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Presse indépendante francophone : l’adieu aux armes  

Liberté de la presse

Après la disparition forcée du quotidien Liberté, et les risques de fermeture qui pèsent sur El Watan, la presse algérienne, dans sa version francophone, est en passe de solder son compte avec son passé, avec tout ce qui a fondé l’identité d’une presse libre, impertinente, engagée et franchement patriotique.  

Naissance dans la douleur d’une presse qui se voulait indépendante 

Nés dans le contexte post-événements d’octobre 1988, et de la volonté d’une poignée de journalistes qui voulaient tenter « l’aventure intellectuelle », ces journaux inauguraient une nouvelle ère médiatique en Algérie et ouvraient des perspectives prometteuses pour une nouvelle génération de journalistes avides d’apporter leur pierre à la construction de l’édifice démocratique et pluraliste dans un pays qui – croyaient-ils – venait de naître à la démocratie.

On assistera à une foisonnement de titres, qui dans leur majorité ambitionnaient de donner le change à un lectorat impatient de rompre avec le ronron lénifiant de la pensée unique en vogue au sein des rédactions des organes de la presse gouvernementale soumise à la consigne et aux orientations du « politburo » du parti-Etat FLN.

Avec cette capacité à mêler l’engagement et une vision du monde claire et assumée, ces journaux étaient le réceptacle et le creuset de journalistes et d’intellectuels porteurs d’idées généreuses qui s’essayaient, jour après jour, à donner du relief à l’espoir démocratique naissant.

Partisans de toutes les ruptures, ils se sont retrouvés aux avant-postes du combat pour le changement démocratique et l’émancipation de la société qu’ils veulent voir se délester des pesanteurs du passé. Ce combat fût inégal. Beaucoup de journalistes, dont des plumes emblématiques comme Tahar Djaout, Saïd Mekbel, Allaoua Aït Mebarek, Hamid Mahiout… furent les victimes expiatoires d’une violence massive venant du camp de la régression.

Les journalistes sont aussi victimes des partisans du statu quo, légion au sein du pouvoir qui n’a jamais voulu faire sien cet axiome qui dit : « sans la liberté  de blâmer, il n’est pas d’éloges flatteurs ». Le jeu était biaisé. Les pratiques autoritaires revinrent en surface.

S’étant engagés par choix et par conviction dans la bataille des idées contre la régression et le statu quo sur le plan des libertés fondamentales, des journaux comme El Watan, Le Matin, Liberté, Le Soir d’Algérie (avant Tebboune) et le quotidien de langue arabe, El Khabar étaient enclin et forcés à ouvrir un autre front, celui de la lutte pour la liberté de la presse et d’expression, à guerroyer contre une autorité politique fermée à  toute idée  d’une presse libre capable de jouer son rôle de contre-pouvoir.

Bouteflika et la presse : la censure et la corruption comme marqueur d’un régime autoritaire  

La tentation liberticide et la volonté de domestication des médias ont été une constante même après l’ouverture démocratique consécutive aux événements d’octobre 1988. Des journaux ont été suspendus et des journalistes furent incarcérés pour leurs écrits. Notamment sous Liamine Zeroual et son bras droit le général Betchine, conseiller et néanmoins puissant décideur à l’époque.

La situation s’est aggravée avec l’arrivée de Bouteflika au pouvoir en 1999. Le monde de la presse ne pouvait pas s’attendre à meilleur traitement sous le règne absolutiste d’un président qui se gargarisait d’être le rédacteur en chef de l’APS et qui imposait sa présence aux Algériens chaque soir via le 20 h de la télévision nationale.

Les choses n’ont pas changé depuis. En lieu et place de Bouteflika, on a Abdelmadjid Tebboune et le général major Chanegriha tous les soirs.

Bouteflika qui cultivait comme pas un le culte de sa personne n’appréciait pas que les journalistes parlent de lui autrement que par des propos laudateurs. Il avait un mépris royal de la presse nationale et des journalistes algériens qu’il a  affublés du peu glorieux qualificatif  de masseuses de bain maure.

Aussi n’hésitait-il pas à neutraliser cette presse, notamment des journaux comme Le Matin, Le Soir d’Algérie, El Watan, Liberté  et El Khabar coupables à ses yeux de lui avoir manifesté un soutien plus que tiède lors de son accession au pouvoir. C’est pourquoi il entreprit de torpiller et déconstruire le champ médiatique en usant de procédés aussi cyniques, perfides que sournois. Un cycle qu’il a inauguré avec la censure violente qui a ciblé le journal Le Matin frappé d’une décision arbitraire de fermeture et son directeur, Mohamed Benchicou envoyé devant les tribunaux et incarcéré  sous le prétexte fallacieux de détention de bons de caisse.

