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Pour comprendre l’impact des mesures tarifaires prises par les USA sur l’économie algérienne

Importations

Mouloud Hedir du Cercle d’action et de réflexion pour l’entreprise (CARE) décrypte l’impact des mesures tarifaires prises par les USA sur l’économie algérienne.

Il est difficile d’évaluer correctement les décisions de politique commerciale externe que le président Trump a prises au début du mois d’Avril 2025, à raison aussi bien de l’ampleur des mesures annoncées, de l’imprévisibilité qu’elles introduisent dans le système commercial mondial et de la versatilité de leurs modalités de mise en œuvre. L’objet de la présente note de CARE est de tenter de comprendre cette nouvelle politique commerciale que les USA entendent promouvoir et, par là-même, d’en apprécier l’incidence à l’échelle de l’économie algérienne.

  1. De quoi s’agit-il ? 

Les USA ont décidé que le système commercial mondial, tel qu’il fonctionne actuellement, est largement défavorable à leur économie et qu’il contribue à la désindustrialisation de leur pays et à la fuite des activités et des emplois vers le reste du monde. A leurs yeux, cela se traduit par un déficit commercial structurel et croissant depuis de longues années, et qu’ils considèrent comme une menace à laquelle il convient de mettre fin, en optant pour les principales mesures suivantes :

  1. Qu’en est-il de l’argumentation de l’administration américaine justifiant les mesures tarifaires annoncées ?

Pour tranchantes et surprenantes qu’elles soient, les mesures tarifaires américaines étaient clairement affichées dans le programme électoral du président Trump et donc largement prévisibles. Quant à saisir leur motivation profonde, il suffit d’observer l’ampleur prise depuis de longues années déjà par le déficit global des échanges commerciaux de marchandises des USA. 

Evolution du Déficit Commercial des USA – 2005 à 2024 – Mds de $US
20052010201520202021202220232024
8346908139821 1811 3131 1531 295

La balance commerciale des USA est structurellement déficitaire depuis de longues années. Ce déficit s’aggrave, de plus, d’année en année. Le souhait de mettre un frein à ces déficits croissants est donc en soi un objectif raisonnable et qui peut parfaitement être entendu. 

Il reste cependant que la méthode utilisée, celle d’un ajustement brutal et systématique des tarifs appliqués sur tous les produits importés aux USA et avec l’ensemble des pays du monde, soulève de nombreuses questions. L’une de ces questions a trait à la légalité même du procédé utilisé.

  1. Quid de la légalité de cette ordonnance exécutive du Président Trump portant régulation des importations sur le sol américain ?

La constitution américaine prévoit, en son article premier, section 7, que « Tous projets de loi comportant la levée d’impôts émaneront de la Chambre des représentants ; mais le Sénat pourra proposer ou accepter des amendements à y apporter comme aux autres projets de loi ». De même, la section 8 du même article premier dispose que c’est le Congrès qui « aura le pouvoir : (…) – de réglementer le commerce avec les nations étrangères »

C’est pour contourner cet obstacle constitutionnel que l’ordonnance du Président Trump a invoqué la section §1701 du National Emergencies Act (NEA) des États-Unis qui prévoit que « Le président des États-Unis peut déclarer une urgence nationale lorsqu’il identifie une menace inhabituelle ou extraordinaire contre les États-Unis, ses territoires ou ses citoyens, qu’elle soit d’ordre militaire, économique, technologique ou autre ». Cette déclaration permet d’activer des pouvoirs exceptionnels », parmi lesquels, « la régulation des importations et des exportations », mais pouvant aller beaucoup plus loin, jusqu’au blocage des biens étrangers, à l’imposition des sanctions économiques, à l’interdiction d’entrée des étrangers, etc…

Si les pouvoirs reconnus au Président américain en situation d’urgence nationale concernent parfaitement le contrôle du commerce avec l’étranger, il est difficile en revanche de penser que la question des déficits de la balance commerciale soit assimilable à une « menace inhabituelle et extraordinaire contre les Etats-Unis ». Cela demeure encore plus malaisé à admettre quand on sait que le tarif douanier consolidé applicable aux importations fait partie d’un engagement international, dûment ratifié par le Congrès des Etats-Unis, dans le cadre de l’acceptation de leur statut de membre de l’OMC – Organisation mondiale du commerce, une institution boudée jusqu’ici mais de laquelle ces derniers ne se sont toujours pas retirés. Au demeurant, la Chine et le Canada ont même déposé une plainte officielle devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC, pour contester les mesures ainsi décidées par l’administration US. 

