Mercredi 24 novembre 2021
Planche à billets : une monnaie de singes, qui sont les singes ?
Les finances publiques, c’est la mort de l’économie algérienne. Etant propriétaire des gisements pétroliers et gaziers, l’Etat a donc le droit de s’approprier la rente qui l’a confortée dans la gestion de l’économie et de la société. Il a conçu la rente comme un instrument d’une modernisation de l’Etat sans mobilisation de la nation.
Pour ce faire, il a été conduit à affecter une part grandissante de la rente aujourd’hui en cours de tarissement à la production et la reproduction de la base sociale c’est à dire à la consommation soit directement par la distribution de revenus sans contrepartie productive, soit indirectement par subvention, soit par les deux à la fois. Cette pratique a donné naissance à une véritable débauche des dépenses publiques et à une grande auto-complaisance en matière de politique économique et sociale.
La rente a constitué un soporifique en masquant toutes les insuffisances en matière de production et de gestion. Elle a donné lieu à des problèmes très difficiles à résoudre : le premier de ces problèmes fût posé par des investissements considérables dans les projets inutiles entrepris notamment pour des raisons de prestige ou visant à satisfaire une boulimie de consommation : le second problème résulte des gaspillages des gouvernements en matière de dépenses courantes. Il faut citer les dépenses excessives de certains départements, une augmentation inutile du nombre d’emplois destinés aux fonctionnaires de l’économie nationale, les subventions destinées à diverses activités improductives etc.
Le troisième problème, le plus épineux, devenus excessivement riches à la faveur d’une embellie financière exceptionnelle, les gouvernements successifs, pris dans le tourbillon de l’argent facile de l’impunité, n’ont pas eu la sagesse et la lucidité d’adopter une politique économique saine et rationnelle en matière de dépense, de subvention, de crédit, de change etc. Ce laxisme dans la gestion n’est pas fortuit. Il est le produit de tous les frustrations et traumatismes accumulés. C’est l’explosion des dépenses publiques au-delà des besoins réels de la société et des capacités disponibles du pays. C’est ainsi que le train de vie de l’Etat se trouve sans freins et sans aiguillon.
Que faire pour rationaliser les dépenses pour éviter le recours à la planche à billets ou à l’endettement extérieur ? Nul n’ignore que l’exécution des opérations financières de l’Etat joue un rôle déterminant dans la gestion de l’économie d’un pays.
A une exécution saine des opérations financières de l’Etat correspond en général une économie saine quel que soit le niveau ou le type d’organisation. C’est pourquoi depuis les temps les plus reculés, l’un des premiers soucis des castes dirigeantes était d’organiser les finances d’un pays. D’un point de vue historique et sociologique « le Trésor est une institution qui reflète de très près l’état du pouvoir politique et la situation économique d’un pays ».
A un pouvoir stable et incontesté correspond en général une situation saine et un système financier solide. Au contraire, à un pouvoir instable et contesté correspond en général une situation économique de crise, le système financier s’effrite et en même temps il se trouve entre les mains de chaque détenteur d’une parcelle du pouvoir. Dans leur conquête du pouvoir politique, les dirigeants se sont la plupart du temps efforcé à recueillir l’adhésion des masses populaires pour justifier voire légitimer la place qu’ils occupent. Ils ont très vite compris que le pouvoir politique ne signifiait rien sans le pouvoir financier et ce n’est que par la conquête de ce dernier qu’ils ont pu asseoir leur autorité sur une longue période.
Le droit de « battre monnaie » est un attribut de souveraineté qui remonte à la création des Etats. Le système de financement de l’économie et des ménages apparait essentiellement basé en premier lieu sur le principe de la centralisation des ressources et leur affectation en fonction d’objectifs politiques décidés centralement. L’idée finalement admise voulait que les hydrocarbures devaient assurer les ressources financières et ensuite de les mettre à la disposition de l’Etat qui se chargera ensuite de les répartir entre les différents secteurs économiques pour être finalement utilisées par les entreprises et les administrations.
L’équilibre socio-économique a pu être préservé parce que les problèmes financiers étaient résolus soit par la nationalisation des hydrocarbures, soit par la hausse des prix des hydrocarbures sur le marché mondial.
C’est la colonisation qui a donné naissance aux classes dirigeantes à la suite d’un processus d’indépendance qui ont reproduit médiocrement le modèle de la métropole au dépens de la recherche d’une authentique sociopolitique et socioéconomique propre. L’Algérie est tributaire d’un double passé colonial et précolonial. Les deux passés immédiat et lointain coexistent ensemble au présent. Le turban et le costume. Le turban pour amadouer le petit peuple, le costume pour rentrer dans les grâces de l’occident. Le costume est visible, le turban est invisible. Clanisme et étatisme forment un tout indifférencié. Etat et régime sont cimentés par les pétrodollars. Ils sont comme deux frères siamois.
