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Présidentielle en France : les mal-aimés (1re partie)

Présidentielle française

L’actualité politique en France est dominée par l’élection présidentielle. La thématique de  l’émigration-immigration n’y est pas absente. Ainsi, les émigrés pour les uns et les immigrés pour d’autres sont devenus persona non grata. Un constat des lieux pour mémoire s’impose pour appeler d’aucuns candidats à faire preuve de retenue. 

L’Algérie était alors sous domination coloniale. N’ayant pas la maîtrise de son destin, ses enfants partaient à la recherche du pain et du rêve… Ainsi, au commencement, fut la fin de la Seconde Guerre mondiale et la relance de l’économie occidentale (et japonaise) avec le plan Marshall, d’où un besoin certain en main-d’œuvre en Europe ; rien qu’au titre du regroupement familial, plus de 1,5 million de personnes seraient entrées en France de 1946 à 1988.

Face à la recrudescence des crimes, agressions et attentats, l’Algérie prit le parti de suspendre l’émigration en 1973 pour protester contre la multiplication de ces «incidents» souvent à caractère raciste. Décision officielle vaine, on s’en doute, compte tenu du phénomène des «clandestins» en Europe et des harraga d’Afrique. Il fallait alors «casser» du bougnoule» venu manger la pain de l’indigène métropolitain. Aussi, de la création du Secrétariat d’Etat à l’immigration, en mai 1974, à la loi dite Barre-Bonnet en janvier 1980, le mot d’ordre fut à la répression d’Etat : haro sur les «clandestins», notamment par un renforcement du contrôle des entrées en France. 

Il est caractéristique d’observer la continuité dans cette préoccupation jusqu’au traité de Maastricht. Inutile d’insister outre mesure sur les renvois massifs par l’aide au retour connu sous le vocale du «million Stoléru» (voir à ce propos le film de Zemmouri «Prends 10 000 balles et casse toi»). Inutile non plus d’évoquer les «bavures» gouvernementales : des jeunes issus de l’immigration débarquent au pays d’origine de leurs parents dont ils ne connaissent souvent que peu de choses.

Ainsi, on a pu dénombrer 5000 expulsions de 1978 à 1981. Arrive le 10 mai 1981, date importante dans l’histoire française s’il en fut. L’opposition, à la tête de laquelle les socialistes de l’époque, pensaient une fois au pouvoir «pratiquer une politique d’immigration dans la ligne d’un Etat de droit pour éviter l’insécurité juridique», d’une part, et développer les «libertés des immigrés» et l’égalité des droits en matière politique sociale notamment, ainsi que le droit au regroupement familial et à l’identité culturelle, d’autre part. 

Parmi les 110 propositions du candidat Mitterrand : la lutte contre les discriminations, l’égalité des droits des travailleurs immigrés avec droit de vote aux municipales et d’association, le renforcement de la lutte contre les trafics clandestins de la main-d’œuvre.

Suite à l’élection de M. François Mitterrand à l’Elysée, l’action la plus spectaculaire à l’égard des immigrés fut l’opération de régularisation d’environ 130.000 «clandestins» (comme si la France était un navire sur lequel s’embarquèrent des resquilleurs).  Parmi les textes notables du premier septennat de la gauche au pouvoir, il faut citer d’abord celui relatif au contrôle judiciaire pour les expulsions et les reconduites à la frontière, ensuite l’accord franco-algérien sur le service militaire pour les binationaux et enfin le titre unique de séjour et de travail (une seule carte).  

L’immigration, enjeu politique majeur

Tout en proposant une «réinsertion» volontaire au pays d’origine, l’Etat français décréta l’égalité des droits dans le domaine associatif et syndical, ainsi naissent des radios libres dont radio soleil, radio arabe, radio beur, radio Maghreb, radio Orient… Toutefois, on ne peut s’empêcher de constater que les reconduites à la frontière ne cessèrent pas pour autant. 

De même, le regroupement familial confié à un Office national de l’immigration (OMI) subit une baise sensible : en 1981, 41000 demandes acceptées, en 1985 seulement 19099. De la même manière, le droit d’asile se rétrécit comme une peau de chagrin (cette tendance ne cesse pas à ce jour, bien au contraire). Quant au droit de vote, il a été renvoyé aux calendes grecques. Face à la recrudescence des discriminations raciales et des crimes impunis (souvent qualifiées de «bavures»), des jeunes issus de l’immigration organisèrent une marche pour l’égalité. 

Mars 1985, retour de la droite au gouvernement. Sa plate forme, après avoir constaté la difficulté de la «cohabitation avec une partie de la communauté de 4,5 millions d’étrangers vivant en France», propose «la maîtrise des flux migratoires» et «le contrat moral pour les étrangers en situation régulière : intégration ou aide négociée au retour» non sans avoir pris l’engagement d’affermir l’identité de la France «en luttant contre l’immigration clandestine en agissant avec fermeté contre les étrangers qui ne s’affranchissent des lois de la République». 

