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Plaidoyer pour un régime déclaratif

Tribunal d'Alger

Aujourd’hui encore, en Algérie, des citoyens s’exposent à des ennuis judiciaires et risquent même la prison rien que pour avoir exercé pacifiquement leur droit fondamental à s’organiser collectivement. Leur délit est d’avoir créé ou participé à des associations non agréées par l’administration.

Des poursuites peuvent ainsi être engagées à leur encontre pour « exercice illégal d’une activité associative », un délit artificiellement construit, et souvent qualifié de menace à l’ordre public, alors même qu’il s’agit d’initiatives citoyennes œuvrant à défendre des causes d’intérêt général et le bien commun.

A travers cette entrave majeure, il est évident que ce n’est pas l’activité associative, en soi, qui est sanctionnée, ni par ailleurs la nature des actions, souvent éducatives, sociales, culturelles ou environnementales. Mais l’absence de l’agrément administratif devenu un instrument de contrôle politique. En d’autres termes, ce n’est pas l’engagement qui est interdit, c’est l’autonomie. C’est cette volonté de s’émanciper du système politique et de refuser la caporalisation politique.

La bureaucratisation qui codifie l’exercice de la vie associative, fruit d’une logique de méfiance et de surveillance, constitue une profonde injustice. Son but est d’empêcher l’émergence d’une société civile vivante, critique, capable de proposer, de mobiliser et d’alerter. Cette volonté de caporalisation du tissu associatif n’est qu’un aspect dans une stratégie plus large de verrouillage de l’espace public et de neutralisation des forces autonomes.

C’est cette absurdité que certains citoyens dénoncent parfois jusqu’en s’infligeant le sacrifice extrême. Quand un homme s’immole devant le ministère qui symbolise la justice par excellence, c’est qu’il ne reste plus aucun espace d’écoute, aucune voie institutionnelle pour faire entendre une indignation légitime.

La solution est pourtant simple ; elle réside dans le passage du régime d’agrément à un régime déclaratif. C’est-à-dire en l’application effective d’un principe déjà inscrit dans la Constitution mais systématiquement contourné. En supprimant l’exigence de l’agrément préalable, la base juridique des poursuites tomberait d’elle-même. Une simple déclaration suffirait à créer une association, comme dans toute démocratie digne de ce nom.

L’adoption d’un tel régime constituerait un geste politique fort. Il contribuerait à désengorger les prisons en libérant des détenus injustement incarcérés, à alléger la charge de travail des magistrats et permettrait de tranquilliser de nombreuses familles. Mais surtout, il ouvrirait une voie politique nouvelle, apaisée, fondée sur la confiance plutôt que la suspicion.

La liberté d’association, tout comme la liberté d’expression, ne peut pas être une menace pour l’État. Elle est au contraire la condition d’une organisation solidaire de la société, l’expression d’une démocratie participative, d’une citoyenneté réelle.

Sa consécration permet aux citoyens de s’impliquer dans la vie de la cité, de débattre, promouvoir et bâtir ensemble un avenir commun. En la criminalisant, on ne fait que fracturer davantage la société et nourrir le ressentiment.

Refonder le lien entre l’État et les citoyens passe nécessairement par la reconnaissance pleine et entière de ce droit fondamental. Il s’agit là d’une exigence démocratique. Il est temps de cesser de gouverner par la peur et de permettre enfin à la société algérienne de s’exprimer et de forger elle-même son destin. Car une nation forte n’a rien à craindre de ses citoyens engagés. Elle a tout à y gagner.

Hamid Ouazar, ancien député de l’opposition

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