C’est donc un véritable paradoxe que cette situation où les USA en sont arrivés à invoquer l’application par eux-mêmes de leur propre législation économique et commerciale comme une menace justifiant le recours à la déclaration d’une situation d’urgence nationale. 

Au total, il y a tout lieu de penser que les nouvelles mesures tarifaires donneront lieu à des contentieux multiples devant les tribunaux américains. Toutefois, comme de telles démarches légales sont par essence longues et fastidieuses, il est vraisemblable que, dans l’intervalle, de très nombreux partenaires commerciaux opteront pour la voie de la négociation, contribuant dans la pratique à une forme de remodelage, non encore clairement définie, du système commercial mondial, recherché par l’administration américaine. 

  1. Une puissante secousse qui ébranle l’économie mondiale

Les mesures tarifaires de l’administration Trump, par leur ampleur, leur brutalité et l’incertitude intrinsèque de leur mode de mise en œuvre contribuent à une désorganisation en profondeur des chaînes d’approvisionnement, qui menace le fonctionnement de l’économie mondiale dans son ensemble. Tout laisse à penser que le choc immédiat provoqué à la suite de l’annonce des nouvelles taxes douanières américaines va devoir se prolonger et, saut revirement, risque même de s’amplifier au cours des mois et sans doute des prochaines années :

* Certains partenaires commerciaux des USA ont annoncé des contre mesures de nature à affecter sérieusement les échanges avec ce pays. Les risques d’escalade sont réels, en particulier avec la Chine et, à un degré moindre, avec l’Union européenne, les deux économies les plus puissantes aux côtés de celle des USA ;

* La déclaration du président Trump du 02 avril 2025 en appelait à des négociations bilatérales directes avec chacun des partenaires concernés. Cependant, et même dans l’éventualité où un tel processus pourrait s’engager effectivement, l’ampleur d’une telle négociation touchant l’ensemble des produits du commerce US et l’ensemble des pays partenaires prendrait à minima plusieurs mois, une période durant laquelle l’impact sur la croissance de l’économie mondiale serait en tout état de cause incommensurable ;

A ce stade, l’imminence d’un véritable blocage de l’économie mondiale avec des effets récessifs pour tous les pays du monde, USA y compris, a conduit le président Trump à suspendre les mesures pour une période de trois mois les mesures tarifaires réciproques, conservant néanmoins le principe du tarif minimal additionnel de 10%. Néanmoins, cette suspension temporaire ne s’applique pas aux importations en provenance de la Chine, donnant ainsi lieu à une guerre commerciale ouverte entre les deux premières puissances économiques mondiales. 

Aussi, quand bien même le moratoire actuel aura été accueilli positivement sur les marchés, la menace d’une récession économique mondiale sévère reste donc plus que jamais présente. La chute importante et rapide des cours observable sur le marché pétrolier mondial est un des signes de cette menace de plus en plus palpable et de l’incertitude qu’elle fait peser sur l’état général de l’économie mondiale, au cours des prochains mois. 

  1. Une démarche tarifaire incohérente et hasardeuse de la part des USA  

Si, comme on l’a vu plus haut, la préoccupation du rétablissement d’un meilleur équilibre de ses échanges commerciaux avec le reste du monde peut paraître légitime, la démarche adoptée pour y parvenir paraît plutôt inadéquate et, à plusieurs égards, incohérente. En effet, même en passant outre les inévitables tensions inflationnistes sur le marché US, inhérentes à des coûts d’importation plus élevés, plusieurs questions demeurent posées :

i)- l’objectif affiché étant de stimuler la production sur le territoire américain de biens aujourd’hui importés, on aurait parfaitement compris que l’administration US se fixe des objectifs précis et particuliers en termes d’industries qu’elle considère comme stratégiques ou prioritaires à un titre ou un autre et qu’elle souhaiterait protéger de la concurrence externe. Mais le procédé consistant à imposer des tarifs additionnels systématiques sur la quasi-totalité des produits importés rend la démarche inutilement complexe et crée plus de problèmes qu’il n’est supposé en résoudre ;

ii)- De la même manière, le ciblage systématique de toutes les productions agricoles ne parait pas très rationnel : en quoi des tarifs douaniers plus élevés aideraient-il à stimuler la production aux USA du café brésilien, des épices de Madagascar, du cacao ivoirien ou des dattes algériennes ? 

