Pierre Vavasseur, écrivain et journaliste français, s’est imposé par une plume à la fois exigeante et sensible. « Collaborateur du Parisien en tant que grand reporter culture pendant de longues années, aujourd’hui aux pages livres du Parisien week-end, il a exploré avec rigueur les domaines politique, culturel et sociétal, tout en se distinguant dans la critique cinématographique et artistique.
En parallèle de son engagement journalistique, il a publié plusieurs ouvrages mêlant introspection et réflexion sociale.
Parmi eux, La Fin du Monde analyse avec lucidité les crises existentielles et sociétales, tandis que Un manque d’amour, Le jour où j’ai quitté ma femme, Putain d’Adèle et Recommencer abordent les tensions entre l’individu et son environnement. Son écriture, fluide et acérée, capte l’air du temps tout en le questionnant.
Il a également signé des essais littéraires, dont Le Guide des 100 romans incontournables et Le Guide des 100 premières phrases incontournables, dans lesquels il explore les œuvres majeures qui ont marqué la littérature. Sa démarche dépasse l’analyse immédiate pour interroger les ressorts profonds des textes et de la société.
La poésie occupe aussi une place importante dans son parcours, comme en témoigne son recueil Tes yeux poussent la porte du monde, publié en 2012 aux éditions Bruno Doucey. À travers des vers où douceur et intensité se mêlent, il exprime une quête de sens et une réflexion sur l’existence. Son style épuré révèle une profondeur émotionnelle qui transcende la simplicité apparente de ses mots.
Avec Paisible Tourment, son dernier ouvrage, il poursuit cette exploration intime et sociale, interrogeant les fragilités humaines à travers une prose méditative et mélancolique. Son regard lucide sur la société, marqué par l’engagement et la sensibilité, en fait une voix influente du paysage littéraire et journalistique français. Son œuvre rappelle que le doute, loin d’être une faiblesse, peut devenir une véritable forme de sagesse.
Dans cet entretien, Pierre Vavasseur revient sur son parcours singulier entre journalisme et littérature, une trajectoire marquée par l’exigence, la sensibilité et l’engagement. De ses débuts dans la presse écrite à ses romans introspectifs, en passant par la poésie et la critique culturelle, il partage ici son regard sur l’évolution du métier, le pouvoir des mots et les tensions de notre époque. À l’occasion de la parution de son dernier roman, Paisible tourment, il évoque les lignes de force de son œuvre, entre lucidité et quête d’apaisement.
Le Matin d’Algérie : Votre parcours journalistique a marqué plusieurs générations. Qu’est-ce qui vous a initialement conduit vers cette voie, et comment percevez-vous l’évolution de ce métier au fil du temps ?
Pierre Vavasseur : Vous voulez dire que j’ai traversé plusieurs générations ? Car je n’aurais pas la prétention de les avoir marquées. En revanche, et vous le savez vous-même, cher Brahim, la beauté de ce métier est d’observer au plus près les mouvements de la société sans prendre aucun parti, d’être au cœur de l’action sans en être un acteur et je crois que c’est très tôt ce qui m’a attiré dans cette magnifique profession.
Lorsque j’étais gamin, j’écoutais sans cesse les informations, je piquais des sous dans le porte-monnaie de ma mère (qui n’en avait pourtant pas tant que ça !) pour acheter des journaux. J’ai acheté mon premier Canard Enchaîné à l’âge de 14 ans. Et je me promenais au collège avec Le Monde sous le bras. J’entendais qu’il se passait des choses en France mais lorsque j’ouvrais la fenêtre pour m’en assurer, il ne se passait rien dans la rue.
