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Primo Levi : «Si c’est un homme», une aventure humaine

Conseil de lecture aux jeunes

Primo Levi : «Si c’est un homme», une aventure humaine

Avec le chef-d’œuvre mondial de la littérature proposé aujourd’hui il faut deux avertissements préalables aux jeunes lecteurs algériens.

Pour le premier, je sais parfaitement le climat actuel dans lequel se trouve l’opinion publique envers un certain conflit au Moyen-Orient qui, bien que légitime et fondée, peut faire dévier la raison  lorsqu’il s’agit d’évoquer une histoire relatant les camps nazis d’extermination. La lecture des innombrables messages sur les réseaux sociaux le laisse penser avec certitude.

Les douleurs et les injustices ne se compensent pas et il faut faire la part des choses en entrant dans ce gigantesque roman autobiographique de Primo Levi, «Si c’est un homme», mondialement connu et apprécié.

Le second avertissement est de ne pas craindre de lire une histoire qui semble être morbide et risquer de provoquer un rejet du livre. L’un des plaisirs de lire est sa compatibilité avec tous les genres, c’est justement toute sa richesse et son secret.

Primo Levi a été le premier à rompre aussi fortement le silence assourdissant des déportés à leur retour des camps, ceux qui avaient eu la chance de survivre et qui s’étaient emmurés dans un mutisme total. Il a su trouver le génie de nous en parler avec la plus simple des méthodes, décrire sans y adjoindre la moindre opinion, la moindre larme ou sentiment d’horreur.

C’est en cela que ce livre est incontournable dans le témoignage de l’humanité contre la barbarie humaine qui peut sévir, même chez les plus cultivés. Primo Levi raconte sa vie jusqu’à cet épisode dramatique qui tourne le dos à la civilisation.

Il raconte avec son extraordinaire talent d’écrivain qui se retrouve dans tous ses autres écrits et que je vous recommande par la suite. Il s’extrait de ses sentiments pour être le journaliste et l’historien d’un vécu que nul autre n’aurait pu écrire sans effusion de haine et sentiments accusatoires.

Devant la plus petite anecdote de son quotidien d’interné jusqu’aux récits les plus sombres des condamnés à la mort, Primo Levi nous laisse face à notre opinion, à notre jugement. Il raconte inlassablement et nous entrons avec lui dans un chemin de vie des plus extraordinaires qu’il soit possible de décrire. Il ne juge pas, il nous laisse à notre liberté d’avoir un sentiment personnel, quel qu’il soit.

Mais quel autre sentiment que le dégoût et l’indignation pourrait-on avoir face à cette tragédie épouvantable ? Primo Levi ne se prononce pas sur les faits historiques, il a fait mieux comme témoignage, il les a vécus et supportés dans sa chair. Pour lui, ce sera suffisant pour le transmettre aux générations futures afin que la mémoire ne puisse oublier une telle folie meurtrière et collective.  

Né en 1919 à Turin, l’écrivain est l’enfant d’une famille de la bourgeoisie moyenne, juive libérale et d’origine séfarade. Son père est ingénieur et, tout comme sa mère, a une très grande culture, notamment francophone. Le jeune Primo était ainsi appelé à une brillante carrière de chimiste qui commençait à naître lorsque les événements survinrent.

Dans ces années de pouvoir de Mussolini, les lois antisémites étaient promulguées mais pas encore véritablement appliquées. Le dictateur fut écarté et son successeur signa un accord avec les alliés. Tout pouvait aller mieux mais ce ne fut qu’un court moment d’espoir car Mussolini fut libéré par les Allemands et une chape de plomb s’abattit alors véritablement sur la péninsule italienne.

Primo Levi, comme beaucoup de ses compagnons, entra en résistance et tout s’accéléra jusqu’au camp d’Auschwitz où il fut déporté en 1944. Juif et résistant, deux causes de trop pour le régime de Rome et Berlin.

Son livre « Si c’est un homme » est donc le récit bouleversant qui commence par les années de son insouciante jeunesse pour se terminer dans l’horreur d’une monstrueuse barbarie. C’est dans ce livre que se trouve la célèbre phrase que beaucoup reprendront à leur compte pour toute une série de circonstances lorsqu’ils sont confrontés à une marginalité soudaine sans en avoir été conscients auparavant, « découvrir un jour qu’on est juif, arabe, noir…».

Primo Levi était Italien et rien, absolument rien, ne le prédestinait à se rendre compte de sa différence avec ses concitoyens. C’est une épreuve terrible de se retrouver déporté dans les camps de la mort avec ceux qui n’ont commis aucune faute, car naître d’une famille juive ne saurait l’être.

