Jeudi 3 mai 2018
Pourquoi un baril de pétrole à 300 dollars n’est qu’un leurre spéculatif
Ce n’est pas parce que qu’un expert a fait une réflexion dans son compte twitter pour la prendre comme une prophétie ou une « fetwa » pour être euphorique et l’intégrer dans ses calculs en perspective. Si on analyse les Tweets de Pierre Andurand, ce gérant d’un hedge Fund par qui est venu cet espoir d’un baril à 300 dollars, il dit que la demande du pétrole est inélastique parce que la quantité demandée ne réagit pas à de fortes variations du prix.
Ainsi, lorsqu’au début de l’année 2014 le prix du baril a frôlé les 110 dollars avec une croissance mondiale faible et un chômage accru, la demande de pétrole a continué à augmenter de 1,4Mb/j il en déduit que 100 dollars et plus ne tuerait pas non plus l’économie. Actuellement, on a besoin, selon lui, de plus de 100 dollars le baril pour inciter les compagnies à investir afin d’augmenter les réserves et, partant l’offre dans les 10 années à venir. Il s’est donc basé sur ce désinvestissement en amont pétrolier pour spéculer sur un manque d’offre qui pourrait faire booster les prix à 300 dollars qu’il juge pas impossible et pourtant il l’est dans un avenir prévisible.
Pourquoi ? D’abord, l’intéressé a fondé son analyse sur un cycle théorique économique normal et avéré qui s’applique à tout produit et pas spécialement le pétrole. Ce cycle explique qu’en investissant dans un secteur, on augmente l’offre de ses produits et la variation de l’offre agit sur les prix dans un sens comme dans un autre en cas de contraction de ces investissements. Ce scénario a été exposé par notre ami Mourad Preure dans l’entretien qu’il a accordé au quotidien Le soir d’Algérie dès le début de l’effondrement des prix du baril. Mais prudent en fin économiste, il a prédit une tendance haussière, conséquence d’une contraction de l’offre d’ici la fin de la décennie c’est-à-dire 2020 sans avancer un chiffre ce qui crédibilise son analyse, pourtant elle estime les désinvestissements dans l’amont pétrolier à plus 1000 milliards de dollars.
Contrairement aux prix des autres produits, le prix du baril obéit au mouvement du serpent dans un tunnel. Il est donc limité dans son évolution par une amplitude qui passe par un minimum et un maximum que l’économie peut admettre. Le seuil le plus bas reste le coût de production. La commercialisation s’arrête lorsqu’on dépense pour un baril produit l’équivalent de son prix de vente. Et le haut est limité lorsqu’on atteint le seuil du prix d’une énergie de substitution.
A 300 dollars le baril de pétrole de nombreuses sources de substitution deviennent rentables y compris l’électrique et le solaire qui pourraient même remplacer l’essence. Entre ces deux sommets, on a assisté ces dernières années à un modèle qui s’est imposé par le stock américain et l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste. Les efforts technologiques sont faits en permanence aux Etats-Unis pour rentabiliser les techniques de la fracturation hydraulique mais les Américains interviennent par un jeu sur ses stocks à chaque fois que les prix du baril rendent l’exploitation du gaz de schiste non rentable et mettent les producteurs américains en difficulté. Maintenant, tout le monde s’arrange pour que les prix conviennent d’un autre côté aux pays producteurs et surtout ceux qui se situent dans une dépendance vitale comme le cas de l’Algérie et le Venezuela. Le stock joue le rôle de « swing producer » dévolu jusqu’à présent à l’Arabie saoudite.
Quels sont donc les conséquences pratiques d’un baril à 300 dollars ?
Cette situation bousculerait le quotidien de la population mondial qui pourrait ne pas suivre l’inflation et la détérioration de leur pouvoir d’achat. Contrairement à cette euphorie qui apparait chez les producteurs de pétrole et notamment les plus gros d’entre eux, ils seront les premiers touchés par la détérioration des termes de l’échange. A titre d’exemple pour produire, les entreprises Algériennes réservent près de 80% de leur input à l’importation. En plus, chaque citoyen du monde consomme en moyenne 4 à 5 litres de brut par jour. Tous les produits importés, blé, café, lait et bien d’autres demandent de l’énergie et donc augmentent avec lui. Le prix du litre d’essence le plus haut actuellement est compris entre 2,10-2,12 dollars en Chine et Island, avec un baril à 300 dollars il sera triplé pour atteindre en Europe par exemple près de 4 dollars le litre.
Dans les villes européennes, le paysage pourrait également être transformé en cas de flambée durable des prix du pétrole. Car, à 300 dollars le baril, l’extraction d’hydrocarbures «non conventionnels» deviendrait rentable. Ce qui pourrait marquer l’arrivée de derricks forant le pétrole de schiste en Ile-de-France, ou le gaz de schiste dans le Sud-est et le Nord-est du pays.
Celui qui a pensé à un tel scénario n’a pas imaginé que le prix du brut avec la découverte et le forage du premier puits par le colonel Edwin Drake en 1859 qui valait moins d’un dollar en monnaie courante, aujourd’hui il est en est en moyenne à près de 75 et il est passé par un pic maximal de 160 mais très peu probable qu’il atteigne les 200. Il ne faut pas rêver !