Il n’y a rien de plus révoltant qu’une œuvre de l’esprit soit accaparée sans autorisation au profit d’une autre personne que l’auteur. Un vol manifeste que le droit a dû encadrer pour enrayer une pratique qui est hélas aussi ancienne que la création humaine. Aucune de ses formes n’est épargnée mais nous nous en tiendrons au livre.
Ce domaine du droit que l’article se propose d’examiner repose sur la législation française ce qui n’a pourtant aucune importance. Car si la compétence de l’auteur de l’article réside en sa connaissance, l’esprit et l’objectif de la protection des œuvres sont universels dans les points les plus fondamentaux.
L’approche concerne donc également les auteurs algériens pour la raison qui vient d’être évoquée mais aussi parce que les plus importants d’entre eux sont publiés à l’étranger, ce qui les soumet à cette universalisation des prescriptions légales.
En aucun cas, il ne sera cité un livre ou un auteur, ce n’est pas l’objet de cet article qui se cantonne aux considérations juridiques.
Cependant, les accusations de plagiat portent une ombre de suspicion qui s’abat sur l’ensemble de la communauté des écrivains surtout lorsqu’il est le fait d’une remise en cause des plus connus d’entre eux.
Il est donc légitime et nécessaire de rappeler (très simplement mais justement) ce qu’est le cadre légal de la protection contre le détournement d’une œuvre. Pour cela nous nous focaliserons uniquement sur la création littéraire car, nous le verrons, le mot plagiat s’y réfère.
Plagiat et professeurs faussaires de l’université algérienne
Que dit le droit ?
Le fondement est immédiatement posé dans l’article 111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) qui définit le droit de propriété sur une œuvre :
-
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous… ».
L’œuvre de l’esprit est donc un droit immatériel indépendant de la propriété de l’objet. Ainsi le lecteur qui aura acheté un livre est propriétaire de l’objet livre mais pas du contenu. L’auteur possède donc une propriété incorporelle sur le contenu.
Le Code de la Propriété Intellectuelle ne définit pas ce qu’est l’œuvre de l’esprit mais en donne une liste dans l’article 112-2 qui cite dans son premier alinéa le livre. Le livre n’étant lui-même défini par aucune loi il faut aller rechercher une définition dans une instruction du 30 décembre 1971 de la Direction Générale des Impôts ainsi que dans un texte européen. Pour la première institution,
« Un livre est un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre ayant pour objet la reproduction d’une œuvre de l’esprit d’un ou plusieurs auteurs en vue de l’enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture… ».
Jusqu’à ce point nous avons établi que le contenu d’un livre était une œuvre de l’esprit incorporelle qui est protégée d’un droit de propriété, le livre étant défini par l’administration fiscale. Il nous reste à définir ce qu’est un plagiat, l’article 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle nous en donne une définition sans jamais citer le mot.
« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
Le mot plagiat n’est donc nulle part mentionné dans le Code de la Propriété Intellectuelle. Il n’a aucune existence juridique. En droit, la copie illégale est une contrefaçon du point de vue sémantique.
Il faut noter que l’utilisation d’un pseudonyme ou la rédaction par un « nègre » (tierce personne qui écrit un livre pour le compte de celui qui en portera la paternité par l’inscription de son nom) ne sont pas illégales même si le dernier cas peut être assimilé à une tromperie envers le lecteur.
C’est l’article 335-2 qui mentionne clairement le mot de contrefaçon en précisant le périmètre juridique de la copie d’une œuvre :
-
« Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ».
Notre déroulement a posé les bases d’une manière très succincte mais suffisante pour appréhender le droit concernant la copie d’une œuvre et a fait apparaître que le plagiat (contrefaçon) est un délit passible d’une sanction pénale. Une évidence que tout le monde sait mais c’est ainsi que se construit une argumentation juridique qui ne veut pas laisser place aux « discussions de comptoir ».
Quant à la sanction civile condamnant le préjudice pécuniaire subi par l’auteur, elle est décidée indépendamment de la procédure pénale qui la devance (en France, contrairement aux Etats-Unis qui nous en donne des exemples par la filmographie, il ne peut y avoir de sanction civile si le pénal n’a pas au préalable décidé de la culpabilité).
Le montant de l’indemnité ne peut être fixé par un texte puisqu’il dépend de l’ampleur du dommage relatif à chaque cas dans lequel l’auteur l’évalue et en demande réparation.
Droit d’auteur et propriété intellectuelle
Il nous faut une dernière précision que nous expliciterons très rapidement. La Propriété Intellectuelle est divisée en deux domaines soit la Propriété littéraire et artistique et la Propriété industrielle. Le droit d’auteur figure évidemment dans le premier groupe et concerne les œuvres littéraires, musicales, graphiques etc.
