Vendredi 20 décembre 2019
Protesta saison 2 : les marcheurs fidèles à leur serment
Dès le début de cet après-midi du vendredi 20 décembre, aussi doux que gris, les manifestants affluent de toutes parts vers leur circuit habituel.
Forts nombreux, calmes et déterminés, encadrés par des forces de police tout aussi discrètes que sereines, ils entament leur séance hebdomadaire de « positionnement » par rapport aux développements de la semaine écoulée et dont l’élection, qui n’en fut pas réellement une le jeudi 12 décembre, est l’évènement majeur.
Ils crient : « votre Tebboune ne nous représente pas nous jurons devant Dieu que nous n’avons pas voté ». Ils répètent : ç »a avait tout l’air d’une mise en scène électorale et tu as placé Tebboune à El Mouradia » en s’adressant au vieux général.
Ils affirment qu’ils ne dialogueront pas avec « les gangs ». Ils suggèrent aux tenants du pouvoir d’entreprendre le dialogue avec les détenus. Ils répètent qu’ils ne dialogueront pas avec le colonisateur i.e. « makach 7iwar m3a listi3mar ».
Ils exigent la libération des détenus. Ils scandent « 7alfou 3al yamin ou ouladna masadjin » i.e. ils ont prêté serment et nos enfants sont en prison par allusion à l’actuel président qui a prêté serment lors de son investiture.
Tout en se jurant qu’ils obtiendront leur liberté en fredonnant la chanson d’Amirouche, ils assurent qu’ils ne sont point intimidés par l’évocation de la décennie noire. Ils hurlent : « Hirak mazal ouldjazair tedi listiqlal » i.e. le Hirak est là et l’Algérie obtiendra son indépendance. Ils fredonnent qu’ils continueront leur action pacifiquement et qu’ils enlèveront les militaires d’El Mouradia i..e « ounkamlou biha biessilmia ouna7ou el 3askar mel Mouradia ».
Après Bouteflika, Ouyahia, Sellal, Bensalah, Bedoui, Gaïd Salah et tant d’autres c’est autour de l’actuel résident d’El Mouradia d’être pris pour cible. On transforme la chansonnette « pouvoir assassin » en « Tebboune el Cocain » i.e. Tebboune la Cocaïne. On y remplace le vieux général par Tebboune et Said par El Bouchi i.e. le boucher, qualificatif attribué à Kamel Chikhi, dont le premier métier était la noble fonction de boucher, cet homme d’affaires incarcéré pour trafic d’influence et de cocaïne. Ils inventent une chansonnette qu’ils crient le long de la procession : « makan la sarokh, makan la hamra, djabouna liybi3 el ghobra » i.e. Il n’y a plus lieu de se doper à la fusée, ou à la rouge puisqu’ils ils nous ont ramené le dealer de cocaïne ; la fusée et la rouge étant des drogues hallucinogènes bon marché, sous forme de comprimés. Ils scandent : « pas de dialogue avec Tebboune Escobar ».
Le Président actuel, au centre d’une lutte de clans qui aura duré, subit le dommage collatéral de voir son fils cité, mêlé et impliqué à cette sombre affaire de Kamel le boucher avant même qu’un quelconque jugement n’ait été rendu. Ainsi il est à son tour qualifié de baron de la drogue.
Le tapis rouge déroulé lors de la cérémonie d’investiture, le prompt décernement des médailles de l’ordre national du rang « Sadr » à Bensalah et Gaïd Salah, le long discours du nouveau détenteur du sceau de la nation selon la constitution, dans lequel les élections ont été qualifiés de transparentes, le choix du peuple respecté, des ébauches pas très claires des futurs options économiques et politiques ont été présentés, mais aucun mot sur les détenus d’opinion et sur les libertés n’ a été prononcé n’y changeront rien.
Les marcheurs ne changent pas de cap. Ils sont de plus en plus assidus et sur le qui-vive. Le conflit est toujours là. La république des libertés et de l’espoir qu’ils ne cessent de réclamer semble encore lointaine. Les sentences qui seront prononcés la semaine prochaine durant les procès, tant attendus, de Karim Tabou et de Samir Belarbi seront d’excellents indicateurs sur les intentions réelles des détenteurs de la décision.
La position, la bonne foi et la capacité d’agir, de l’actuel locataire d’El Mouradia, sur la libération des détenus, l’ouverture des espaces médiatiques, le respect des libertés, seront les paramètres qui détermineront l’attitude des algériens quant à l’acceptation, la réussite ou le refus de toute forme de dialogue. Les marcheurs ne sont pas dupes, ils ne cesseront pas leur combat et le temps joue pour eux.