Ce livre est le plus grand témoignage de cette tragédie du 20ème siècle et ne peut être évité comme référence culturelle pour un jeune lecteur Algérien. Nous ne le rappellerons jamais assez, il s’agit tout d’abord d’un plaisir de lecture d’un très grand roman. Les jeunes lecteurs doivent laisser de côté toute approche philosophique et morale dans l’instant de leur lecture. Juste le plaisir immense d’un récit poignant jusqu’au bout. Comme nous le disons à chaque fois, la littérature a ce pouvoir de pénétrer insidieusement dans les esprits, forger la trame de l’individu cultivé et libre, sans pourtant avoir l’air de prodiguer un cours de morale.

Dans ce camp de détention, aujourd’hui si célèbre mais inconnu à l’époque, Primo Levi va connaître le froid, la faim, le marché noir et toutes les mesquineries humaines lorsqu’il s’agit de survivre. C’est pendant un séjour à l’infirmerie que le jeune italien va comprendre l’existence de l’innommable. Il comprend que ceux qui n’ont plus la capacité à travailler sont voués à la mort certaine.

Entouré d’un ami dont la moralité et la dignité sont restées intactes devant une épreuve si inhumaine, Primo Levi va s’accrocher et obtenir un travail de chimiste dans un laboratoire voisin. Mais je vous laisse à votre lecture de ce roman captivant jusqu’au bout de l’aventure exceptionnelle de cet écrivain qui a eu la force d’en témoigner avec une si grande distance de lucidité.

Avec la lecture de ce livre, il est peu vraisemblable que le désir d’aller plus loin dans l’œuvre de Primo Levi ne se fasse pas ressentir. Bien que celle-ci ne soit pas entièrement consacrée à cette expérience hors-norme de sa vie, on peut comprendre qu’elle en tienne une place prépondérante .

Je vous conseille pour la suite deux autres pistes, « La trêve » qui continue cette histoire mais une fois l’italien libéré du camp. On s’apercevra que la priorité des alliés, dès lors que la libération des internés fut assurée, n’était pas dans leur évacuation. Il y avait une guerre à terminer, aussi bien pour l’armée de l’Union Soviétique que pour les alliés. Primo Levi raconte leur errance à travers les routes, abandonnés mais enfin libres.

Puis, un autre conseil, celui-là pour sortir de l’histoire de la déportation. Nous l’avons déjà rappelé, Primo Levi est chimiste de formation. Dans « Le système périodique », il aura une idée tout à fait surprenante, titrer chaque chapitre du nom d’un élément chimique autour duquel il traduira une pensée, une histoire, une moralité.

L’écrivain italien décède en 1987 dans des conditions qui font, aujourd’hui encore, l’objet d’une polémique interminable. Primo Levi chute dans l’escalier intérieur de son immeuble et ses biographes se rangent à la décision du légiste qui conclut à un suicide. Il n’en sera pas ainsi longtemps car la thèse de l’accident revient périodiquement dans l’actualité.

Le suicide est une fin qui a été rapidement acceptée car justifiée, dans l’esprit du public, par les  troubles consécutifs à un chemin de vie si traumatisant. La force de l’infortuné déporté n’aurait pas résisté au temps, celui qui finit toujours par vaincre les résistances des êtres humains qui ont survécu  au pire.

La thèse du suicide est donc souvent remise en cause pour lui substituer celle de l’accident d’un homme vieillissant. Pour les lecteurs du merveilleux roman « Si c’est un homme », la cause de la mort de Promo Levi n’ajoute ni ne retire rien à la force de son témoignage. Elle reste cependant utile pour apporter un élément d’étude psychologique et sociologique supplémentaire dans un autre aspect des choses, comment réagissent les êtres humains lorsqu’ils sont confrontés à une barbarie d’une telle ampleur ?

S’il n’est jamais interdit de réfléchir, je réitère mon conseil insistant, ce n’est pas au moment de la lecture qu’il faut s’embarrasser de telles réflexions, en tout cas pas dans leur nature profonde. Le plaisir de la lecture fera son œuvre silencieuse d’alimenter votre esprit critique et vos positions intellectuelles tout au long de la vie.

Terminons par un autre conseil réitéré à chaque fois, ne pas lire « Si c’est un homme » n’est ni un drame ni un reproche à se faire car la lecture ne connaît pas la dictature des conseils, des injonctions et reste l’ennemi de la pensée unique. D’autres livres, d’autres sources, peuvent amener au même plaisir et à la même formation de l’esprit.

Mais quel dommage si celui que je vous propose aujourd’hui échappe à votre choix, l’instant d’un très agréable moment de lecture.

Auteur
Sid Lakhdar Boumediene, enseignant

 




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