iii)- la logique qui est à la base du niveau retenu pour les tarifs réciproques est en elle-même difficilement compréhensible. En quoi l’imposition d’un tarif réciproque additionnel de 50% sur les 242 millions de $US d’exportations du Lesotho, de 47% sur les 750 millions de $US de Madagascar, de 44% sur les 683 millions de $US du Myanmar serait-elle de nature à réduire les 1 265 Milliards de $US de déficit commercial américain enregistré en 2024 ?

iv)- dans la mesure où, sur le fond, c’est l’ouverture d’une négociation commerciale avec les pays à l’origine des déficits commerciaux US qui est recherchée, rien ne s’opposait dès le départ, à aller rechercher des compromis acceptables aux yeux de l’administration commerciale US avec ces mêmes pays, sans prendre le risque d’une récession mondiale et sans avoir à menacer inutilement autant de pays. 

Cela parait tellement évident quand on observe que 10 partenaires commerciaux (Chine ; UE ; Mexique ; Vietnam ; Taipei Chinois ; Canada ; Japon ; Corée ; Inde & Thaïlande) concentrent à eux seuls 97,4% du déficit commercial américain de l’année 2024. Observons du reste qu’une négociation sereine aurait été d’autant plus appropriée que, en dehors de la Chine, tous ces pays sont des alliés plus ou moins proches des USA, depuis longtemps.

Au final, c’est tout le projet ainsi porté par la nouvelle administration américaine qui semble hasardeux, dans sa conception comme dans son mode de mise en œuvre.

  1. Quel impact sur les exportations algériennes ? 

C’est la question essentielle qui nous interroge et nous intéresse, et sur laquelle CARE appelle à ouvrir le débat.

C’est bien connu, l’Algérie exporte essentiellement des produits hydrocarbures, en direction des Etats Unis d’Amérique – comme en direction du reste du monde, il faut le souligner. Les hydrocarbures représentaient quelque 82% de nos exportations vers ce pays, au cours de l’année 2024. Les autres 18% de produits hors hydrocarbures exportés sont principalement les engrais, les pneumatiques, les ciments et les aciers, soit dans l’ensemble des produits tous fortement énergivores. 

De ce point de vue, il est patent que, comme on l’observe déjà, ce sont les fortes perturbations générées à l’échelle de l’économie globale et leurs conséquences inévitables en termes de baisse des prix du baril de pétrole, qui constituent la principale source de préoccupation pour l’Algérie. 

Le principal risque pour l’économie algérienne est donc bel et bien celui d’une chute importante de la valeur de nos exportations non seulement vers les USA, mais également vers le reste du monde, résultat d’une évolution défavorable et d’ampleur du marché pétrolier mondial au cours des prochains mois ou même des prochaines années. 

6.2 – L’autre menace, plus directe quant à elle, est celle de l’incidence sur nos exportations futures vers le marché américain. Une taxe dite « réciproque » de 30% devait en principe être imposée aux exportations algériennes à compter du 9 avril 2025, censée corriger le déséquilibre des échanges tel que perçu par l’administration commerciale américaine. Ce qu’il faut retenir, à ce stade, ce sont deux éléments importants :

– d’une part, il apparaît que nos exportations d’hydrocarbures vers les USA ne sont pas concernées dans l’immédiat par cette taxe réciproque. Cela étant, il importe de garder à l’esprit que cette exemption n’est pas permanente, la déclaration des autorités américaines ayant laissé entendre que celle-ci pourrait être remise en cause à tout moment et au cas par cas si, selon elles, les partenaires commerciaux concernés n’assouplissaient pas, de leur côté, les conditions d’accès des produits US sur leur marché interne ;

– d’autre part, et à raison des turbulences importantes apparues sur les marchés mondiaux, la date de mise en application de la taxe réciproque de 30%, censée au départ démarrer le 9 avril 2025, a finalement été reportée pour une période de trois mois. Dans l’intervalle, les exportations en provenance du monde entier se verront appliquer la même taxe minimale uniforme de 10% à leur entrée sur le territoire américain. Si cette suspension des tarifs douaniers supplémentaires de 30% est bienvenue, il importe toutefois de ne pas perdre de vue qu’elle n’est que provisoire.

6.3 – Le tableau ci-dessous établit un point de situation sur le niveau de nos exportations à fin 2024 vers les USA et sur les conditions dans lesquelles l’accès de nos produits va devoir s’y opérer au cours des prochaines semaines et des prochains mois.