L’expression « droit d’auteur » est souvent utilisée comme générique à tout le premier groupe alors qu’il n’en n’est qu’une des parties. Ce n’est qu’une question d’usage parce qu’historiquement il est apparu le premier.
Les exceptions au droit d’auteur
Commençons par les cas prévus par la loi qui excluent les copies partielles ou totales du champ de la contrefaçon. La première exception est la limite temporelle du droit d’auteur que le Code de la Propriété Intellectuelle fixe à soixante-dix ans à compter de la mort de l’auteur.
Il faut prendre garde, la limitation concerne uniquement le droit pécuniaire c’est-à-dire la faculté d’en tirer un revenu. La seconde composante du droit d’auteur soit le droit moral sur l’œuvre, la propriété est perpétuelle au profit des ayants droit. Le droit moral interdit de modifier l’œuvre dans ses caractéristiques principales sans l’autorisation des ayants droit.
D’autres exceptions sont citées dans l’article 122-5 du CPI comme l’utilisation dans le cadre personnel, la caricature et le pastiche, la revue de presse etc.
Enfin, le droit ne protège pas les idées et les concepts comme les formules mathématiques et scientifiques. On dit qu’elles sont de « libre parcours ».
L’idée, entendue d’une manière générique, voilà que nous sommes au cœur de la création littéraire car l’idée ainsi que les formes de ses expressions fondent l’œuvre. Quelles sont les frontières qui les excluent de la contrefaçon ?
L’originalité, un concept jurisprudentiel
Les ennuis commencent par cette question qui est centrale. La création étant infinie dans ses formes comment juger de la frontière qui sépare l’inspiration de la contrefaçon ?
Il est évident que la réponse n’est possible que par l’examen de chaque œuvre contestée considérée comme indépendante des autres. La contrefaçon peut à priori difficilement être appréhendée d’une manière générale.
La jurisprudence a cependant estimé que l’originalité d’une œuvre est l’élément commun indispensable pour bénéficier d’un droit d’auteur qui l’exclut de la qualification de contrefaçon. Mais qu’est-ce donc l’originalité, un terme aussi subjectif alors que le droit a besoin de définitions rigoureuses ?
Comme rien n’est simple en droit, l’originalité a été définie par la jurisprudence comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». La belle affaire, une notion subjective pour en remplacer une autre.
Comme les juridictions ne sont pas entièrement dépourvues de raison la jurisprudence a élaboré un certain nombre de repères pour déterminer l’empreinte de la personnalité de l’auteur et donc l’originalité d’une œuvre.
L’originalité exclut d’emblée la nouveauté. L’auteur rédigeant un roman policier ne peut que reprendre les éléments qui le caractérisent comme le crime, l’enquête etc.
La jurisprudence a ainsi dégagé deux éléments en matière littéraire qui caractérisent l’originalité, la composition et l’expression. La composition est en quelque sorte la forme comme l’ordonnancement des chapitres et parties, le déroulement de l’histoire et le plan. L’expression relève du choix des mots, du style ainsi que des tournures de phrases.
Elle estime que l’originalité peut se constater uniquement dans la composition ou dans l’expression ce qui ne protège donc pas l’autre élément.
Cet article n’a pas pour objectif d’étaler une érudition juridique jusqu’à citer des dizaines de décisions judiciaires. Elles ont réfuté ou confirmé l’originalité des œuvres sur des points extrêmement variés puisque nous l’avons déjà dit, les œuvres de l’esprit sont infinies dans leur possibilité créatrice. Mais toujours à l’aide des deux repères centraux que nous avions précisés précédemment, la composition et l’expression.
En conclusion, le droit d’auteur puis l’ensemble du droit sur la Propriété Intellectuelle, a dû se bâtir très prudemment en tentant un compromis avec un autre droit qui est la base de tout, soit la liberté d’expression.
Décider qu’une œuvre est une contrefaçon doit être motivé par des exceptions légales rigoureusement fondées. L’accusation de plagiat ne peut être sérieusement attestée si l’œuvre n’est pas étudiée dans le cadre des critères définis par la jurisprudence. Qui d’ailleurs peuvent évoluer dans le temps puisque la jurisprudence comme la loi ne sont jamais figées.
Mais le lecteur peut tout à fait avoir son jugement et comparer très minutieusement les deux œuvres en question.
Nous l’avons argumenté tout au cours de cet article, une perception de similitudes n’est pas une preuve pour conclure à un délit de contrefaçon. Mais tout de même lorsque de très nombreuses similitudes de forme et de composition sont constatées, il ne faut pas être un expert en littérature (si cette qualification pouvait avoir un sens) pour déclencher une suspicion légitime même si ce n’est pas une vérité judiciaire.
Le droit de la diffamation nous interdit de faire allusion sans preuve à certains romans mais notre pensée est parfois d’un silence qui s’entend.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité