Site icon Le Matin d'Algérie

Pourquoi la léthargie du Conseil de la concurrence ?

Après 23 ans d’existence

Pourquoi la léthargie du Conseil de la concurrence ?

Où en est le bilan du Conseil de la concurrence depuis près de 23 ans d’existence ? Sous la pression des évènements, les gouvernements successifs ont annoncé à maintes reprises sa réactivation. Aussi, au moment où l’actualité est dominée à la fois par le monopole dans bon nombre d’activités par la désorganisation des marchés et la dominance de la sphère informelle qui contrôle plus de 60% des segments des produits de première nécessité, ayant des incidences sur le pouvoir d’achat des Algériens, il est important de se demander pourquoi la léthargie de cette institution stratégique. En réalité, il ne s’agit pas d’une question de textes juridiques, mais de s’attaquer au fonctionnement réel de la société.

1.- Prérogatives du Conseil de la concurrence selon la Loi

Le Conseil de la concurrence est né avec l’ordonnance numéro 95-06 du 25 janvier 1995 qui a été modifiée par l’ordonnance n° 03-03 19 juillet 2003, puis par la Loi n° 08-12 du 25 juin 2008. Pour son opérationnalité, nous avons vu successivement le décret exécutif du 10 juillet 2011, qui a été modifié par le décret exécutif du 08 mars 2015 portant organisation et fonctionnement du Conseil. Le Conseil de la concurrence a été sous l’autorité successivement de la présidence de la république, puis du chef de gouvernement et aujourd’hui du ministre du Commerce. Lors d’une intervention rapportée par Algérie Presse Service (APS), en mai 2016 , le président du Conseil national de la concurrence a indiqué « que le fait d’avoir placé celui-ci en 2008 sous l’autorité du ministre du Commerce et non plus sous celle du Chef du gouvernement, a eu des effets négatifs sur son rôle et ses missions » mettant en relief « des incohérences » dans l’ordonnance sur la concurrence qui ont induit un chevauchement dans les prérogatives de régulation et une dispersion des services chargés de relever et de sanctionner les infractions aux règles de la concurrence ». Cela été réaffirmé lors d’une rencontre organisée par le Conseil, en mai 2018 à l’Hôtel Al Djazaïer (Alger) lors d’une journée d’étude sur la concurrence et la régulation du marché où les intervenants ont jugé « urgent » la révision de l’ ordonnance de 2003 qui a « entraîné un manque de coordination entre le conseil et les différentes autorités de régulation sectorielles, tout en créant un chevauchement entre les prérogatives de chaque partie, tout en précisant que toutes lois régissant les autorités de régulation du commerce sont « obsolètes » et doivent, ainsi, être révisées.

Le Conseil de la concurrence jouissant de la personnalité juridique et de l’autonomie financière est composé de 12 membres dont 6 personnalités et experts ayant des compétences dans les domaines de la concurrence, de la distribution, de la consommation et de la propriété intellectuelle., 4 professionnels qualifiés dans les secteurs de la production, de la distribution, de l’artisanat, des services et des professions libérales, 2 représentants des associations de consommateurs. Le président du Conseil est choisi parmi les membres de la première catégorie. Les deux vice-présidents sont choisis parmi les membres de la deuxième et de la troisième catégorie. Il est désigné auprès du Conseil un secrétaire général, un rapporteur général et 5 rapporteurs.

Le Conseil peut être saisi par toute personne physique ou morale ( collectivités locales, les institutions économiques et financières, les entreprises, les associations professionnelles et syndicales, ainsi que les associations de consommateurs qui s’estime lésée par une pratique restrictive) prend des décisions, donne des avis et diligente des enquêtes à propos de toute question relevant du droit de la concurrence et donne des avis sur toute question concernant la concurrence qui lui est soumise par le gouvernement.. Les décisions rendues par le Conseil de la concurrence sont notifiées pour exécution aux parties concernées par huissier de justice et ses attributions décisionnelles principales sont les suivantes: adresser des injonctions motivées en vue de mettre fin à des pratiques restrictives de la concurrence ; prononcer des sanctions pécuniaires (au cas où ces injonctions demeurent lettre morte) et prendre des mesures provisoires destinées à suspendre les pratiques restrictives ou pour parer à un préjudice imminent susceptible d’être causé à des entreprises dont les intérêts sont affectés par ces pratiques. Le Conseil de la concurrence adresse un rapport annuel d’activité à l’instance législative, au Chef du gouvernement, au premier ministre depuis la modification de la Constitution, et au ministre chargé du Commerce.

Le rapport est rendu public un mois après sa transmission aux autorités visées ci-dessus. Il est publié au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire. Il peut également être publié en totalité ou par extraits dans tout autre support d’information. Il est précisé que le Conseil de la concurrence est consulté sur tout projet de texte réglementaire ayant un lien avec la concurrence ou introduisant des mesures ayant pour effet, notamment, de soumettre l’exercice d’une profession ou d’une activité, ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives ; d’établir des droits exclusifs dans certaines zones ou activités ; d’instaurer des conditions particulières pour l’exercice d’activités de production, de distribution et de services et de fixer des pratiques uniformes en matière de conditions de vente. Ce dispositif relatif à la concurrence a pour souci d’harmoniser la législation algérienne avec les normes internationales, notamment européennes à l’instar de l’article 41 de l’Accord d’Association avec l’Union européenne dans son annexe 5.

Ainsi le Conseil, selon la loi, doit instaurer un cadre de coopération entre le Conseil de la concurrence et les autorités étrangères de concurrence, en vue d’assurer la mise en œuvre adéquate des législations nationale et étrangère et de développer entre ces institutions des relations de concertation et d’échange d’information et ce, dans le respect des règles liées à la souveraineté nationale, à l’ordre public et au secret professionnel.

2.- La Loi régissant le Conseil de la concurrence prohibe tout monopole

La pratique saine des affaires ne s’accommode pas du monopole source de surcoûts et de mauvaise qualité des produits, d’où l’urgence de l’Etat régulateur stratégique. Ainsi, deux questions se posent : pourquoi donc l’Etat n’a-t-il pas appliqué ses propres lois et pourquoi n’a-t-il pas fait jouer son rôle de régulateur stratégique pour favoriser la concurrence ? Cela ne s’explique-t-il pas par des enjeux de pouvoir, existant des liens dialectiques entre la logique rentière et la logique du monopole qui favorise les délits d’initiés renvoyant à l’urgence d’une profonde moralisation des institutions ? Pourtant la loi est claire renvoyant à six principes.

Premièrement, les ententes entre entreprises qui visent à obtenir un niveau de prix supérieur à celui qui résulterait d’une situation concurrentielle (article 6 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003).

Deuxièmement, les abus de position dominante c’est-à-dire les situations où une entreprise et parfois plusieurs entreprises, sans avoir besoin de s’entendre, disposent d’une position sur le marché suffisamment puissante pour fixer leurs prix (ou leurs conditions commerciales) à un niveau supérieur à celui qui résulterait d’une situation concurrentielle (article 7 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003).

Troisièmement, les abus de dépendance économique: ce type d’abus est le fait d’entreprises en position dominante dans leurs relations avec des opérateurs économiques qui n’ont d’autre choix que de traiter avec elles (article 11 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003).

Quatrièmement, la pratique de prix abusivement bas ayant pour effet d’éliminer ses concurrents pour ensuite relever ses prix au-dessus d’un niveau raisonnable (article 12 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003).

Cinquièmement, tout acte ou tout contrat conférant à une entreprise une exclusivité (article 10 de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003).

Sixièmement, interdiction des opérations de concentration qui aboutissent à la création d’une position dominante (article 15 et suivants de l’Ordonnance modifiée et complétée n° 03-03 du 19 juillet 2003).

Le contrôle de ces opérations se distingue du contrôle des autres pratiques énumérées ci-dessus dans la mesure où leur contrôle est préventif et a pour objectif d’empêcher la création «artificielle» de positions dominantes qui seraient ensuite en position d’abuser de leur position. L’ordonnance de 2003 avalisée par celle de 2008 précise que les agents économiques doivent notifier à ce Conseil leurs opérations de concentration lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à la concurrence et qu’elles atteignent un seuil de plus de 40% des ventes ou achats à effectuer sur un marché. C’est dans ce cadre que la loi consacre une exception à ce principe en accordant la faculté au Gouvernement d’autoriser, lorsque l’intérêt général le justifie, les concentrations économiques rejetées par le Conseil de la concurrence à chaque fois que des conditions économiques objectives le justifient.