Point de Situation – Accès au Marché US pour les Exportations Algériennes
Code TarifaireProduitExportations en                    Millions de $USPart de marché Année 2024Tarif NPFTarif RéciproqueTarif Moratoire
202220232024Export DZImport USA
Tous Produits3 166,43 150,92 540,95,5%0,1%
271019Distillats1 844,71 865,31 745,063,7%4,9%5,25 cts/BlNonNon
270900Pétrole brut615,2530,8334,33,4%0,3%5,25 cts/BlNonNon
310210Urée175,9231,615717,3%11,5%0%30%10%
252329Ciment normal18,353,364,671,6%2,4%0%30%10%
721420Barres en aciers301,9285,853,560,6%31,9%0%55% (**)30% (**)
281410Ammoniac anhydre010,643,42,5%0,8%0%30%10%
721391Fil machine en aciers84,818,626,615,4%3,0%0%55% (**)15,5% (**)
280429Gaz rares0,7721,71,9%4,7%3,7% (*)NonNon
80410Dattes10,89,5157,2%12,1%13,2 ct/Kg30%10%
252321Ciments blancs06,814,332,3%2,4%0%30%10%
310280Nitrate d’ammonium010,713,799,6%1,3%0%30%10%
252310Ciments ‘clinkers’016,27,43,9%19,0%0%30%10%
271112Propane liquéfié15,406,20,0%0,0%0%NonNon
711292Déchets de platine0060,0%0,0%0%NonNon
401110Pneumatiques7,64,22,141,4%0,0%4% (*)55% (**)20% (**)
700529Feuilles en verre00,11,40,2%0,1%0%30%10%
310540Ammonium Phosphaté06,80,2100,0%1,1%0%30%10%
841459Ventilateurs0,200,211,6%0,0%0%30%10%
200570Olives000,10,0%0,0%5,4 cts/Kg30%10%
220210Eaux minérales0,10,20,11,2%0,0%0,2 cts/L30%10%
970610Objets d’antiquité000,10,0%0,0%0%30%10%
150930Huile d’olive vierge00,10,110,5%0,2%5 cts/Kg30%10%

Source: ITC & USTR – Harmonized Tariff Schedule, Revision 9, April 2025

Notes explicatives :

(*) – Les deux produits visés ici (pneumatiques et gaz rares) bénéficiaient en pratique de l’exemption de droits de douane (0%), au titre du SGP – Système Général des Préférences des USA

(**) – Depuis le 12 mars 2025, les USA avaient décidé d’appliquer un taux de droit de douane de 25% sur l’ensemble des produits en aciers et pour les intrants dans la fabrication des véhicules automobiles. Durant cette période moratoire, ce taux additionnel varie entre 5% et 20%, selon les produits ; il s’additionne au taux minimal de 10%

Tarif NPF (Nation la plus favorisée) : Tarif de base applicable aux importations US du produit concerné, hors mesures préférentielles

Tarif réciproque : Tarif applicable à titre de réciprocité aux pays avec lesquels les USA sont en déficit commercial. Dans le cas algérien, ce taux est de 30% : il devrait s’additionner au tarif NPF. L’application de ce tarif réciproque est suspendue pour trois mois (jusqu’au 9 juillet 2025), suite au moratoire annoncé par le président Trump, le 10 avril 2025. 

Tarif Moratoire : Suite au moratoire de trois mois, annoncé par l’administration US en date du 10 avril 2025, il a été retenu d’appliquer dans l’intervalle le taux minimal de 10% de droits de douane applicable à l’ensemble des importations et pour tous les pays du monde. 

6.4 – En résumé, la situation à ce stade est à appréhender comme suit :

– le sursis de trois mois pour l’entrée en application du tarif réciproque de 30% sur les exportations hors hydrocarbures de l’Algérie vers les USA est une forme de statuquo plutôt acceptable : le taux minimal de 10% étant imposé de la même manière à tous les pays du monde et les conditions de concurrence ne changeant donc pas, les entreprises exportatrices auront la possibilité de s’adapter, chacune selon ses possibilités ;

– la situation sera en revanche nettement plus grave à compter de juillet prochain (fin du moratoire), pour ces mêmes entreprises, aucune d’elles ne pouvant raisonnablement absorber un choc à la baisse de 30% ou plus sur les prix de leurs produits. Si ce taux réciproque venait à être appliqué effectivement et comme cela est prévu, c’est une chute sévère du niveau de nos exportations hors hydrocarbures à laquelle il faudra s’attendre, très vraisemblablement. Comme celles-ci commençaient tout juste à enregistrer un début de croissance plutôt très encourageant, la perte du marché US serait aussi regrettable que dommageable.