La pratique est connue via la tristement célèbre loi Pasqua de 1986 (ainsi que celle de 1993 d’ailleurs) sur l’entrée et le séjour des étrangers. L’autorité administrative se renforce au détriment du pouvoir judiciaire ; la carte de résident de dix ans n’est plus délivrée de plein droit, les catégories d’étrangers non expulsables sont ramenées de 7 à 4 ; l’octroi du droit d’asile revient au Ministère de l’Intérieur ; le rétablissement de l’obligation des visas à l’exception notable des ressortissants de la CEE et de la Suisse. 

De retour à l’opposition, la droite -lors de la «Convention des états généraux- en 1990 indique ses objectifs : enrayer le détournement du droit d’asile, limiter le regroupement familial et le droit aux prestations sociales, réformer le code de la nationalité, accroître la coopération avec les pays pauvres pour tarir le flot des réfugiés. D’évidence, «les clandestins» n’ont plus pour d’autre destin que d’être refoulés manu militari. Les candidats au mariage avec les ressortissants français font également l’objet de contrôle pour éviter les «mariages de complaisance». 

Le regroupement familial n’a pas également été assoupli puisqu’il faut toujours un «logement adapté» et des «ressources stables et suffisantes». S’agissant de la nationalité, le jus soli (droit du sol) permettait l’automaticité de l’acquisition de la nationalité du fait de la naissance sur le sol du territoire français ; or, il a été réformé en sorte que cette automaticité n’existe plus, alors même que ce principe a pu être réaffirmé par le Conseil d’Etat, le 30 octobre 1986 («Le Conseil d’Etat n’a pas discerné les raisons de modifier un système qui est en vigueur depuis près d’un siècle et dont l’expérience n’a pas démontré les inconvénients»). 

Les contraintes sont depuis lors et jusqu’à ce jour visibles quant aux reconduites à la frontière et les expulsions, les contrôles d’identité s’étant depuis multipliés, l’interpellation de personnes en situation irrégulière donnant parfois naissance à des drames. Le droit d’asile continue d’être le parent pauvre du droit des étrangers. Quant au vote des étrangers… 

« Intégration » et couples mixtes 

Depuis, les politiques, relayés par les medias, parlent d’intégration. Il est vrai que la sémantique relative à l’assimilation est devenue obsolète, voire indécente.  Ainsi, à l’occasion des travaux de la Commission de réflexion sur le code de la nationalité, en mars 1990, il a été décidé la mise sur pied d’un Haut conseil à l’immigration. En clair, les pays d’origine ont perdu tout droit de regard sur leurs propres ressortissants. Et l’Algérie n’échappe pas à la règle.

Il est vrai que beaucoup parmi les jeunes de l’immigration ayant opté pour la nationalité française sont exclus des centres de décisions où se joue leur sort, d’où la marginalisation d’une partie d’entre eux et sans doute les «événements» de Vaulx en Velin et Sartrouville. 

Parmi les axes de réflexion de cette commission : l’école, l’urbanisme et les banlieues. Egalement l’analyse du droit de vote des étrangers aux élections municipales ; plus de pédagogie et moins de répression, l’accès aux medias et aux activités professionnelles selon compétence.

Pourtant, malgré la création d’un Secrétariat d’Etat à l’intégration ayant à sa tête un Français d’origine africaine, M. Koffi Yagname, dans une France devenue par la force de l’Histoire polyethnique, multiculturelle et pluri religieuse (l’Islam y est la deuxième religion), il ne se passe de jours, de semaines et de mois sans que la question de l’immigration ne revienne sur le devant de la scène. La xénophobie et l’islamophobie demeurent socialement et politiquement visibles. En attestent le problème des banlieues, des «bavures» policières, les crimes passablement réprimés (les victimes étant étrangères), les expulsions manu militari…

Par ailleurs, il est vrai que la question des couples mixtes et leurs enfants représentent une réalité complexe, un phénomène social que l’appareil judiciaire et les chancelleries ne maîtrisent pas toujours, notamment en ce qui concerne l’application des décisions rendues entre les parents divorcés et qui reconnaissent des droits à chacun des ex-époux sur leurs enfants. D’évidence, cette réalité socio juridique n’existe pas que pour les seuls Maghrébins. 

En ce sens, il est heureux qu’existent des téméraires qui, au-delà des déchirements historiques, trouent le voile du passé pour y installer un avenir qu’on peut toujours espérer meilleur. Rien de tel sans doute pour effacer les douleurs et les rancunes accumulées, et surtout pour sortir des sentiers bourbeux de ceux qui prônent la haine ; ce, d’autant plus qu’il y a également lieu d’évoquer le cas des couples mixtes qui réussissent, y compris le cas de Maghrébines avec des Européens. 

Et même lorsque l’Algérie traversait une période difficile et passait par moult épreuves accentuées par un certain climat d’insécurité dû, dans certaines villes, à une violence quasi quotidienne, le cas des couples mixtes et de leurs enfants n’a pas cessé.  Il est vrai que les relations entre la France et l’Algérie n’ont jamais été simples eu égard notamment aux circonstances historiques vécues de nombreuses décades (voire des décennies) qui demeurent le moteur de toute explication de cet état de fait. 

