Site icon Le Matin d'Algérie

Presse : « Le dernier qui s’en va éteint la lumière »

MEDIA et REPRESSION

Presse : « Le dernier qui s’en va éteint la lumière »

La légende attribue à cette phrase une origine argentine lorsque les opposants, quittant un à un l’Argentine et son effroyable dictature, l’avait inscrite sur l’un des murs de l’aéroport. Elle en a certainement d’autres mais elle convient parfaitement à la situation des journalistes algériens.

Le journalisme algérien, je suis l’un de ceux qui l’ont violemment critiqué. Mais en même temps l’un de ceux qui ont toujours pris la plume pour exprimer leur indignation lorsqu’un d’entre eux souffrait d’une mise à l’écart, de brimades ou d’emprisonnement.

Depuis 1991, pas une fois je n’y ai dérogé, en commençant par Mohammed Benchicou avec lequel nous avions de gros différents, aujourd’hui ressentis, avec le recul du temps, comme des mesquineries qui ont fait perdre du temps aux partis d’opposition de l’époque.

C’est en fait la nature même du sujet qui clive autant, c’est normal. Chacun souhaitant que la médiatisation soit conforme à l’opinion qu’il a de l’événement. Probablement existe-t-il une frange de journalistes qui méritent notre violente critique, surtout ceux qui servent un régime politique auquel nous avons le plus légitime des mépris.

Mais les journalistes, c’est tout ce qu’il nous reste lorsque nous avons perdu toute forme de liberté d’expression. Ils demeurent, malgré tout, la petite fenêtre qui évite le basculement intégral dans le noir des ténèbres et les abysses du silence.

Ces derniers temps, journalistes et blogueurs ont payé un lourd tribut à la politique liberticide du régime militaire. Comme il est naturel qu’il le fasse, ce régime a relâché des généraux majors, lavés de tous soupçons. Les procureurs n’ont pas pu faire la preuve d’une évidence, l’extraordinaire train de vie et niveau de fortune immobilière, d’eux-mêmes et de leur progéniture, alors que cela saute aux yeux du dernier des débiles.

En revanche, ils ont miraculeusement pu trouver matière à condamnation en invoquant le droit de la diffamation suite à des actes délictuels commis, selon leur interprétation, par des journalistes et blogueurs. En cette matière les preuves pleuvent dans les bureaux des procureurs qui retrouvent leur lucidité d’une manière étonnante.

Honte à un pays qui laisse, sans exprimer la moindre indignation, ses journalistes et blogueurs indépendants se faire menacer par la justice pour avoir exprimé des propos libres et justes tant ils sont évidents pour tout Algérien.

Mais il y a paradoxalement dans cette frénésie judiciaire à interpeller les journalistes quelque chose qui nous rend optimiste. C’est que ce régime est à bout de souffle et entre dans une panique sans précédent. Le nombre d’interpellations et de condamnations ainsi que les emprisonnements démontre au monde entier la fébrilité de ceux qui ressentent le chant du cygne, la fin annoncée de leur pouvoir.

Il faudra bien qu’un jour, lorsque les démocrates se seront enfin réveillés en quittant les institutions officielles, comme cette pitrerie qu’est l’Assemblée nationale, que les procureurs nous expliquent ce que faisaient des hommes libres de leur opinion dans leurs bureaux, avec une condamnation pénale au bout du processus.

Tous les journalistes algériens ont mon soutien et mon respect, même ceux qui se sont laissés à une dérive condamnable. Tout être humain à le droit à l’erreur, dès lors qu’il s’amende et retrouve l’honneur de sa mission.

Elle est belle et nous en aurons besoin. Que le dernier qui s’en va (dans le sens de l’abandon et non du départ à l’étranger) éteigne la lumière derrière lui. Ce pays n’est plus le nôtre.

Le nôtre est à reconstruire, avec eux, au même endroit.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




Quitter la version mobile