6.5 – Face au défi ainsi posé, à notre pays comme à une soixantaine d’autres à travers le monde, il est fondamental que ce temps de latence de trois mois qui nous est laissé soit mis à profit pour explorer les voies et moyens de le surmonter. En particulier, la voie quasi-obligée est celle d’une négociation à laquelle notre administration commerciale a certainement commencé de s’atteler dès à présent et d’en préparer les termes potentiels, de concert avec les entreprises concernées. 

Il faut souligner que l’administration américaine a publié un document qui recense les barrières commerciales aux exportations de produits US dans l’ensemble des pays du monde. L’examen et l’analyse des reproches, justifiés ou non, adressés en la matière à notre pays, devraient faire l’objet d’une attention particulière de nos administrations compétentes. C’est là, semble-t-il, l’approche pratique la plus appropriée de cette négociation.

  1. Quelle évolution possible au cours des prochains mois ?      

Suite aux premières semaines ayant suivi ce « Liberation Day » du Président Trump, force est de constater que c’est plutôt une vague de désordres qui a été libérée, faisant rentrer l’économie mondiale dans une zone de fortes turbulences : une situation dont on mesure mal comment elle va pouvoir évoluer au cours des prochains mois.

Une lecture optimiste de la situation laisserait envisager un possible revirement de la part des autorités américaines, face aux risques sérieux de déstabilisation de l’économie mondiale provoqués par leur politique tarifaire. Cependant, plusieurs éléments majeurs rendent une telle issue hautement improbable.

7.1 – Si toutes les mesures de défense commerciale qui viennent d’être prises en ce début du mois d’avril 2025 sont certainement mal calibrées dans leur conception comme dans leur formulation, il demeure que les difficultés objectives qui en sont à l’origine du point de vue US, à savoir un déficit commercial abyssal, une forte désindustrialisation, une perte de terrain lente mais inexorable face aux puissances émergentes et à la Chine en particulier, etc. 

Les attaques dirigées contre le système commercial mondial, dans son architecture actuelle, et singulièrement contre le système des règles de l’OMC datent de plusieurs années déjà, ils correspondent à des griefs partagés par les administrations américaines depuis une quinzaine d’années et qui font largement consensus dans les milieux politiques US. 

Il est donc vraisemblable que la contestation de l’ordre commercial actuel continuera d’être, pendant longtemps encore, au cœur de la politique commerciale externe des USA.

7.2 – Un des enjeux importants derrière cette guerre commerciale en cours a trait à la place du dollar US comme instrument principal des échanges internationaux et comme monnaie de réserve mondiale. Le système monétaire qui s’est mis en place depuis que le Président Nixon avait acté en 1971 le décrochage de la convertibilité dollar/or, a conféré à la monnaie américaine un rôle quasi-hégémonique dans la régulation des flux financiers et commerciaux mondiaux. 

D’une certaine façon, l’accumulation de déficits commerciaux massifs par les USA aura été une des contreparties inévitables de ce système et, au fil du temps, une des conditions de son équilibre. Et c’est cet équilibre qui semble maintenant contesté et remis en cause : les USA estiment en effet que ces déficits cumulés affaiblissent leur économie, tandis que, de leur côté, leurs partenaires économiques n’apprécient pas l’usage excessif qu’ils en font, que ce soit en finançant les déficits de leur commerce comme de leur budget ou travers les sanctions extraterritoriales qu’ils se sont donné potentiellement le droit d’appliquer à l’encontre de toute entreprise à travers le monde dont ils estiment qu’elle contrevient à telle ou telle règle de leur législation interne. 

Il est vraisemblable que la solution de cette équation monétaire sera partie intégrante du compromis qui devra solder, demain, la querelle commerciale actuelle.

7.3 – Le caractère erratique de la démarche des autorités américaines ne permet pas, en l’état actuel, d’entrevoir la voie de sortie qu’elles envisagent, ni la nature des compromis auxquels elles souhaitent parvenir par voie de négociation, ni encore moins la configuration du nouvel ordre commercial mondial qu’elles souhaitent voir mis sur pied. 

