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Quand la constitutionnalisation de tamazight ne rassure pas

REGARD

Quand la constitutionnalisation de tamazight ne rassure pas

Quand la constitutionnalisation du tamazigh ne nous rassure pas ! L’histoire nous apprend que toutes les véritables civilisations ne sont pas incorporées à la religion. De même pour développer une langue, il ne faut surtout pas la sacraliser.

Avec un acte irresponsable, de banalité affichée, un groupe d’universitaires vient de proclamer publiquement l’exclusion d’une formule approximative et inappropriée, l’une des questions sociétales les plus importantes freinant ainsi d’avantage le développement du tamazigh.

Ce groupe d’individus s’interroge sur le fait de savoir s’il faut modifier la loi pour bannir définitivement cette belle langue ancestrale de l’école et de la constitution. Etrange attitude pour une personne normalement constituée, et surtout si elle se revendique universitaire.

Refuser qu’une loi constitutionnelle traite d’une question d’intérêt national n’est pas politiquement neutre. Dans un cas, cela s’appelle l’insouciance, le séparatisme ; dans l’autre, l’exclusion et la division. Cette manière de faire soulève une fois de plus le voile brumeux intense qui règne sur cette question depuis la crise berbériste de 1949.

A l’Indépendance les voyoucrates au passé douteux avaient porté, au cœur de l’État, la culture de l’exclusion pure de tamazigh. Ils utilisent les moyens légaux pour réaliser leurs basses œuvres qui, jadis, ôtèrent une référence identitaire profonde si chère à la nation. Un autre type d’obstacle auquel le tamazigh se heurte est lié à son enseignement depuis sa constitutionnalisation en 2016.

Dans plusieurs régions du pays, les parents d’élèves désapprouvent son enseignement avec force, animosité et malveillance. Dans mon cas, mes parents ne sont pas allés à l’école mais ils m’ont toujours encouragé à apprendre l’arabe et le français. Refuser une langue pour eux relève de l’absurde. Et comme tous les parents ils expriment clairement une préférence d’une langue par rapport à l’autre, chose que je comprends tout à fait. Comme vous l’avez compris sa généralisation et son développement ne se résume pas à son intégration par une loi. Sur sa terre natale, elle est considérée par ses opposants comme une langue du diable pour avoir cherché une petite place à côté d’une langue dite divine et sacrée.

Le problème est qu’on peut trouver dans le coran des passages qui contredisent ces affirmations : langues divine et satanique n’existent pas. Dans mes prières je parle toujours à Allah en Kabyle et je n’ai pas le sentiment qu’il ne me comprenne pas. Il est vrai aussi que je ne connais pas tout d’Allah, il ne m’a jamais envoyé de révélation particulière à ce sujet. Ainsi, je m’interdis de parler à sa place.

Un enfant Kabyle, Mozabite, Chaoui et Targui qui apprend avant sa scolarisation que ses origines ne sont pas arabes, et que ses parents parlent une langue différente et qu’ils pratiquent la religion islamique en récitant à moitié des versets coraniques sans comprendre leurs sens ; très vite, il s’aperçoit que cette langue arabe classique dominante à l’école, à laquelle il est formé,  est une langue qui n’est pas la sienne.

En outre, l’enseignement de l’histoire lui rappelle souvent qu’il n’est pas purement berbère et qu’il appartient à une nation arabe qui existe seulement dans l’imaginaire de ses partisans où à un pays de rattachement de la péninsule arabique auquel ses parents et ses grands-parents n’ont jamais mis les pieds.

Toutes ces choses l’éloignent de son algérianité, et elles créent une méfiance entre les enfants de la même communauté. Evidemment, dans certaines régions arabophones ce contraste n’est pas ressenti comme tel. Un enfant de parents algériens parlant la Derdja, n’ayant pas de contacts à l’école primaire avec des enfants amazighs ne se posera pas les mêmes questions sur son identité à son âge adulte.

Peut-être est-ce l’une des raisons qui a freiné et retardé l’institutionnalisation du tamazight. Il a fallu 54 ans de lutte démocratique et pacifique pour sa consécration en tant que langue constitutionnelle en 2016, soit 5 ans après sa reconnaissance officielle au Maroc en 2011. Cette étape constitue une avancée historique sur la politique linguistique dans tout le Maghreb, et à l’occasion le drapeau amazigh a été brandi par de nombreux manifestants au Maroc, en Algérie et en Libye. Ce beau drapeau, appelé « el-farchita » par ses adversaires, reste le seul emblème capable d’exprimer l’appartenance de toutes ces populations de l’Afrique du Nord à un même peuple et à un même territoire, anciennement la Numidie.

Comme la langue, le port de cet emblème a été souvent empêché de force par la police dans les marches citoyennes, et la prison ferme a été appliquée comme sanction à l’encontre de ses porteurs. Quel dommage ! L’argumentaire le plus ridicule utilisé pour contrer l’avancement de cette culture de nature universelle est qu’elle n’est pas divine et qu’elle n’est pas celle du Prophète Mahomet. La langue de Shakespeare l’Anglais et celle de Voltaire l le Français sont-elles sacrées ? La réponse est non, et aucune d’entre elles ne cherche à étouffer l’autre. Elles partagent ensemble un petit territoire trop restreint et moins important que celui de l’Algérie toute seule depuis des siècles sans se revendiquer la paternité ou la maternité de la religion de Jésus. L’histoire nous apprend que toutes les véritables civilisations ne sont pas incorporées à la religion.

