Mercredi 21 octobre 2020
Pourquoi cette invisibilité des femmes dans l’histoire ?
« Je tiens à remercier Maître Belhocine et Réza Guemmar pour leur invitation. Leur projet de constitution est un travail qui démontre leur sérieux. A partir de 130 constitutions existantes dans le monde, il propose une Constitution ouverte à la réflexion de toutes et tous. Nous ne serons pas d’accord sur tout ce qui peut exister dans ce projet. Cependant, il offre la possibilité d’une réflexion commune pour construire une Nouvelle Algérie. Une Algérie, orpheline de ses idéaux issus de la Révolution du 1er novembre 1954, qui devait s’inscrire dans le concert des Nations. Une Algérie orpheline d’un Mohamed Boudiaf, assassiné, qui représentait l’espoir d’une jeunesse, des femmes, des hommes, qui voulaient entrer de plain-pied dans une Algérie de modernité.
A l’entrée de la salle, j’ai découvert votre livre. Je me suis enquis de voir si les Femmes sont présentes. Dans votre avant-propos, je découvre avec un sourire aux lèvres que l’Algérie a enfanté de grands hommes tels que Larbi Ben Mhidi, d’Abane Ramdane, Krim Belkacem… encore une fois, l’invisibilité des grandes femmes telles que Hassiba Ben Bouali, Djamila Boupacha, Djamila Amrane Mine, etc…Effectivement, travailler à l’élaboration d’un projet politique comme la démocratie, c’est tout un travail de changement des mentalités. Il débute avec l’approche égalitaire de la visibilité des Femmes dans les pages de notre Histoire et de notre Mémoire collectives. Ces grandes femmes, dont l’engagement a oeuvré à l’Indépendance de l’Algérie, à la construction d’une Algérie nouvelle. Nouvelle, égalitaire, pour construire une Algérie moderne politiquement, économiquement, socialement, culturellement pour les jeunes filles et de jeunes hommes de la nouvelle génération.
Cependant, j’ai eu le plaisir de voir l’écriture inclusive pour les Algériens (ennes), Président(e), mais nous ne demeurons pas enfermées entre « parenthèses »…Nul enfermement orthographique, nul enfermement anti démocratique.
Je découvre que votre ouvrage a été pensé et rédigé à partir de 130 constitutions. Une approche de la démocratie participative en partant de la commune, échelon politique à part entière, dans la prise de décision. Cette proposition de décentralisation s’articule sur l’expression de la souveraineté du peuple.
Je n’ai pas pris de connaissance de l’intégralité de votre projet de constitution. Il est primordial, aujourd’hui, de nous rencontrer, d’échanger et d’exprimer nos points de vue. C’est le premier pas vers la démocratie.
L’objet de ma réflexion pour notre rencontre porte sur les interrogations et les perspectives ouvertes à la suite de cette révolte populaire sur la place des femmes dans la société algérienne.
«Révolution du sourire», «hirak» révolte populaire, Révolution. que d’expressions n’a-t-on vu fleurir dans la presse au cours du mois de février 2019 lorsque la jeunesse, les femmes et hommes de toutes générations, se sont emparé.e.s des rues, du territoire algérien. Le clan Bouteflika a voulu imposer, au sens propre comme au figuré, « un cadre », constitutionnel et électoral pour un cinquième mandat d’un président Abdelaziz Bouteflika, moribond.
Après le temps médiatique vient toujours le temps historique…Dans ce temps médiatique, il ne faut pas omettre de rappeler que la répression se poursuit. Un grand nombre de détenu.e.s d’opinion sont dans les geôles algériennes, à travers le pays. La séparation des pouvoirs est inexistante dans ce pays, une justice aux ordres. En février 2019, lors de l’éclosion surprenante de ces soulèvements populaires aucun expert n’a vu venir le temps révolutionnaire d’une jeunesse, de tout un Peuple.
