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Petites phrases, un impact à risque

Les « petites phrases », ces phrases courtes qu’on retient d’une déclaration ou d’un écrit et qui traversent parfois le temps. Qui ne connait pas leur réalité ?

Elles sont devenues si courantes que leur définition, déjà proposée dans des publications précédentes, a été inscrite par l’Académie française dans son édition de 2011, « formule concise qui, sous des dehors anodins, vise à marquer les esprits ».

Elles sont de tous ordres, philosophique « Je pense donc je suis », littéraire « Ce matin, je me réveille, ma mère est morte… » d’Albert  Camus, le plus connu des incipits littéraires, historique «Du haut de ces pyramides… » de Napoléon,  politique « Un quarteron de généraux… » ou plus divertissante par le cinéma « Vous étiez fiers de vos oliviers… » de Rouiched.

Ces petites phrases sont réellement exprimées lorsqu’on détient des écrits ou des enregistrements mais elles sont souvent mythiques lorsqu’elles sont historiques « Rappelle-toi du vase de Soisson » attribuée à Clovis ou celle de César disant à son fils Brutus qui lui porta un coup fatal « Toi aussi, mon fils ! »

L’apparition des medias modernes et leur multiplication sont bien entendu les responsables les plus identifiés de l’explosion des petites phrases. Ces medias ont besoin d’un mot, d’une phrase qui « imprime dans les esprits » dit-on dans le langage actuel. Alors que pour le passé nous disons « citations », un mot d’ailleurs toujours en cours, l’usage des medias modernes lorsqu’ils traitent de la politique a définitivement consacré l’expression « les petites phrases ».

On ne peut d’ailleurs les en blâmer car il est impossible dans le format comme du temps médiatique de retranscrire ou retransmettre la déclaration ou le discours complet. Ce serait impossible et tout à fait contreproductif.

Les petites phrases sont pourtant les ennemies de la réflexion et du choix conscient et raisonné de ceux qui en sont destinataires. On ne retient souvent d’un homme politique, d’un auteur littéraire ou d’un personnage historique que la petite phrase. C’est évidement la pire chose pour comprendre et juger une opinion politique, la qualité et le sens d’une œuvre ou la réalité historique du personnage et de ses idées.

Lorsque c’est le fait des chroniqueurs littéraires et historiques, il faut une grande érudition pour comparer et prendre de la distance. Lorsque c’est le fait des médias l’homme politique peut encore rectifier le malentendu en reprenant à son compte, par exemple, un autre élément de langage « vous avez sorti ma phrase de son contexte ».

Mais le plus souvent c’est peine perdue car la petite phrase a tellement été reprise, c’est l’un de ses objectifs, qu’elle est définitivement inscrite dans une vérité impossible à remettre en cause. Quant à la petite phrase historique, elle est à jamais impossible à rectifier auprès du grand public.

Car plus les reprises sont nombreuses plus les interprétations le sont. L’auteur de la petite phrase doit alors combattre chacune d’elles qui a grossi et tordu le sens. Combattre la mauvaise compréhension de la petite phrase devient alors impossible tant elle s’est métastasée.

Le pire est lorsque l’action judiciaire ou le démenti interviennent pour rectifier le mal. Non seulement ils ne  l’effacent presque jamais mais ils empirent souvent la résonance médiatique.

Les hommes politiques l’on compris depuis longtemps et ont choisi de les intégrer à leur avantage dans leurs déclarations. Elles deviennent alors des « éléments de langage » qui auront la particularité d’être repris, dérivés et adaptés au moment et au public concerné.

Plus aucun d’entre eux n’envisage un discours sans préparer une ou plusieurs petites phrases en espérant qu’une ou deux sera définitivement sa marque future dans l’histoire et son apogée politique de l’instant. Plus aucun homme politique d’envergure ne peut d’ailleurs se priver d’avoir recours à des communicants professionnels.

Personne ne doute de la préparation du discours de campagne de François Hollande qui clame « Mon ennemi, c’est la finance ». Une petite phrase qui lui a collé à la peau et dont il se serait bien passé s’il avait eu la conscience de son effet désastreux dans le futur.

Toutes les techniques sont utilisées pour retenir l’attention, l’alexandrin lorsqu’il est possible mais désuet, le palindrome dont l’opposition de deux mots renforce l’intonation et celui remis en usage, l’anaphore. Cette anaphore devenue désormais célèbre par « Moi, Président, je… » qui par définition se répète à chaque début de phrase pour accentuer l’effet.

Parfois la petite phrase n’en est pas une à l’origine, c’est-à-dire préparée. C’est le cas de l’actuel Président de la république Emmanuel Macron et son « En même temps ». En fait c’est une expression banale que nous employons tous mais que les journalistes ont repéré dans toutes ses interventions. La différence avec les autres petites phrases préparées est que celle-ci est véritablement révélatrice de son projet politique de polarisation au centre.

La petite phrase devient alors pour ces hommes politiques soit un moyen de notoriété soit un risque collé à jamais à la peau si les situations politiques se retournent. Nous connaissons tous l’expression « les paroles disparaissent, les écrits restent » qui devient aujourd’hui avec les médias modernes « Les paroles et les écrits restent, la mauvaise réputation aussi ».

Quant à l’auditoire, c’est toujours la même rengaine, il lui faut prendre précaution en décortiquant, vérifiant et comparant les paroles et les écrits. C’est une vigilance qui est en principe construite par l’instruction. Mais hélas il y a toujours un risque car le plus souvent un discours politique enflammé parle aux sentiments et pas à la raison.

Quant aux médias, c’est également toujours la même vigilance qui fonde leur métier, on appelle cela la déontologie. Vérifier la réalité de la petite phrase, la remettre dans son contexte, la confronter à toutes les opinions contraires et l’expliquer au public car c’est la définition du mot média.

Et si le lecteur, l’auditeur comme le média ont pris toutes ces précautions, la petite phrase devient alors la richesse de l’expression humaine pour les auteurs.

Pour conclure, je ne peux résister à rappeler la première petite phrase énoncée par le premier auteur de l’humanité. Dans le commencement de tout il avait dit « Que la lumière soit ! ».

Effectivement, rien ne prouve autant qu’une bêtise prononcée par une petite phrase soit à jamais inscrite dans la mémoire collective. Une éternité que nous attendons toujours sa lumière.

Sid Lakhdar Boumediene

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