3.- Les conditions de l’efficacité du conseil de la concurrence

La fin d’un monopole avec une saine concurrence est liée à la morale et à une véritable démocratisation facilitant les contre-pouvoirs. Les opérateurs qu’ils soient algériens ou étrangers désirant investir à moyen et long terme dans les segments à valeur ajoutée doivent être rassurés par une saine concurrence et ce, dans tous les segments. D’autant plus que l’Algérie est liée à un accord pour une zone de libre-échange avec l’Europe depuis le 1er septembre 2005 et qu’elle aspire à adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont elle est observatrice depuis 1987. En ce monde turbulent, instable, où l’Economique est déterminant pour s’imposer dans les relations internationales, devant assister à de profonds bouleversements géostratégiques notamment en Afrique dont l’Afrique du Nord, où toute Nation qui n’avance pas recule, des stratégies d’adaptation s’imposent loin de toute improvisation. Le tissu de l’économie algérienne est composé à plus de 90% de petites entreprises familiales peu initiées au management stratégique, avec la dominance de la tertiairisation de l’économie qui constitue selon enquêtes de l’organe officiel de la statistique l’ONS plus de 80% de la superficie économique.

L’Algérie après plus de 50 années d’indépendance a une économie productive embryonnaire: 98% d’exportation d’hydrocarbures avec les dérivées et important 70/75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées. La mentalité du bureaucrate est de croire qu’en faisant de nouvelles lois, on résout le problème du développement alors qu’il s’agit de s’attaquer au fonctionnement de la société. Comme on ne combat pas de manière administrative la sphère informelle, son intégration supposant de nouveaux mécanismes de régulation transparent. A titre d’exemple, l’obligation de paiement par chèque au-delà de 500.000 dinars qui devait être effectif le 02 avril 2011, très vite abandonnée, oubliant par ailleurs qu’existent une intermédiation financière informelle, où l’on peut lever des dizaines de milliards de dinars en cash à des taux d’usure. Comme l’échec récent d’intégrer la sphère informelle par l’émission d’obligations du fait à la fois du manque de visibilité de la politique socio-économique et que le taux d’inflation réel est supérieure au taux d’intérêt proposé. Le développement hors hydrocarbures de l’Algérie implique d’avoir une vision stratégique dans le cadre des valeurs internationales.

Tout Etat de droit doit à la fois débureaucratiser afin de favoriser la transparence et se conformer aux lois tant locales et qu’internationales, évitant le changement perpétuel de cadres juridiques, afin de favoriser un climat des affaires sain. Sans quoi les discours d’une économie hors hydrocarbures relèvent de l’utopie. La loi algérienne, sur la concurrence, prohibe clairement à tout producteur ou importateur, le monopole qu’il soit public ou privé. L’économie de marché ne saurait signifier anarchie, mais doit être encadrée par des institutions fiables et crédibles afin de réaliser la symbiose des rôles respectifs complémentaires et non antinomiques entre l’Etat et le marché.

Aussi ce serait une erreur d’analyse de circonscrire le rôle du conseil de la concurrence à des aspects techniques. La proposition récente du président du conseil de la concurrence pour qui l’amendement de l’ordonnance 03-03 de juillet 2003 relative à la concurrence est indispensable, renvoie uniquement au volet juridique et voile l’essentiel du blocage. En réalité, il ne s’agit pas d’une question de textes juridiques, mais de s’attaquer au fonctionnement réel de la société, certains pays africains ayant les plus lois du monde mais rarement appliquées. Il ne faut pas se tromper de cibles pour paraphraser le langage militaire. L’efficacité du conseil de la concurrence, est fonction de rapports de forces, renvoie donc à d’autres sphères que l’économique. En fait sa léthargie trouve son essence dans des enjeux importants de pouvoir concernant l’approfondissement ou pas des réformes structurelles qui se fondent sur une saine concurrence, loin de tout monopole source d’inefficience , tant dans le domaine politique, économique culturel que social.

 

Auteur
Abderrahmane Mebtoul

 




Quitter la version mobile