Dans le temps historique, cet élan vers la liberté est l’expression d’hommes, de femmes, de jeunes qui se révoltent contre un régime autocratique auxquels ils/elles sont soumis.e.s depuis des décennies. Une oligarchie se partage la rente pétrolière–aucun partage des richesses – et la société civile est écartée de toute participation institutionnelle et toute velléité d’opposition est tuée dans l’œuf. Le peuple algérien, dans toutes leurs composantes vit des conditions sociales et politiques insupportables. Reprendre son destin en main, par cette révolution pacifiste est une manière de se réapproprier la liberté, la dignité.
Ce qui est éminemment positif dans ce formidable mouvement de révolte populaire est que cet évènement, né au début de l’année 2019, a le mérite de bousculer l’imaginaire collectif et de faire voler en éclat les représentations erronées que le monde se faisait « de ce Peuple ».
En effet, malgré les mouvements d’octobre 1988, du printemps berbère de 2001, des revendications corporatistes – où la répression, l’arbitraire, la politique de la carotte et du bâton ont sévi. Acheter la paix sociale et à quel prix, derrière cet immobilisme apparent de cette partie du monde où tout semblait ankylosé, définitivement figé, voire fossilisé, le bruissement des voix est devenu le cri d’un peuple.
Des théories fumeuses ont été élaborées ici et là, à l’ombre d’un relativisme culturel et cultuel, pour faire de l’Algérie, une singularité et conforter la thèse selon laquelle les Algériennes et les Algériens sont réfractaires aux idées de liberté et de citoyenneté et qu’elles/ils ne sont pas «mûrs» pour la démocratie !
Quant aux dirigeants algériens, combien de fois, n’avons-nous pas entendu fuser comme une vérité sacralisée le slogan « la révolution c’est le chaos, soit la violence islamiste, soit nous ». Maintenir à tout prix un système politique exécré par le peuple algérien.
Le défi des citoyennes et des citoyens et des forces politiques et sociales portent sur les capacités et les difficultés de divers acteurs, sans réelle expérience démocratique, à construire ensemble un système démocratique.
L’objet de notre rencontre porte notre réflexion sur l’apprentissage de la compétition politique démocratique dans une période où nous avons pu constater comment l’un des outils de la démocratie – les élections – permettent à un régime militaire de se retourner contre la démocratie et de reprendre le pouvoir sans légitimité malgré le rejet des urnes le 12 décembre 2019.
Résistantes d’hier à aujourd’hui, c’est toujours le combat du pot de terre contre le pot de fer. Pas une décennie sans que les femmes ne soient un enjeu du pouvoir politique.
Elles ont toujours dû affronter un environnement politique fait d’obstacles, de contraintes – qu’il s’agisse de la période coloniale qui a réduit le statut des femmes à un enjeu d’identité nationale ou qu’il s’agisse de la période post-indépendance, face à un régime autoritaire limitant les libertés publiques. L’activité politique des mouvements féminins et féministes a été paralysée, voir décimée par la période du terrorisme islamiste des années 1990. La marche vers la modernité et l’émancipation a été stoppée.
Au lendemain de la guerre d’indépendance, malgré leur pleine participation, les femmes vont être renvoyées à leur rôle traditionnel d’épouse et de mère[1] mais surtout exclues des instances politiques et décisionnelles. Puis l’entrée des femmes dans l’espace public va les pousser à remettre en cause les traditions et la famille traditionnelle patriarcale. Un bouleversement dans les relations familiales et entre les femmes et les hommes.
Les pères, les frères, les maris, les autorités religieuses sont dérangées par cette remise en cause de l’ordre social. De plus, le mode de production capitaliste va engendrer leur intégration croissante sur le marché du travail. Les mouvements progressistes et conservateurs vont se livrer une bataille idéologique dans laquelle les femmes sont un véritable enjeu politique, économique, social et culturel : l’éducation obligatoire, l’emploi des femmes, l’évolution des besoins économiques, le profil social de la main d’œuvre féminine.
Pendant un demi-siècle, les contradictions et les paradoxes des partis progressistes vont considérer que l’émancipation des femmes et la modernité ne peuvent se construire que dans le cadre islamique pour ne pas être accusés de succomber à « l’hégémonie culturelle occidentale ».
