Mardi 20 avril 2021
Plus qu’une commémoration, mieux qu’une étape : une perspective
Témoignage. Cela ne commençait pas fort. Les premiers carrés s’étaient ébranlés peu avant onze heures alors que je descendais vers l’entrée de Hasnoua d’où partent les marcheurs. J’étais à la recherche de mes anciens camarades de 1980 : Arab Aknine, Saïd Doumane et Mouloud Lounaouci qui est arrivé un peu plus tard en compagnie de sa petite fille.
Saïd Doumane que je n’ai retrouvé qu’au niveau de l’hôpital a été pris à parti à l’intérieur même de l’université par des policiers en civil qui voulaient lui enlever son portable parce qu’il prenait des photos.
Le dernier carré de manifestants, celui du MAK identifiable à leurs drapeaux qu’ils agitaient, s’était isolé en fin de marche.
Puis le groupe de CRS (une vingtaine) casqués embusqués à l’angle de la rue au-dessus de l’Université vint barrer la route au carré du MAK. Nous les abordons, Arab Aknine et moi-même, pour leur demander de libérer le passage à tous les manifestants pacifiques. Silence, regards fuyants lorsque nous leur disons que c’était leur intervention qui allait déclencher la violence.
Des cris s’élèvent : « ulac smaḥ ulac! pouvoir assassin ! ». Le face-à-face dure, d’autres CRS arrivent en renfort (une quinzaine). La situation paraît compromise.
Un homme d’âge mûr, vêtu d’un burnous de laine blanc, une écharpe à l’effigie du drapeau algérien s’agitait en cherchant à convaincre qu’il y avait un cadre pour les marches acceptables. Il n’a été ni inquiété ni écouté.
Puis, subitement, la petite escouade de Oued Aïssi que nous avions vue partir avec une banderole en hommage aux victimes du Printemps noir revient en courant. Une clameur monte, un tumulte humain s’ensuit.
Des projectiles fusent, un jeune homme est touché à la tête. Le sang gicle et m’éclabousse.
Le rapport de force s’inverse. Les CRS battent en retraite, puis fuient à toutes jambes par la rue par laquelle ils étaient arrivés. D’autres manifestants descendus des montagnes, sans doute arrivés en retard et des habitants des genêts se mêlent à la foule en mouvement. Une gigantesque manifestation s’ébranle au son des chants de Matoub et d’Ali Ideflawen.
Le kabyle reprend ses droits aussi dans les slogans dédiés aux victimes du Printemps noir, comme dans ceux ciblant le pouvoir ou bien encore avec la reprise d’anciens cris de ralliement comme le célèbre « Anwi wigi ? d Imaziγen ! » qui avaient déserté les marches des vendredis. Des jeunes femmes, et même des enfants sont de la partie.
On m’a signalé un petit carré qui s’était porté à la tête de la marche avec des slogans en arabe pour exprimer son soutien au nom du mouvement de février. Plus tard, à hauteur de la CNEP, j’ai aussi aperçu un jeune homme avec un drapeau algérien et une banderole qu’il enroulait, ne sachant qu’en faire, sans doute un reste de ce carré.
Dans leur majorité, ces marcheurs divers ne suivaient personne, ne répondaient à aucun appel, sinon un appel intérieur, écho d’une accumulation de luttes inabouties. Ces hommes et ces femmes venaient d’apporter la preuve que le Printemps amazigh était toujours vivant 41 ans après 80.
Les jeunes qui nous disaient leur joie de retrouver les anciens dans cette marche n’imaginaient pas le bonheur qu’ils nous apportaient en retour. Ce peuple pluriel et digne a su faire preuve de solidarité sur l’essentiel et par là-même d’efficacité dans son action. Généreux, confiant et déterminé, ce peuple qui ne s’était pas rassemblé au sortir des mosquées savait pourquoi il était là. Il sera très difficile de le décourager ou de le manipuler à l’avenir.
Aujourd’hui, il a apporté la preuve que tout était possible.
En se mettant au service d’un ordre inique, les CRS ont donné, malgré eux, une autre dimension à ce 20 avril 2021. Tout comme le wali de 1980 qui avait interdit la conférence de Mouloud Mammeri pour éviter des troubles à l’ordre public avait allumé la mèche du Printemps amazigh.