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Peintre du laid et du barbouillé

Susan Sontag

Peintre du laid et du barbouillé

« L’art, selon le point de vue exposé par Susan Sontag, doit être diagnostic, et s’il doit nous révéler où nous vivons et comment nous sommes faits, il faut qu’il nous inflige les sentiments caractéristiques de notre époque. » Saul Bellow

Depuis la publication de ses « Notes on camp », Susan Sontag est un auteur « dans le vent ». Son premier roman, « Le bienfaiteur » a eu plus qu’un succès d’estime et a été traduit dans de nombreuses langues. L’épigraphe du chapitre I du « Bienfaiteur » est écrite de cinq mots en français : « Je rêve, donc je suis ». Cette parodie du Cogito pourrait servir de devise à Hyppolyte, le héros narrateur. Vieillard frileux, à demi reclus, « adonné à de bénignes philanthropies », Hippolyte fait un retour sur lui-même, nous parle de son enfance, qui s’est passée dans un milieu aisé, de ses études, de sa brève carrière universitaire, interrompue après la publication d’un unique article philosophique, de ses rêves qui semblent avoir déterminé sa vie.

Dans une première série de rêves, le jeune homme s’est vu dans une chambre close, une sorte de prison avec des chaines au mur – un homme en costume de bain noir l’a accompagné dans une autre pièce et cet individu a invité Hippolyte à danser et l’a frappé. Une femme est apparue dans ce rêve qui lui demande « d’apprendre à saisir les choses avant de les demander ». Après la description de plusieurs rêves, Hippolyte décide sa maîtresse à quitter le domicile conjugal. Il l’emmène vivre dans une ile (grecque ?) puis dans un pays arabe où il l’abandonne à un marchand. Il cherche en effet toujours « à aider les autres » à se réaliser et donne la possibilité à Frau Anders la possibilité de vivre la vie que son subconscient a toujours désiré. Il rentre seul dans la Capitale (Paris ?), fait la connaissance d’un professeur qui l’initie à une nouvelle philosophie. Il devient ensuite acteur de cinéma. Et Frau Anders revient de ses périples arabes.

Hippolyte a peut-être tout inventé. Le narrateur a-t-il passé quelques années en prison, dans une clinique ou dans une maison de fous ? Frau Anders n’est-elle pas un pigment de son imagination ? Dans quelle mesure, Hippolyte est-il responsable de ses rêves ? Ne peut-on vivre en paix avec soi-même, comme le suggère e narrateur, qu’après avoir réduit au silence ses appétits sexuels, ses rêves, les fantaisies de l’inconscient ? Susan Sontag développe son récit avec beaucoup d’habileté. Le cadre est construit avec suffisamment de précision pour donner l’impression de la réalité. Sur cette « réalité » se greffent des incursions dans un monde imaginaire qui est, lui aussi, sans doute réel.

Pour le roman « Le dernier recours », je me suis demandé sincèrement quel était le sujet du livre. Le lecteur moyen, en fermant le roman, aura peut-être quelques doutes en ce qui concerne les intentions de l’écrivaine. Le personnage principal, Dalton Harron, est un américain de trente-trois ans qui travaille dans la publicité. Beau garçon, en apparence doué pour réussir sur le plan matériel, il pourrait être heureux mais tel n’est pas le cas. Dalton est très seul et complètement sevré de chaleur humaine : sa femme l’a quitté, il voit rarement son frère et vit avec son chien dans un triste appartement à New York. Un beau jour, ne tenant plus, il tente de se suicider. Quelques temps après, nous le retrouvons dans un train bloqué dans un tunnel. En se promenant dans le couloir, il constate qu’un homme est en train de dégager la voie avec une hache. Se croyant menacé, il tue l’homme et retourne dans son compartiment. Il y rencontre une femme aveugle dont il fait la connaissance et avec laquelle il consent à vivre mais cette vie à deux ne le satisfait pas plus que sa solitude d’antan. Est-ce que Dalton a vécu cette vie ou l’a-t-il seulement imaginée ? Il est probable que son suicide, en fin de compte, n’aura pas été manqué.

L’ouvrage peut être considéré comme un exercice de description de l’angoisse et du cauchemar de l’homme moderne perdu dans le tunnel d’une civilisation industrielle déshumanisée. C’est aussi une invitation à nettoyer « les conduits encrassés » de la sensibilité. Ecrivaine sérieuse, Susan Sontag l’est certainement mais peut-être pas dans le sens où nous l’entendons. L’humour est rare chez elle qui, acceptant le laid et le barbouillé comme une ressource fondamentale de la peinture moderne, est prête à accepter l’ennui comme une technique indispensable de la littérature. Ses récits ne sont pas distrayants et n’ont pas la beauté lyrique d’un Thomas Pynchon ou d’un Norman Mailer.  

Auteur
Kamel Bencheikh

 




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