D’autre part, les mouvements conservateurs vont sacraliser les fondements de la famille traditionnelle patriarcale. A leurs yeux, toute idée d’émancipation des femmes dans la société algérienne est une conception importée de l’Occident et peut mettre en danger les valeurs culturelles issues des traditions islamiques.
Progressistes ou islamo-conservateurs, les partis politiques vont avoir une préoccupation commune : le contrôle des femmes[2]. Elles sont assignées à devenir les gardiennes « symbolique » de l’identité nationale et des traditions de la culture « arabo-islamique »[3].
La construction de l’Etat algérien sur le modèle politique du parti unique va tuer dans l’œuf tout projet constitutionnel basé sur la séparation du politique et du religieux[4]. La bataille idéologique est gagnée par le mouvement conservateur. La religion va être utilisée comme principal pilier de l’identité « arabo-musulmane » et valeur suprême de la famille. Le socialisme spécifique va idéologiser la religion et reposer sur les piliers de l’Islam. l’Islam est religion d’Etat (article 2 de la Constitution).
Parler de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, c’est édifier les fondements de la démocratie. Comment les Etats pourraient-ils s’exonérer de leurs responsabilités face au poids des mentalités qui pèsent sur l’évolution du rôle des femmes et leur place au sein de la famille et de la société ?
A l’heure où le rôle et la place des femmes en Algérie, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient est un sujet sensible, j’ai souvent le sentiment, qu’il existe une méconnaissance des actions menées par les mouvements féministes. Les Algériennes font face à une loi discriminatoire promulguée en 1984, le code de la famille (code de l’infamie). Il va à l’encontre de l’égalité entre les femmes et les hommes alors que cette égalité fut promise dès l’Indépendance de l’Algérie. Cette égalité est même inscrite dans la Constitution (article 29).
Mais il est vrai que le système algérien a toujours montré un côté pile avec une production du droit dans les textes et un côté face où ses textes sont sans effet dans le réel. Les droits et les libertés existent dans le corpus juridique mais l’exercice de ces droits et libertés demeurent assujettis à des dispositions réglementaires inexistantes. Ces droits et libertés peuvent être aussi complètement réfutées à l’exemple du code de la famille (sous-citoyenneté). Les traités et conventions internationales sont ratifié.e.s mais avec des réserves au nom du respect des valeurs islamiques, des spécificités culturelles (CEDAW).
Si la Constitution est dans la hiérarchie des normes le texte qui doit être une barrière à l’arbitraire et à l’autoritarisme, elle doit comporter tous les moyens pour ne pas engendrer l’anti constitutionnalité des lois, des règlements, des actes. La Constitution doit créer les moyens d’un Etat de droit.
A nouveau, en février 2019, le rôle déterminant des femmes est à l’identique une expression de révolte à la fois économique, sociale mais surtout politique pour l’égalité, la justice sociale, la dignité, les libertés, la démocratie. Les femmes, toutes générations confondues, disent non à la Hogra, à la spoliation de leur citoyenneté.
La question du genre et les rapports sociaux de sexe ne peut plus être considérée comme une question secondaire. Les femmes portent la question de l’égalité entre les femmes et les hommes et se sont farouchement opposées à la violence de l’ordre patriarcal qui pèsent sur elles depuis des décennies. Elles tirent les leçons de l’histoire : elles ne retourneront pas à leurs fourneaux au prétexte que leur mission est achevée, ni ne s’enterreront dans le mythe de la complémentarité : « nous ne sommes pas votre complément d’objet direct »[5].
L’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le rôle et la place des femmes dans la société est une question politique de tout premier ordre. Il ne peut exister de tolérance sociale quand est porté le coup de couteau dans le contrat social ? Pourquoi cette invisibilité des femmes dans l’histoire ? Pourquoi ce refus de citoyenneté par le législateur ? Pourquoi ces atteintes à la modernité politique ?
Comment construire l’égalité entre les femmes et les hommes et œuvrer à la citoyenneté ?
