La disparition du point final dans une phrase, je l’avais remarquée depuis un bon moment chez les jeunes mais la réflexion n’était pas allée au-delà de la constation. C’est la lecture d’un résumé d’un ouvrage du professeur Galles David Cristal, reproduit dans le New York Times, à propos de l’histoire et l’usage de la ponctuation en anglais qui m’en a confirmé l’existence par des observations et des études à ce sujet
(Ce même résumé ayant été traduit en français sur un autre journal, cela m’a permis sa lecture avec une interprétation plus correcte du sens).
Le livre du professeur est le résultat d’une recherche approfondie. Entre de nombreuses considérations, l’une d’entre elles m’a interpelé, « nous sommes à un moment décisif dans l’histoire du point final ».
Le constat est clair, il confirme mon observation de la disparition progressive du point final. Quelle était l’explication de ce mystère ? Je me risque à une réponse qui alterne entre ma propre opinion et celle relevée dans les nombreux résumés que j’ai pu trouver par la suite.
La première se devine assez facilement, pas la peine d’études savantes pour que je la perçoive. Sa disparition progressive est la conséquence de l’apparition des nouvelles technologies. Le but pour ceux qui communiquent est d’aller vite en éliminant la ponctuation finale qui ne leur semble pas utile pour marquer la fin d’un propos.
Tout d’abord parce que la vitesse de la communication en serait affectée. Puis parce que certains supports, comme celui de Twitter (actuellement X), limitent le contenu en nombre de mots.
La nature instantanée de ces nouveaux modes de communication est justement la cause principale de la quasi disparition de la lettre postale.
La spontanéité peut également humaniser la communication puisqu’elle donne l’apparence d’un face à face. Mais alors, pourquoi ne pas utiliser systématiquement une technique qui met en face à face les interlocuteurs comme la vidéo à distance que tous les smartphones et PC permettent de nos jours ?
Cela se fait mais curieusement pas aussi souvent que la technique le permet si ce n’est pour les réunions de travail. Ma tentative d’explication personnelle est que l’écrit instantané (SMS, mails Facebook et autres réseaux sociaux) permet une dissimulation des sentiments par la voix et le regard. Paradoxalement, elle « intimise » davantage la conversation. Elle permet aussi, hélas, la dissimulation du mensonge, du mépris, de la lassitude, de la colère ou autres aspects plus facilement reconnaissables par la vidéo. Elle permet également de dissimuler le visage de l’interlocuteur à la vue des personnes à proximité.
Et puis, ce qui ne peut être occulté par sa réalité, l’écrit permet le dialogue par l’anonymat et donc par la voie ouverte aux insultes et obscénités.
La seconde affirmation des études m’était en revanche totalement inconnue. Il faut d’abord rappeler que cette disparition concerne surtout le point final. Alors qu’il a toujours été le signe d’une fin de texte, il en est autrement aujourd’hui dans de nombreuses formes d’écrits.
Ce que m’apprend cette étude est tout à fait étonnant. Le point final est de nos jours ressenti comme une forme de sentiment dévoilé. Le mettre serait considéré comme une marque désobligeante. Nous utilisons bien l’expression « Point final » pour signifier à notre interlocuteur qu’il n’y a rien à ajouter, que c’est le dernier mot et qu’il est inutile de continuer, la décision est prise ou que l’opinion est définitive.
Il a été remplacé par d’autres formes plus expressives, en négatif comme en positif. Les écrits l’ont substitué par des expressions courtes pour finaliser le propos. « Bien, très bien, ok, À +, etc…).
Plus étrange encore, ces mots peuvent être eux-mêmes des accentuations du propos par une ponctuation. Par exemple, « Bien ! » ou « Bien. » qui peuvent signifier la même humeur négative que celle du point final. Etonnant, ce qui a été supprimé pour ne pas sembler irrespectueux est utile pour le rendre encore plus irrespectueux.
Comme je n’ai pas été jusqu‘à une compilation exhaustive de ces études, je ne doute pas qu’ils aient évoqué la même disparition progressive de nombreuses autres ponctuations. Ce qui se perçoit d’ailleurs dans le titre du livre de notre professeur cité au départ de cette chronique.
La virgule, le point-virgule, le point d’exclamation, les deux points d’annonce, les parenthèses, les guillemets en sont les exemples les plus communs. Leur disparition peut aller jusqu’à la perte de sens ou créer des sens équivoques.
L’un des exemples les plus célèbres : « nous allons manger les enfants » et « nous allons manger, les enfants ! ». C’est dire combien l’absence de la virgule peut être un danger fatal.
J’en ai terminé avec vous. Épicitou !
(Le point et le point d’exclamation sont-ils suffisamment visibles pour vous signifier ma fatigue de tout vous expliquer par ma grande prétention ?).
Boumediene Sid Lakhdar