Le système commercial actuel, dit du GATT-OMC, conçu et bâti sous la houlette des Etats-Unis au sortir de la seconde guerre mondiale, a été longtemps contesté – en particulier par les pays en développement – et n’a été finalement adopté de manière quasi-unanime qu’en 1995 avec la création de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). C’est cette organisation internationale qui administre toute une multitude d’accords régissant la presque totalité des échanges commerciaux internationaux. Alors que le reste du monde, développé et en développement, parait en être globalement satisfait (même si d’aucuns estiment utile d’en réformer le fonctionnement), les Etats-Unis ont choisi au contraire d’en perturber le fonctionnement, sans aller pourtant jusqu’à s’en retirer effectivement. 

Le fait est que, même si ces derniers figurent parmi les premiers acteurs commerciaux dans le monde, ils ne représentent que moins de 11% du total des échanges internationaux en 2024 et ils ne peuvent donc à eux seuls décider de ce que pourrait être, à l’avenir, l’architecture du système commercial mondial.

7.4 – Enfin, cela fait plus d’une dizaine d’années que les Etats-Unis ont commencé à engager des actions visant à contrarier la montée en puissance de l’économie chinoise et sa volonté affichée de devenir la première économie du monde à l’horizon 2049.  C’est là un des objectifs centraux qu’ils poursuivent explicitement au travers de la guerre commerciale qu’ils viennent de déclencher en ce mois d’avril 2025. Aussi, il n’est pas surprenant que ce soit entre ces deux puissances que la querelle prend de l’ampleur et s’intensifie, la Chine ayant été un des seuls pays à avoir réagi par des contre mesures significatives aux nouvelles taxes douanières américaines. 

Et, dans ces conditions, il y a tout lieu de penser que, même si un compromis négocié entre ces deux protagonistes devait être trouvé à bref délai, leurs différends commerciaux ne devraient pas s’estomper avant longtemps. 

  1. Eléments de conclusion, d’un point de vue algérien

i) – Quelles que soient les raisons qui ont amené les autorités américaines à ouvrir le champ de cette nouvelle guerre commerciale avec l’ensemble de leurs partenaires, il apparaît clairement que l’impact est à prendre au sérieux chez nous, aussi bien dans l’immédiat que dans la durée. La fermeture potentielle du marché américain pour nos entreprises n’est sans doute pas l’éventualité la plus probable, mais c’est une hypothèse qui ne peut pas être exclue totalement et qui, pour ces raisons, demande à être évaluée en profondeur, dès à présent.

ii) – Notre pays est, faut-il le rappeler, inscrit régulièrement sur la « watch-list » annuelle de l’administration commerciale US (l’USTR – United States Trade Représentative) à raison de certaines limitations touchant notamment aux droits de la propriété intellectuelle en général, des brevets pharmaceutiques en particulier. Le rapport annuel de cette même administration quant à la situation en matière de barrières commerciales dressées face aux exportations de produits américains pointe régulièrement, sans y porter d’appréciation, un certain nombre de restrictions au commerce imposées par la législation algérienne. Une évaluation formelle de ces observations de l’administration commerciale US semble requise, en même temps que des réponses possibles à y apporter.

iii) – Par ailleurs, et pour sévères que puissent être les restrictions que les USA projettent d’appliquer aux exportations algériennes, il reste que de nombreux pays africains sont encore plus durement impactés que le nôtre. Il serait sans doute utile de réfléchir à des initiatives à prendre à l’échelle des pays africains concernés, et des instances compétentes de l’Union Africaine, à l’effet de pouvoir engager de concert le dialogue avec la partie américaine.

iv) – Plus globalement, nul ne peut se prononcer à ce stade sur l’architecture future du système commercial mondial vers laquelle voudrait pousser la nouvelle politique commerciale externe des USA. Aussi, ce qui semble requis pour l’heure, c’est à minima un mécanisme de veille stratégique sur les implications potentielles que cette nouvelle situation pourrait induire sur les relations économiques et commerciales futures de notre pays, en particulier avec ses deux grands partenaires commerciaux que sont la Chine et l’Union européenne, tous deux déjà durement affectés à ce stade par les mesures tarifaires américaines. 

v) – Enfin, toutes ces turbulences qui traversent actuellement l’économie mondiale, avec notamment leurs effets délétères sur le prix du baril de pétrole, viennent nous rappeler une fois de plus à quel point, en ces temps agités, notre dépendance excessive à l’égard du marché des hydrocarbures est en elle-même la plus grave menace pesant durablement sur la vitalité de notre propre économie. 

Elles nous rappellent surtout l’urgence extrême qu’il y a à engager une fois pour toutes les réformes structurelles difficiles dont celle-ci a plus que jamais besoin. 

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