont passé depuis les Accords d’Évian, retrouvons la voie de l’amitié, de la coopération, des échanges. N’oublions pas la violence des combats et l’injustice coloniale, jamais. Respectons nos morts réciproques s’ils n’ont pas été des monstres et des tortionnaires. Et avançons, main dans la main, en solidarité.

Entretien réalisé par Brahim Saci.

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