Il n’est pas facile d’être née Femme dans toutes les sociétés. Il est encore moins facile d’Être des Femmes dans une société, qui dès la naissance, vous considère comme des sous-Etres humains, jusqu’à votre mort comme des sous-citoyennes. En s’opposant aux droits fondamentaux des femmes, à leur émancipation des femmes, à l’universalité des droits au prétexte de valeurs importées par l’Occident -néo-colonialisme – les femmes sont confrontées à des prétextes pour que l’ordre patriarcal demeure. La remise en cause de la hiérarchisation des rapports sociaux de sexe devient alors la question sociale et sociétale « clivante » à laquelle il faut ajouter ce fameux obstacle «C’est pas le moment, d’abord la Révolution »… un vieux refrain, déjà entendu sous l’ère de la révolution socialiste algérienne. Comme le rappelle Fadela M’Rabet : Ils ont trahi les Femmes et la Révolution[6].
Le rôle néfaste des religions sur le plan politique et sur les droits des femmes a ouvert la voie au statut personnel et aux lois sur la famille. Cette première violence politique contre les femmes est celle d’inscrire leur quotidien, leur existence, leur vie, dans les mailles de préceptes religieux d’un autre âge qui les abaissent et les humilient. Elle les amène à intégrer cette violence institutionnelle et la place qui leur est dévolue dans la société comme sous-citoyennes. Le code de la famille est à des « années lumière » du principe d’égalité entre les femmes et les hommes[7]. En Algérie, tout en n’étant pas un Etat théocratique, l’Etat est « schizophrène » : en matière civile et pénale, le droit musulman ne s’applique pas, il s’adapte au temps et à la société – du XXIème siècle (exemple : un voleur n’a pas la main coupée, il est condamné devant une justice civile en concordance avec des lois issues de la sphère publique) ; par contre, en matière de droit de la famille, le juge des affaires familiales se mue en « Kadi » et la suprématie du religieux prend le pas sur les lois civiles égalitaires. Le législateur algérien se nourrit de l’idée de la sacralité du droit musulman[8] et de son caractère immuable comme obstacle à l’égalité.
La question d’égalité réelle des droits entre les femmes et les hommes devient une exigence politique, enjeu crucial du débat public contemporain. Elle devient de plus en plus légitime quand la question de la citoyenneté, de la laïcité deviennent des enjeux sociaux et sociétaux pour la liberté. En Algérie, les femmes sont confrontées à des projets de sociétés qui restent profondément patriarcaux et où les alliances politiques avec les organisations politico-religieuses mutilent les avancées sociales et sociétales des femmes. Les mouvements féministes ont conscience d’un intérêt commun à combattre le fondamentalisme religieux et les diktats des islamistes mais surtout toutes les formes de domination et d’oppression qui engendrent leur discrimination et leur infériorisation.
Que faut-il comprendre dans cette revendication d’un Etat civil ? Etat civil dans la filiation à une idéologie donnée, à son service ou un Etat de droit pour une société civile qui consacre la séparation des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, la séparation du politique et du religieux pour donner naissance à la citoyenneté, qui la protège des dérives et du danger du religieux qui intervient dans la sphère politique.
Sans citoyenneté, il est impossible de parler de démocratie, ni de construire un Etat de droit. Le lien entre citoyenneté « entière » des femmes et démocratie est indéniable car les droits des femmes ne sont pas une part cessible des droits humains.
Pour construire l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et œuvrer à la citoyenneté dans la réalité quotidienne des Algériennes, il est indispensable d’entrer dans l’ère de la modernité politique par une triple rupture :
· La hiérarchisation sociale des sexes – expression du système patriarcal : dans la Constitution algérienne, la famille est définie comme la cellule de base de la société et elle bénéficie de la protection de l’Etat et de la société. De ce fait, le mari est investi d’une fonction de pouvoir renforcée dans la sphère familiale considérée comme sphère privée. Accorder des droits égaux en son sein représente un risque de destruction du lien social.
En conséquence, dans une société où les hommes et l’Etat se soutiennent, les femmes sont face à une loi supérieure qui est un instrument de domination (violences institutionnelles, économiques, domestiques, conjugales, etc). Les féminicides sont liées au machisme et aux stéréotypes sexistes présents dans la société. Dans une société égalitaire et juste, les violences et les injustices contre les femmes sont combattues par des lois, des moyens humains et financiers, des services publics. Par une éducation non sexiste, avec une séparation du culturel et du cultuel, afin que les jeunes filles et les jeunes hommes puissent vivre dans la mixité, libéré.e.s du poids des stéréotypes sexistes.