Tenter de les séparer c’est les condamner à une mort certaine. La science médicale nous apprend que les frères siamois sont issus du même œuf mais la séparation de l’œuf fécondé ne se fait pas complètement. Les deux fœtus vont alors se développés en restant soudés l’un à l’autre. Quand l’accolement entre les deux n’est pas important l’anomalie est réversible, une intervention chirurgicale peut être pratiquée pour séparer les deux jumeaux si aucun organe vital n’est fusionné comme le bras et le thorax.
Par contre elle est pratiquement impossible lorsqu’ils sont connectés par le cerveau ou le cœur car les vaisseaux sanguins du cerveau et du cœur irriguent tout l’organisme. Les pétrodollars sont à la société algérienne ce que le sang est à l’organisme humain. Le pétrole est au cœur du pouvoir en Algérie. Il fonctionne comme une pompe double. Il aspire et refoule des pétrodollars. Il commande la fréquence des battements. Il accélère les battements quand il a peur (baisse des recettes) et les ralentit quand il est détendu (hausse des dépenses).
Pour se protéger contre toute attaque cardiaque, des ponctions sont opérées à l’entrée et à la sortie (à l’exportation et à l’importation), chemin faisant, il forme des caillots qui empêchent le sang (les pétrodollars) de circuler dans l’organisme (production destinée à un marché local en priorité) et de s’oxygéner (transformation de la rente en capital). Quand le cœur et les vaisseaux ne fonctionnent pas correctement, les conséquences peuvent être graves et entraîner la mort instantanée.
Les revenus pétroliers et gaziers sont pour l’Algérie ce que le sang est pour l’organisme humain. Il ne survit pas à une hémorragie. Une hémorragie correspond à une perte importante de sang. Un saignement qui ne s’arrête pas. Il s’agit d’une hémorragie externe. Les fonds se trouvent à l’étranger. Le fleuve ne remonte jamais à sa source. Une vraie richesse se crée, elle ne s’imprime pas. Même si les Etats-Unis font don à l’Algérie de leur machine à fabriquer des dollars qui de surcroît ne leur sert pratiquement à rien. On ne compte plus l’argent avec ses doigts mais avec des machines, des machines qui s’emballent et qui détruisent tout sur leur passage. Un club qui n’accepte que des professionnels comme sur la pelouse. Les amateurs se contenteront de l’image et du son.
Le monde a changé, le temps s’est accéléré, les espaces se sont réduits. L’argent est comme le Covid-19, il est invisible et se propage à la vitesse de la lumière. Le support importe peu. Le billet n’a aucune valeur en soi, c’est la confiance placée en lui qui lui donne sa valeur. La confiance dans la monnaie est l’alpha et l’oméga du lien social. « Avoir confiance dans la monnaie, c’est avoir confiance dans l’institution qui la légitime, dans l’ordre social, dans l’économie » La confiance n’est pas un produit marchand. Une brouette de billets de banque ne remplissent pas le couffin de la ménagère. « Il n’y a plus d’eau, de pain et de pâtes au logis, il faut faire ses courses à Paris ».
Dr A. Boumezrag
P.S.: L’intégration suicidaire à l’économie mondiale sans analyse préalable et sans stratégie réfléchie a poussé l’ensemble de l’économie nationale à l’importation et l’agriculture en particulier à être incapable de reproduire la force de travail de l’homme en Algérie. L’Algérie se trouve dépendante du marché international pour son approvisionnement en produits céréaliers dans la mesure où elle est satisfaite par un groupe limité de pays dont la France d’où l’extrême vulnérabilité économique et la fragilité de son équilibre alimentaire. Une économie dans laquelle le dollar est « le seul décideur » de l’Algérie indépendante. Un dollar qui croit en dieu. L’Algérie croit au dollar. Il est son maître assisté de l’euro, son allié face à ses rivaux. Partout il est chez lui. Il circule librement. Il impose sa loi. Il n’a pas d’opposants. Il n’offre aucune alternative. Le pays est à sa dévotion. Nul ne peut lui résister. Tous s’inclinent sur son passage. Nous sommes tous à sa merci. Les dinars imprimés ne sont que ses enfants illégitimes. Des enfants « x ». Ils sont orphelins. Ils n’ont pas de contreparties en biens et services sur le marché (production locale ou importation). Une brouette de billets pour remplir le couffin de la ménagère. Ce n’est rien d’autre diront les mauvaises langues que du « papier hygiénique » étant donné le manque d’eau dans les robinets. Le protocole sanitaire exige une propreté corporelle à tout instant. Le diable en est témoin. Il est juge et partie. Qui pourra prétendre laver plus blanc que blanc ? Le diable, pardi ! Un ami qui vous veut du bien, « Le vrai responsable d’un mensonge n’est pas celui qui le commet, mais celui auquel on le destine parce qu’on sait qu’il ne supporte pas la vérité. Les mensonges sont comme les crimes. Ils ne sont jamais parfaits. Tant que le mensonge demeure dans notre cœur, il ne sera pas possible de construire un monde meilleur » Philippe Bouvard