Un jour, à 13 ans, j’ai enfourché mon vélo et suis parti à Paris par la toute national. Six kilomètres après, je suis arrivé à Champforgeuil, un modeste bourg qui possédait un aérodrome. Je me suis arrêté, j’ai regardé des parachutistes sauter d’un petit avion. L’un d’eux est tombé comme une mouche, le parachute ne s’est pas ouvert. Le lendemain dans Le Courrier de Saône-et-Loire j’ai lu qu’il avait fait un trou dans le sol en s’y écrasant. J’ai aussi écrit un petit texte sur des feuilles doubles. Mon premier papier sur le mode « j’y étais ». Cette expérience venait en tout cas de m’apprendre que Paris s’annonçait comme une longue aventure et qu’il ne fallait pas être trop impatient.
La deuxième partie de votre question est une déchirure à laquelle j’ai échappé. Le métier, pour mille raisons qu’il n’est pas nécessaire de lister ici, ne fonctionne plus avec les mêmes rouages. La modernité lui fait du mal. Il faut aller toujours plus vite, au détriment de l’écriture, de la précision des informations, du romantisme qui l’accompagnait et j’en passe. Mais je crois qu’une seule chose compte pour résister à ce qui pourrait considérablement l’abîmer : la vocation soudée au cœur. Et j’y crois.
Le Matin d’Algérie : Vos romans abordent fréquemment des thèmes intimes et existentiels. Qu’est-ce qui vous pousse à explorer ces territoires intérieurs, et comment parvenez-vous à conjuguer expérience personnelle et portée universelle ?
Pierre Vavasseur : Parce que l’écriture est elle-même le territoire… j’allais dire physique…, de l’intimité. Une seule chose m’intéresse pour des raisons liées à mon enfance où j’ai vu mes parents aux vies broyées, privés de bonheur. C’est le sens de la vie qui m’a saisi. Je lisais bien sûr des romans mais je m’intéressais plutôt à des ouvrages qui plongeaient en coupe dans les entrailles de la vie.
Le roman me décevait parce qu’il pouvait avoir, au fond, plusieurs fins, alors pourquoi celle-ci qu’une autre ? En revanche, j’avais fait le chic pour flairer ceux qui s’inspiraient d’une trajectoire personnelle et ce « vrai », cette vérité costumée pour la forme, me passionnait. Car ils répondaient à ma question : que fait-on là ? Miracle enfin, ces histoires toutes singulières, toutes uniques et différentes les unes des autres, ont touché l’universalité de lectrices et de lecteurs tous uniques, tous différents.
Le Matin d’Algérie : Votre recueil Tes yeux poussent la porte du monde a été salué pour sa délicatesse. En quoi la poésie vous offre-t-elle une liberté d’expression différente de celle du roman ou du journalisme ?
Pierre Vavasseur : Parce que la poésie est intrinsèquement libre. Elle est en nous mais elle fait de nous ce qu’elle veut et n’est rattachée à rien sinon les effets tramés des temps qui nous accompagnent et dont nous sommes bien obligés de nous accommoder. La poésie est une impatience lente, un animal des grands fonds, qui ne se préoccupe pas de forme, ni de nous prévenir quand elle nous remonte du ventre. Surtout ne pas l’effrayer. Juste laisser faire. Faire silence.
Accepter de sortir de sa poche un morceau de papier et se laisser guider au hasard des mots par son chant secret sans se demander ce que signifient ces quelques mots qui montent à la surface, attrapent un peu d’air puis nous lèguent une parole d’absence qui fabrique autre chose qu’un discours construit mais qui portent notre mystère. Et quoi de plus universel que le mystère ?
Le Matin d’Algérie : Avec Le Guide des 100 romans incontournables, vous avez partagé votre regard sur la littérature. À vos yeux, qu’est-ce qui fait la force d’un roman inoubliable ?