Quant à l’argument fallacieux que les féministes sont des destructrices du socle de base qu’est la famille, depuis des décennies, elles en sont les protectrices. Elles savent que la cellule familiale est un lieu où se joue toutes les violences contre les femmes et les enfants (inceste, viol, viol conjugal, violences physiques et psychologiques, mariages forcés, crimes dits d’honneur, etc). Où l’omerta est la prison du silence. Enfin quand le code de procédure pénale produit de l’impunité par la « rahma » pour éviter l’emprisonnement du père, du frère, du mari, etc…c’est le retour à la case prison patriarcale pour les femmes. Qu’ils sont durs à scier les murs de la prison patriarcale !
La séparation du politique et du religieux : la Constitution algérienne consacre dans son article 2 l’Islam religion d’Etat. Cela implique qu’il existe bien une communauté de croyant.e.s en raison de la prédominance d’une croyance religieuse. Si un Etat prône la neutralité, l’impartialité, la liberté de culte, aucun article de la Constitution civile ne peut faire référence à l’appartenance religieuse d’un Etat. La séparation du politique et du religieux en consacrant l’égalité citoyenne, la liberté de conscience. En conséquence, maintenir comme condition d’être de confession musulmane pour présenter sa candidature à la présidence de la République Algérienne est une atteinte au principe d’égalité citoyenne. Dans une société laïque, l’Etat n’exerce aucun pouvoir religieux et les Religions n’exercent aucun pouvoir politique. La religion est une affaire privée. La laïcité est la condition institutionnelle de la neutralité confessionnelle, de la liberté de culte (croyant.e.s, non croyant.e.s) de la coexistence pacifique de chaque citoyen.ne pour assurer les conditions concrète du débat laïque, pluraliste et démocratique.
· La dérive dialectique de l’équité garante de la complémentarité des hommes et des femmes. Elle détourne la lutte pour les droits des femmes à l’égalité des sexes et à la liberté des femmes. Le devenir individuel et social des femmes, être sujet politique par un retour à la pleine citoyenneté et la mise en place d’une législation nationale et de textes internationaux qui promeuvent des droits humains dans une perspective de l’égale dignité des personnes.
La future Constitution Algérienne doit ouvrir la voie à la modernité politique par l’abrogation du code de la famille, première violence institutionnelle contre les femmes, la mise en place de lois civiles égalitaires et la levée de toutes les réserves dans les accords et conventions internationales (accords bilatéraux, CEDAW, etc.) qui portent atteinte à la dignité des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le code de la famille algérien a des répercussions sur les femmes dans les pays d’immigration (les femmes sont rattachées au statut du mari comme un « bien meuble », absence d’un statut autonome des femmes migrantes). Enfin, faire converger la lutte contre l’oppression patriarcale et l’exploitation capitaliste qui joue de la complémentarité des rôles pour maintenir la ségrégation professionnelle et les discriminations salariales.
Avec quelles voix pour une émancipation ?
Les voix sont celles des femmes Algériennes. Par-delà leur diversité, elles se tournent, implicitement vers la laïcité, vers l’universalité des droits fondamentaux en refusant les influences négatives des traditions, du poids de religions oppressives et dans une convergence des luttes contre l’ordre social patriarcal régnant, générateur des oppressions.
Il est urgent d’analyser ce qui est à la base de l’opposition entre dominants et dominés dans le cadre des rapports sociaux et de redéfinir un projet politique cohérent d’émancipation non pour un seul groupe social, mais pour la société toute entière. Ce qui est possible et souhaitable à l’intérieur de ce projet, c’est de revendiquer des droits individuels et collectifs pour les femmes, les hommes, tout en luttant pour l’égalité réelle entre les individus des deux sexes.
Toutes les luttes contre le système politique algérien, les diverses oppressions ont leur légitimité, mais elles ne peuvent prendre toute leur efficacité que si elles parviennent à converger dans un projet politique global de remise en cause de toutes les oppressions.