Il est vrai qu’après maintes péripéties, une commission mixte algéro-française a mis en place un dispositif permettant aux deux parents de bénéficier tous deux de l’exercice de l’autorité parentale en aménageant un droit de visite et d’hébergement à celui des deux parents qui n’a pas le droit de garde ou de résidence… 

Depuis Maastricht rien de nouveau, ou presque 


Il est vrai qu’en son temps, il y a eu un grand battage médiatique autour du Traité de Maastricht ; partisans comme détracteurs de ce traité ont fait la part belle aux chapitres relatifs à la monnaie unique, à la défense commune, aux problèmes liés à la question de la souveraineté nationale de chacun des pays contractants… Ainsi, face au bloc économique et commercial nord américain, les gouvernements de la CEE présentent le traité comme un maillon fort d’un processus irréversible qui assurerait à l’Europe la puissance et la paix. 

Ce même Traité est sévèrement malmené par ses détracteurs qui le présentent comme un instrument d’un fédéralisme susceptible de susciter un Etat fortement centralisé aux mains d’une armée de technocrates.  Toujours est-il que ce Traité semble avoir, aux yeux d’une grande partie de la classe politique une importance telle que le chef de l’Etat français avait alors participé à une émission (TF1) pour apporter son poids politique afin de faire valoir le «oui» au référendum prévu à cet effet. 

Quel en est, en tout état de cause, l’intérêt pour les immigrés d’une manière générale, et pour les Maghrébins d’une façon particulière (la communauté la plus importante après l’entrée des Portugais dans la CEE) ?  Il faut dire que la question de l’immigration n’est évoquée qu’à travers le prisme déformant des ressortissants de la CEE, les «autres» demeurent un sujet à agiter lors des joutes oratoires en période électorale. 

Le thème récurrent inhérent à la condition des immigrés reste le parent pauvre des débats si ce n’est à travers des propos lénifiants, paternalistes ou franchement hostiles, sans aucune emprise sur la réalité.

Ce qui frappe, en effet, c’est que parmi les objectifs de politique étrangère et de sécurité commune figurent deux principes contradictoires : d’une part «le renforcement de la sécurité de l’Union et des Etats membres» et, d’autre part, «le développement et le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales». 

On reconnaît là les sempiternelles déclarations d’intention. Quelques exemples pour illustrer : d’abord, la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, le Traité fait de l’immigration l’une des questions d’intérêt commun en parlant de «la politique d’immigration et la politique à l’égard des ressortissants des pays tiers», des «conditions d’entrée et circulation des ressortissants des pays tiers sur le territoire des Etats membres» et de «la lutte contre l’immigration, le séjour et le travail irréguliers de ressortissants des pays tiers sur le territoire des Etats membres». 

Aussi, la suppression des frontières internes à la CEE s’accompagne t-elle du renforcement des contrôles policiers et douaniers «tout en harmonisant leurs politiques nationales en matière de droit d’asile et de séjour» précise le Traité. Donc à Maastricht, rien de nouveau puisque ces principes étaient définis et mis en pratique dans chacun des Etats membres de la CEE. Ensuite, l’accord sur la politique sociale. Le Conseil de la CEE statue sur les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier de la Communauté. 

Ainsi, dit le Traité : «Afin d’améliorer les possibilités d’emploi des travailleurs dans le marché intérieur…, il est institué un Fond social européen qui vise à promouvoir à l’intérieur de la communauté les facilités d’emploi et la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs». 

D’évidence, les immigrés sont exclus de l’application de cette disposition car n’étant pas ressortissants CEE. Faut-il s’étonner dès lors que le Traité considère que, dans le cadre de la coopération du développement, la politique de la Communauté consiste, pour l’essentiel, en «l’insertion harmonieuse et progressive des pays en développement dans l’économie mondiale» ?

Bref, le libéralisme triomphant se mondialise et les «autres» pays non CEE se doivent de se mettre au diapason de cette nouvelle coqueluche car maillons faibles de la chaîne économique mondiale. Serait-ce là l’application de cette ineptie juridico- politique appelée «devoir d’ingérence» ? 

Enfin, il faut noter que le droit de vote et d’éligibilité n’existe que pour les ressortissants CEE, municipales et européennes, dans l’Etat membre de résidence. Est-ce là l’application du principe de «subsidiarité» ( ?) selon lequel la Communauté ne doit se concentrer que dans son champ actuel de compétence «là où son action est plus efficace que celles des Etats» ?

Elle ne peut donc légiférer dans tous les domaines ; ainsi en est-il des grandes prérogatives «régaliennes» de l’Etat : éducation et justice par exemple. La situation a t-elle pour autant évolué ? Il est permis d’en douter.  

(A suivre)

Ammar Koroghli, avocat (Paris)-auteur Algérien (auteur notamment de : « Mémoires d’immigré » (Nouvelles) et « Sous l’exil, l’espoir » (Poésie)

 

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