Depuis plusieurs jours, la chanteuse algérienne Zakia Mohamed fait l’objet d’une campagne de dénigrement virulente sur les réseaux sociaux. En cause : des vidéos postées sur sa page Facebook où l’artiste proclame haut et fort son attachement à l’Algérie dans toute sa profondeur amazighe, bousculant ainsi les partisans d’un récit identitaire fondé exclusivement sur l’arabité.
Dans l’une de ses publications les plus commentées, Zakia Mohamed rappelle une vérité historique : Okba Ibn Nafi, général omeyyade, n’était pas algérien mais un conquérant venu de l’Orient. Cette déclaration a suffi pour déclencher une vague d’indignation chez certains militants arabistes, qui continuent de promouvoir une lecture univoque de l’histoire de l’Algérie, niant ou minimisant les racines autochtones du pays.
Une artiste engagée dans la défense de l’identité amazighe
Artiste de scène et de conviction, Zakia Mohamed ne s’est jamais contentée de chanter. À travers ses prises de parole publiques, elle s’inscrit dans une tradition de résistance culturelle, celle d’une Algérie plurielle où l’amazighité ne se vit ni en marge ni en opposition à l’arabité ou à l’islam, mais comme un fondement historique et civilisationnel de la nation.
Ses vidéos, dans lesquelles elle revendique une lecture décomplexée de l’histoire, dérangent. Non pas parce qu’elles seraient haineuses — aucune incitation à la violence n’y est relevée — mais parce qu’elles remettent en question un récit sacralisé par certaines sphères idéologiques. Dans une Algérie où les enjeux mémoriels sont toujours l’objet de luttes symboliques, rappeler que les conquérants arabes n’étaient pas autochtones reste un tabou pour beaucoup.
Une offensive coordonnée sur les réseaux sociaux
Les attaques contre l’artiste se sont intensifiées ces dernières 48 heures, alimentées par des pages Facebook et des militants politiques exigeant la fermeture de son compte et son arrestation pour “atteinte à l’identité nationale” et “incitation à la haine”. Certains vont jusqu’à demander des poursuites judiciaires, en invoquant la “protection de l’unité nationale”, un argument souvent brandi pour museler les voix dissidentes.
Cette campagne a franchi un cap inquiétant : elle ne cible plus seulement des idées, mais une personne, une femme, une artiste, coupable d’avoir mis des mots sur une mémoire refoulée. Or, dans une démocratie digne de ce nom, la diversité d’opinions ne saurait être criminalisée, surtout lorsqu’elle s’exprime dans le respect des faits historiques et sans appel à la violence.
Quand la liberté d’expression devient un délit d’opinion
Il est alarmant de constater que dans l’Algérie d’aujourd’hui, affirmer son algérianité amazighe puisse être interprété comme un acte de subversion. La liberté d’expression, pourtant garantie par la Constitution, semble à géométrie variable dès qu’il s’agit d’identité et de mémoire.
Zakia Mohamed n’a fait que rappeler que l’histoire de l’Algérie ne commence pas avec les conquêtes arabes. Elle commence bien avant, dans les montagnes, les langues et les traditions d’un peuple enraciné sur cette terre depuis des millénaires. En cela, elle n’insulte ni les Arabes, ni l’islam, mais réhabilite une part essentielle de l’héritage national.
Une société en mal de pluralisme
Le traitement réservé à Zakia Mohamed révèle, une fois de plus, l’immaturité du débat public sur les questions identitaires en Algérie. Au lieu d’ouvrir des espaces de dialogue, certains préfèrent les fatwas numériques et les campagnes de diffamation. Pourtant, l’Algérie ne pourra construire une unité solide qu’en acceptant la diversité de ses composantes : amazighe, arabe, islamique, méditerranéenne et africaine.
La société civile, les intellectuels et les artistes doivent aujourd’hui refuser cette dérive inquisitoriale. Défendre Zakia Mohamed, c’est défendre le droit de chaque Algérien à dire qui il est, sans peur ni pression. Car une identité niée finit toujours par se venger de ceux qui l’ont refoulée.
Il est indéniable que les propos de Zakia Mohamed relèvent d’une lecture conforme à la vérité historique. Okba n’a jamais été un fils de cette terre, et cela ne devrait pas choquer dans un pays qui aspire à la réconciliation avec toutes les strates de son histoire. »
Samia Naït Iqbal