Dans ce genre de questions globalisantes le réflexe ou la tentation sont grands pour conclure à la cause génétique. Ce serait insultant à mon égard de me soupçonner d’être en accord avec cette innommable pensée.
Pourtant je dis si souvent « la dictature est dans l’ADN des Algériens ». Ce n’est bien entendu qu’une figure de style pour renforcer le caractère inexplicable de la situation. Nous savons tous que celle par la génétique est profondément stupide et un chemin ouvert au racisme. Ce qui d’ailleurs a souvent été la pensée des empires coloniaux, même celle des grands intellectuels comme Montesquieu.
La même raison de cette tentation naît de la durée de la dictature. On peut en effet se poser la question sur une fatalité qui ne semble pas se terminer. La nôtre ne s’en différenciant que parce qu’elle est directement liée à notre souffrance que nous vivons dans un pays que nous aimons pourtant profondément.
Quelle serait alors l’explication d’une telle énigme qui est inhérente à toutes les dictatures dans l’histoire et dans le monde ?
La première qui semble la plus évidente serait la terreur. La majorité des Algériens ne soutiendrait pas le régime algérien mais en ont si peur qu’il leur est interdit de montrer leur opposition.
Pourquoi dans ce cas feraient-ils semblant d’exécuter certaines obligations alors qu’ils ne sont même pas tenus à le faire ?
Voter n’est pas une obligation, ni même choisir par la contrainte un bulletin de vote du nom d’un tel ou de l’autre puisque le choix en est toujours donné par la dictature pour masquer sa clownerie d’habillage démocratique.
Et puis, même si la peur d’être fiché comme non votant avait une réalité, pourquoi ne voteraient-ils pas blanc ? La dictature algérienne a tous les moyens de faire peur mais elle n’a jamais été jusqu’à mettre des caméras dans les isoloirs. Et puis son effort d’habillage serait plus visible qu’il ne l’est déjà en toutes circonstances.
Sont-ils obligés par la loi de hurler leur frénétique joie en présence du président algérien ou de manifester ostentatoirement la réalité de leur algérianité. Ont-ils peur de ne pas le ressentir ou de ne pas en donner l’image ? Sont-ils obligés de brandir des drapeaux et chanter l’hymne national à tous moments et en tous lieux ?
Aucun général algérien ou dirigeant civil n’a jamais demandé une telle ostentation dans les attributs de leur nationalisme. Le régime militaire se contenterait aussi bien d’un silence glacial, car le silence est la preuve absolue de la soumission à leur pouvoir.
Si la peur est une explication mais qu’en même temps elle ne l’est pas pour tout, quelle autre réponse ? Habituellement on peut en trouver trois autres. La dictature ne peut exister longtemps car ces excuses sont encore plus signifiantes dans son maintient que la terreur.
La première est l’adhésion par la conviction idéologique et dogmatique. Sans elle le socle du régime s’effondrerait. La majorité des Algériens ne peut passer une seule journée sans fustiger le colonialisme et l’impérialisme. C’est un réflexe pavlovien lors de toute discussion.
Dans ce registre intervient la lourde opération d’abrutissement et de l’endoctrinement par l’école. Dès les premières années de l’enfance, l’esprit est inondé d’un ciment religieux et de nationalisme qui tiendrait sa force d’une longue histoire qui serait prestigieuse. Pour cela, rien de plus facile, falsifier l’histoire et la rabâcher de la première de cours jusqu’à la dernière.
Même en cours de mathématiques, ils ont droit au sempiternel passé des sciences dans la grande civilisation arabo-musulmane. Dans la littérature aux grands écrivains et ainsi de suite.
Et croyez-vous qu’ils en soient libérés à la maison ? Les parents et la télévision prennent le relais. Ainsi une armée s’érige derrière le pouvoir militaire, plus puissante que les hommes en armes qui n’ont jamais tiré un seul coup de fusil sinon dans la Playstation de leur salon. Qui veut comprendre le mécanisme d’endoctrinement massif de la population dans les dictatures doit lire ou relire le livre de George Orwell, 1984, une très grande référence sur le sujet.
La seconde explication s’appréhende dans une autre importante référence, celle de l’œuvre écrite de Hannah Arendt à propos du nazisme. Pour elle, chaque individu n’a pas conscience d’être l’un des chainons de la machine de terreur et de l’assassinat. Chacun fait son travail en pensant qu’il n’est pas impliqué dans la machine de l’horreur.
L’employé de l’administration qui recense les populations des futurs déportés, les gendarmes et les policiers qui exécutent les ordres, le chauffeur du train en direction de la frontière allemande et ainsi de suite. Chacun pense qu’il n’est pas impliqué dans l’horreur parce que les tâches sont parcellés.
C’est exactement ce qui se passe en Algérie, pourquoi serait-elle exclue du mécanisme général des dictatures. Chaque algérien vous dira « je fais mon job, pas de politique ». Le policier qui arrête les opposants, le procureur qui les poursuivis, les juges qui les condamnent ainsi que les geôliers pour leur incarcération, chacun vous dira qu’il ne fait pas de politique mais juste appliquer la loi et se consacrer à son travail.
Enfin, la troisième Explication, pour moi la plus condamnable est celle concernant les compromis et les opportunistes. Ils sont dans la catégorie la plus vile, responsable et impardonnable pour le maintien de la dictature qu’ils servent et qui les sert abondement à son tour.
Que deviendraient-ils sans appuis, sans corruption et sans servilité et obséquiosité ? Que deviendrait le douktour qui affiche une signature trois fois plus grande que son bras et qui encense et conseille le gouvernement, que deviendrait la fortune du milliardaire, la carrière publique ou politique des hommes et femmes sans dignité ?
Non, une dictature n’est pas une fatalité, elle ne se construit ni ne dure par sa seule terreur. Son édifice s’écroulerait rapidement sans la responsabilité de la majorité des Algériens qui y trouvent tous leur compte avec elle. Celui ou celle dont elle garantit l’endoctrinement dans le culte du divin, celui ou celle qui y trouve rempart pour sa lâcheté et celui ou celle qui vend son âme pour l’argent, le prestige ou les miettes du pouvoir.
Ils sont les plus condamnables de tous.
Boumediene Sid Lakhdar