De même pour développer une langue, il ne faut surtout pas la sacraliser. Cela, les européens l’ont bien compris : ils ont choisi de développer leur culture respective sur la littérature, l’histoire, l’art, la poésie, la philosophie, les sciences humaines et le tout dans un cadre républicain, scientifique et universel.

L’écrivain Taha Hussein qui a marqué plusieurs générations d’intellectuels du monde arabe et qui a essayé de moderniser la littérature arabe par un vocabulaire plus adapté et approprié, a été vite discrédité et écarté en lui reprochant sa position et sa vision moderne de l’islam. Décidément les défenseurs de cette culture cherchent toujours à la confiner dans les thématiques de la religion, ce qui explique son retard par rapport aux autres langues. A ce jour, le seul développement qu’a connu la langue arabe se limite à celui de la période de la « Jahilia », ère de l’ignorance et de la barbarie.

La suite de la période pré-islamique vous la connaissez toutes et tous ! Dda L’Mouloud Mammeri fort de sa culture universelle a proposé une transcription qui procure à la langue amazighe un rapide et un meilleur ancrage dans le milieu universitaire, méditerranéen et africain. Depuis son institutionnalisation au Maroc et en Algérie, tamazigh s’invite sur les plateaux télévisés et elle se développe sur plusieurs plans cinématographique, théâtral, littéraire, académique et scientifique.

Tout cela n’arrange pas les affaires des politiques qui surfent sur l’ignorance et l’inculture des populations. C’est la raison pour laquelle ils ne veulent pas couper le cordon ombilical avec l’ère de la Jahilia. Si la langue de Mammeri a fait le même choix que celle de la « Jahilia », elle ne serait jamais heurtée aux mêmes obstacles et sa reconnaissance serait automatique. En règle générale, cinq éléments caractérisent l’identité d’un peuple, quel qu’il soit : un pays, une histoire, une culture, une langue et un destin commun.

Aucune de ces caractéristiques n’est stable, elles évoluent avec le temps. L’Algérie fut judéo-chrétienne avant l’arrivée de l’islam suite à la conquête des arabes de l’Afrique du nord par la force des armes entre 649 et 715 ; elle est devenue terre de l’islam depuis 720 jusqu’à nos jours. La Kabylie fut une région rebelle, pacifiste, laïque, démocratique, et une partie de ses enfants se convertissent au christianisme par familles.

Dans 20 ans, leurs enfants seront adultes et leur nombre aura quadruplé. Dans cette région du pays, l’islam et le christianisme seront amenés à cohabiter ensemble. Le Kabyle par ses facultés intellectuelles, d’intelligence, de tolérance et d’ouverture d’esprit va transformer cette cohabitation en une force positive pour proposer un projet de société plus universel et plus humain. Comme vous pouvez le lire tous les éléments sont remis en cause et en permanence par le comportement des individus et l’éveil des consciences.

C’est le cas aussi bien du mouvement citoyen inattendu qui a amorcé une insurrection populaire sur tout le territoire national anticipant la chute du Président Abdelaziz Bouteflika après 20 ans de règne sans partage ; de l’exode des jeunes algériens vers l’Europe sur des embarcations de fortune ; manque de perspectives claires sur le devenir de la Nation ; émergence d’une seconde religion ; classe politique non reconnue comme telle par la population ; enfin dans un tel contexte tendu, l’existence d’un destin commun reste incertain.

De tout cela, il résulte qu’à terme la seule dimension qui définira durablement l’identité algérienne, ce sera sa langue, sa culture, sa stratégie de commercer et d’échanger avec les pays amazighs voisins et du bassin méditerranéen. Le tamazight comme langue commune peut rassembler tous les pays de l’Afrique du Nord. Comparée à l’arabe, elle présente l’avantage d’être universelle et plus ouverte au reste du monde.

Elle trouve sa source dans l’harmonie de l’histoire commune et profonde de toute la Numidie et présente une symétrie avec un passé glorieux, qu’on trouve déjà dans les mentalités de plusieurs populations berbérophones au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Libye, au Mali, au Mauritanie et au Niger.

Le tamazigh est une langue qui doit être encouragée, à défendre, à ouvrir à tous les enfants scolarisés en Algérie, pour qu’elle s’en nourrisse : sait-on que grâce à l’évolution progressive de la démographie en Afrique du Nord le nombre des amazighs peut tripler dans les 50 ans à venir ? Mais qui peut disparaitre dans un temps équivalent si l’on n’y prend pas garde. Tamazigh est une langue de résistance qui peut combattre les différents fondamentalismes ; quand elle s’exprime avec son meilleur style le « latin » ! 

Auteur
Mourad Khelifa

 




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