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Pourquoi les mariages algériens se terminent en guerre ?

DEBAT

Pourquoi les mariages algériens se terminent en guerre ?

C’est la question posée par Hebib Khelil dans son article du 2 juillet sur Le Matin d’Algérie. À la seule lecture du titre, je répondrai avec humour dans la forme, mais en même temps avec sérieux dans le fond, que seules les guerres rivalisent en dépenses aussi élevées.

La chose n’est pas nouvelle, pourtant beaucoup nous disent dans certaines publications que les sommes faramineuses englouties sont historiquement dans des hauteurs vertigineuses.

C’est faux, car depuis que j’ai eu l’âge de raison dans ce pays natal, les choses ont été de même. Et je peux assurer qu’en tenant compte des revenus de misère de l’époque, et surtout de l’inflation, les sommets atteints valent bien ceux d’aujourd’hui.

J’étais un petit garçon lorsque je me rendais bien compte que les femmes de la famille, aussi bien les mères des copains et des voisins, tremblaient lorsqu’elles étaient invitées à un mariage.

Après les politesses convenues et la joie feinte, lorsque les portes se refermaient sur la porteuse de l’invitation, les regards étaient immédiatement en correspondance avec un léger frisson du corps, « Que vais-je me mettre ? Quel cadeau vais-je offrir ? Cela va me coûter combien? ».

Car immédiatement, pour la femme plus que pour l’homme (cela ne transparaissait pas chez ce dernier qui devait sauvegarder sa dignité), la revue effrayante des frais se dressait devant ses yeux, dans une liste qui faisait exploser le salaire du mari ou du couple.

Le tissu, la prestation de la couturière, les chaussures, les bijoux et les fleurs, sans compter le gros cadeau, celui qu’on ne doit pas rater, sous peine d’une ostracisation dans la famille, pendant trente ans.

Mais ce n’est pas terminé, car vous vous imaginez bien que cette malheureuse doit montrer que la situation financière familiale permet de changer de robe, autant que la mariée. Pas question de remettre la même pendant trois jours. Horrible drame si on ne change pas lorsque la mariée s’assoit pour recevoir le héné, lorsqu’elle va au bain, lorsqu’elle s’apprête à rejoindre le mari, lorsqu’elle revient accompagnée des youyous du lendemain, lorsqu’elle déjeune, lorsqu’elle danse et lorsqu’elle dîne.

C’est simple, dès qu’ils entendaient un youyou en Algérie, les portefeuilles tremblaient.

Et ne parlons pas de la plus grande des frayeurs, celle qui vous coûte une « vache et sa fille » comme dit l’expression populaire. Si, par malheur, la famille de l’époux se payait un orchestre. Gare à celui ou celle qui ne se levait pas souvent pour mettre un billet dans l’assiette de l’orchestre.

Et attention, la générale-en-chef, c’est-à-dire la mère ou la grand-mère, avaient bon œil  pour voir la couleur du billet. Gare à celui ou celle qui ose les insulter d’une petite coupure. Et le subterfuge (connu de tous), celui de plier le billet entre les doigts pour éviter son identification, c’est encore pire, cela se voit immédiatement.

Et plus la famille qui reçoit a les moyens, plus le prix de l’honneur que vous devez évaluer monétairement, doit être grandement manifesté. Lorsqu’il y avait une danseuse, vêtue en très légère tenue, puisque nous étions dans un pays musulman, la vulgarité côtoyait le tiroir-caisse. Les femmes et les hommes dansaient autour d’elle et à la fin de la parade langoureuse, des doigts agiles esquissaient un billet dans la gorge profonde, très profonde, que séparaient les deux seins de la grande artiste.

Quant au cadeau de mariage, il était frappé d’une infamie à vie, s’il avait le malheur de ne pas correspondre à l’honneur qui vous était exigé en retour. Pendant des semaines, dans toutes les réunions diplomatiques des femmes (surtout), se déroulait une comptabilité verbale, très rigoureuse. 

« Pour le mariage de mon fils, elle m’a offert tel cadeau, de telle valeur, je lui rends la même chose », « Bel’hram, elle n’aura rien, elle n’est même pas venue au mariage de ma cousine, sous prétexte d’une urgence à Paris », « Elle a voulu m’impressionner avec un cadeau cher et m’en foutre plein la vue. Eh bien, je vais lui envoyer à la figure un cadeau trois fois plus cher ».

Si ce n’était pas une affaire dramatique, on en rirait. Exagéré ? Absolument pas car dans ce résumé, je ne vous rappelle que ce qui est en surface. J’occulte les blessures dramatiques, les pénibles souffrances, les terreurs d’angoisse, les guerres larvées et les mots retenus pour exploser, un jour où l’autre, dans des fâcheries interminables ».

Alors, ceux qui veulent impressionner ma génération en disant que les sommes dépensées sont colossales, je leur répondrais qu’à mon époque, les dépenses rapportées aux salaires valaient des années d’économies, arrachées par la sueur du front et l’écorche sanglante d’une vie de labeur.

Il n’y avait pas autant de divorces ? C’est sûr, le nombre n’explosait pas comme aujourd’hui. Mais , avec mauvaise foi, on oublie de nous dire l’importance du nombre de vies brisées, les malheurs et souffrances endurées en silence, surtout pour les femmes.

Combien d’hommes se soulageaient ailleurs, alors que la femme grillait sa vie, recroquevillée dans sa souffrance intérieure et soumise au mari et aux familles respectives qui n’auraient pas toléré sa rebellion. Et même si cela était vraiment très marginal à l’époque, il ne faut pas mettre de côté les maris qui annonçaient leur mariage avec une seconde femme.

Non, le temps d’avant n’était pas mieux et les guerres actuelles pour cause de mariages ne sont pas plus douloureuses. Elles sont plus visibles car le divorce est beaucoup plus accepté que ne l’était la honte ancienne de divorcer, surtout pour la femme. 

Et, à cette époque, une femme divorcée (autant qu’en France), c’était l’assurance d’une vie exposée à la honte d’affronter les médisances, la promesse d’une situation financière précaire, sans oublier le risque lié à la perte des enfants.

Merci à Hebib Khelil d’avoir évoqué une plaie algérienne, dont il ne peut imaginer le gouffre qu’elle était, dans ma jeunesse.

Un petit garçon, ça peut se faufiler entre les jupons des femmes en réunion. Il a des oreilles et comprend bien que derrière le tam tam, les youyous, les embrassades chaleureuses et les dépenses somptuaires, il y avait une souffrance profonde et une misère à la Zola.

Ce petit garçon pensait naïvement, surtout lorsque viendra l’adolescence, que tout cela était le passé et que le niveau d’instruction des générations à venir allait balayer ces mœurs d’un autre temps, cette barbarie sauvage.

Mais les petits garçons et les adolescents, ça rêve et ça s’illusionne.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar

 




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