Pierre Vavasseur : Une phrase, parfois, peut suffire parce qu’elle grandira en nous tout au long du voyage de notre existence. Comme une image qui nous sera inoubliable au cinéma. Mais c’est l’écriture, le style (« le style, disait Céline, c’est le mot qu’on n’attend pas »), parce que sans le style l’émotion qu’elle a mission de porter n’est pas nourrie, pas viable, artificielle, mal assurée sur ses pattes et finit par se déliter. Le style, c’est le souffle, la puissance, la sincérité et les surprises de construction et de récit qu’il produit sur des sujets qui, avec plus ou moins d’évidence, se frottent aux tourments de l’âme. C’est une danse en nous. Je me dis souvent que la chorégraphe Pina Bausch a fait du geste de ses danseurs de la danse évidemment, mais aussi des chapitres de nos vies.
Le Matin d’Algérie : Vous observez depuis longtemps les mutations de notre société. Quels enjeux contemporains vous semblent les plus préoccupants aujourd’hui, et quel rôle la littérature peut-elle encore jouer face à ces bouleversements ?
Pierre Vavasseur : Le premier qui me vient à l’esprit sans réfléchir, c’est l’avènement (quoique je trouve le mot trop joli pour ce à quoi il est rattaché) de l’I. A. Le monde va tenir là-dessus. Nos mémoires vont être déconsidérées, piétinées, niées, calomniées en douce, l’effort de réflexion qui s’habillait de rectitude, annulera cette question du sens qui m’obsède. La vérité et le mensonge vont célébrer leurs noces en ripaillant. L’invasion d’un ersatz d’imagination va nous prendre par revers. Je sens une forme de fascisme et elle ne rampe pas. Tout et son contraire sera dit, reconstruit sans limites sinon celles d’un art et d’une manière de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
J’ai longtemps pensé que la vraie fin du monde pourrait survenir si la science nous permettait de lire en instantané dans la pensée de l’autre. Tout serait immédiatement court-circuité et je ne vois pas comment cela ne pourrait pas finir par un fol effondrement général. Mais l’I.A. est arrivée et même si, elle sera sans doute pour la médecine me dit-on, l’architecture et autres, elle creusera le vide dans nos consciences, ça j’en suis certain. Personnellement, je ne serai plus là pour participer au désastre. L’œuvre d’Enki Bilal illustre à mes yeux d’assez près ce qui nous pend au nez.
Le Matin d’Algérie : Dans Paisible tourment, vous semblez osciller entre apaisement et tourments silencieux. Ce livre témoigne-t-il d’un changement intime dans votre façon d’observer le monde et de le traduire par l’écriture ?
Pierre Vavasseur : Pour vous répondre très humblement, et je pèse ce mot qui a une efficace capacité d’hypocrisie pour faire joli dans le paysage, j’ai le souvenir d’avoir très tôt compris, mais vraiment tôt, vers huit, neuf ans, que le monde est comme une pièce de monnaie qui, tant qu’elle roule, ne peut tenir en équilibre que sur deux faces indissociablement liées et opposées l’une à l’autre. Le bien et le mal, la beauté et la laideur quels que soient les canons de l’époque, la guerre et la paix, l’amour et son contraire, le temps et le manque de temps, tout ceci et tout le reste nous fabrique du tout et du contraire de tout.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Pierre Vavasseur : Boucler pour le 20 novembre, pour une sortie en librairie début 2026 chez Buchet-Chastel, mon sixième livre, L’Homme humilié, pour rendre sa dignité à mon père qui a passé sa vie à être nié et moqué.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Pierre Vavasseur : Deux extraits très brefs, tirés d’œuvres littéraires qui me portent depuis ma prime adolescence, lorsque je les ai découverts dans le cadre merveilleux de la bibliothèque municipale de Chalon-sur-Saône, ma ville natale.
Le premier est extrait de En attendant Godot, de Samuel Beckett :
— « Qu’est-ce qu’on fait ?
— On attend.
— Oui, mais en attendant ? »
Et cette réflexion tirée du « Journal » de Jules Renard.
« J’ai connu le bonheur mais ce n’est pas ce qui m’a rendu le plus heureux. »
Entretien réalisé par Brahim Saci