Aurions-nous encore la naïveté de croire qu’il y a une hiérarchie dans les luttes ? Ce mouvement révolutionnaire a abattu les murs de la peur, il peut réussir à transformer la société algérienne et vivre avec l’éthique moderne de la citoyenneté, de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes et du respect de la dignité humaine.
Quelle culpabilité veut encore nous faire porter le pouvoir Algérien? Allons-nous encore culpabiliser en affirmant être féministe et laïque de peur d’être considérée comme une mécréante. (kouffar). La laïcité n’est pas l’athéisme.
Aujourd’hui en Algérie, prétendre à l’égalité entre hommes et femmes en politique ne peut pas se réduire à la parité sur les listes électorales, il est urgent de démocratiser les institutions politiques, d’améliorer en profondeur les conditions de vie et de travail de femmes. De ne plus permettre à aucune institution religieuse, ni aucune religion de dicter des lois nuisant la vie quotidienne des citoyennes et des citoyens.
L’Algérie possède un gisement démocratique jusque-là mis en doute mais dont les femmes ont su révéler au grand jour les immenses potentialités. Les jeunes féministes existent bel et bien et c’est avec elles que pourra se construire désormais l’avenir. Notre jeunesse comme celle de toute la planète, aspire à la dignité et passer de plain-pied vers la modernité politique, une vie meilleure et de liberté !
Je souhaite une Algérie nouvelle, Une Algérie sociale, laïque et démocratique qui donne la chance à toutes les citoyennes et les citoyens et dont les statuts de sa Constitution prendraient en compte les inégalités afin de les abolir.
K.L.C
[1] Dès l’indépendance, Djamila Amrane note dans «les femmes dans la guerre d’Algérie » : «il semble que la hiérarchie sociale, estompée pendant les années de guerre pour les combattantes qui vivaient et luttaient dans les mêmes conditions que les hommes, après l’indépendance, se soit rétablie instantanément, remettant chacune à sa case départ.
[2] « Il en est de la libération des femmes comme de l’indépendance nationale : elle s’arrache. Les colonisés, les prolétaires qui se sont libérés ces dernières décennies, ne doivent qu’à eux-mêmes leur salut ; c’est grâce à leurs luttes que les femmes, ailleurs, ont conquis la plupart de leurs droits. » Ce propos n’a pas pris une ride, il reste d’actualité Fadéla M’RABET en conclusion de son livre « La Femme algérienne » en 1965.
[3] 1966, Premier congrès de l’Union Nationale des Femmes Algériennes « le congrès doit entièrement se consacrer à la protection de l’unité familiale par la création de structures conformes à la personnalité algérienne et à la culture arabo-islamique ».
[4] L’Algérie dès sa première Constitution entrera dans le socialisme spécifique – Islam – religion d’Etat (1ère constitution 1963). Cette république sociale s’attache aux principes musulmans pour aboutir, sans le déclarer officiellement, en flagrante contradiction et dans la discrimination à l’égard de la moitié de sa population. En consacrant en 1984, un code de la famille assurant la suprématie du religieux sur les lois civiles, cet Etat ne s’est pas adapté à son temps – le XXème siècle.
[5] Soad Baba-Aïssa – Interviews et interventions sur les droits des femmes algériennes
[6] Fadela M’rabet , les Algériennes édition François Maspéro en 1967
[7] Les Algériennes mènent dès l’indépendance une bataille pour un code de la famille moderne et laïque. Le FLN va leur offrir un statut personnel qui prône l’inégalité et l’infériorisation des femmes. L’existence de ce code de l’Infamie va être concomitant avec la montée de l’Islamisme.
[8] La genèse relative à l’histoire du statut personnel appelé Code de la famille démontre la volonté du pouvoir algérien de ne pas s’inscrire dans cette conception politique de la laïcité.
* Intervention de Mme Soad Baba Aissa, militante féministe, lors de la Rencontre du 10/10/ 2020 à l’Académie de la diplomatie des relations internationale à Genève autour du livre « Projet de constitution de l’Algérie Nouvelle » de Lachemi Belhocine et Reza Guemmar.