Un fait du prince qui rentrait dans le cadre d’une stratégie de mise au pas et de neutralisation de toutes les voix critiques et  discordantes. Une démarche qui  s’est traduite par la mise en place d’une système médiatique tout acquis à sa dévotion. Un système  où  l’argent  servira de levier  pour une  censure qui ne voulait dire  pas dire son nom. C’est dans ce sens, et  bien servi par une conjoncture d’insouciance et d’abondance sur ne plan financier, il a encouragé le lancement d’une multitude de journaux tous acquis à sa cause et qu’il arrosait sans retenue de publicité publique, via l’ANEP. L’objectif de ce  stratagème diabolique est double : créer la confusion et donner l’illusion d’un pluralisme dans un champ  médiatique fermé.

Hard Power et guerre d’usure 

La même stratégie de guerre d’usure mise en route sous le règne de Bouteflika demeure. Visiblement, les médias ont le choix entre la carotte et le bâton, se soumettre ou disparaître. Une politique de hard power visant à faire le ménage et empêcher l’émergence d’un fonctionnement médiatique selon les normes universellement admises et qui garantissent le droit des citoyens à une information équilibrée et pluraliste.

L’ANEP exerce un monopole sans partage sur la publicité provenant de la commande publique, en somme, de l’argent public qui devait revenir aux médias sous forme de subventions étatique mais distribuée de façon sélective. Un procédé qui finira d’achever les assises  de sociétés  de presse dont le modèle économique a révélé toutes ses limites et fragilisé par un sevrage trop en long en publicité publique. Un modèle qui a aussi souffert  d’un déficit  d’orthodoxie dans la gestion des deniers de ces entités, de l’aveu même des représentants des travailleurs du quotidien El Watan qui venait de sortir d’une grève de plusieurs jours pour réclamer le paiement de cinq mois de salaire.

Pluralité de journaux VS pluralisme médiatique 

A cela s’ajoute l’existence d’une multitude de  journaux en version papier et digitale que presque personne ne lit et qui n’apporte rien à la lisibilité de la réalité politique et sociale  du pays et  ne  permettant pas l’expression de la pluralité  des opinions qui traversent la société. Beaucoup de ces faux entrepreneurs dans le secteur des médias sont attirés, comme des mouches par la lumière, par le désir de profiter de la manne publicitaire.

Dans cette marche forcée pour la normalisation et le contrôle du débat public, point de place aux voix qui s’élèvent pour dire non à une doxa médiatique qui veut imposer sa raison à tout le monde.

Dans ce contexte, et malgré la toute puissance financière de son propriétaire,  Liberté a fini par mettre la clé sous le paillasson, alors qu’El Watan joue sa survie à pile ou face, car soumise au bon vouloir des banques et des autorités fiscales. Ce  fleuron de la presse libre en Algérie risque de disparaître et avec lui le dernier bastion  d’un journalisme critique    qui conjugue  responsabilité et engagement.

Un champ que certains titres ont déjà  abandonné. Préférant se fourvoyer dans une sorte de pragmatisme qui incline plutôt à un positionnement qui jure avec les positions critiques qui ont fait leur réputation par le passé. Certains titres, connus pour leur courage par le passé ont vendu leur âme au diable. De contempteurs de l’ancien régime, ces journaux sont passés à laudateurs zélés, à soutien tout azimut au maître du moment.

Presse en ligne, cette pierre dans la chaussure

La multiplication de sites en ligne, souvent hébergés à l’étranger irrite le régime. Si sous le très autoritaire Bouteflika aucun n’a été bloqué, c’est une autre affaire sous l’ère Tebboune-Chanegriha. Le passage d’Ammar Belhimer comme ministre de la Communication a entraîné le blocage de nombreux sites réputés pour leur impertinence. Depuis le printemps 2020, un rideau de fer est tombé sur nombre de titre, dont lematindalgerie.com.

En parallèle, comme pour la presse papier, Belhimer s’est employé à encourager la création d’une flopée de sites fantoches tous acquis aux desiderata du régime en place.

En clair, privation de la presse papier de toute publicité pour l’étouffer, blocage de la presse en ligne pour la priver de son lectorat national : tel est l’agenda des autorités pour en finir avec la presse libre.

Samia Nait Iqbal
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