L’économie rentière, c’est cette vieille recette qui permet à une élite de vivre sans produire, en se contentant d’exploiter les ressources naturelles d’un pays sans investir dans son avenir.
L’économie rentière n’a rien d’un modèle vertueux, et pourtant, elle séduit toujours ceux qui rêvent d’un pouvoir sans effort, d’un enrichissement rapide et d’une stabilité à toute épreuve. Mais ce modèle économique, bien que tentant pour ceux qui le manient, porte en lui un poison : celui de la dépendance. Une dépendance à des ressources finies, à un système où le pouvoir est concentré entre les mains d’une élite politique qui se nourrit du même rentierisme.
Les dictateurs des économies rentières savent cela mieux que quiconque. Ils règnent non pas en bâtissant une véritable économie de la prospérité, mais en prélevant une part toujours plus grande de la richesse générée par les ressources naturelles, tout en maintenant un système politique où la répression et la corruption garantissent leur pérennité. Mais que se passe-t-il quand ce pouvoir ne peut plus se renouveler ?
Quand les années passent et que le dictateur lui-même commence à sentir le poids de son propre âge ? Eh bien, la réponse est simple : il s’installe confortablement dans une « maison de retraite » dorée, un fauteuil luxueux, là où il trouve toujours des alliés prêts à lui garantir un dernier souffle de pouvoir.
Prenons un exemple récent : Bachar el-Assad, le président syrien. Après plus de 13 ans de guerre civile dévastatrice, de massacres et d’atrocités commises sous son régime, Assad, en dépit de la ruine du pays et de l’opprobre international, n’a pas eu à faire face à la fin de son règne. Plutôt que de se retrouver sur le banc des accusés, il a été soutenu, voire protégé, par son puissant allié, la Russie, qui lui a offert le confort d’une retraite dorée en échange d’une fidélité à toute épreuve.
Le dictateur syrien, devenu un pion dans un jeu géopolitique bien plus grand, trouve ainsi refuge chez un ancien maître du jeu. La Russie, qui a vu dans cette alliance une opportunité géostratégique, n’a pas hésité à lui garantir le confort de son fauteuil présidentiel. Mais il n’est pas seul. Tout dictateur en fin de parcours, s’il n’est pas renversé par son peuple ou la pression internationale, a souvent cette porte de sortie : le refuge chez un allié puissant, qu’il soit un protecteur militaire comme la Russie, ou un conseiller de luxe auprès de pays démocratiques. D’autres, plus cyniques, trouvent dans leurs relations internationales un rôle plus discret mais tout aussi lucratif : celui de conseiller à la présidence, garant de secrets et d’intérêts inavouables.
Le poids d’un système rentier : l’immobilisme dans la démesure
En Algérie, en Libye, en Angola, en Afrique centrale, ou encore dans d’autres régimes autoritaires du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne, les régimes rentiers ont prospéré sur la démesure des budgets publics, financés par des ressources naturelles, souvent sans aucune véritable redistribution ni investissement dans les infrastructures sociales. Ces pays, dominés par des bureaucraties tentaculaires et des élites corrompues, sont prisonniers d’une économie du statu quo où le seul moteur de la croissance reste le pillage des ressources naturelles.
La bureaucratie y est une structure qui s’alimente à la fois de la corruption et de l’inertie. La classe politique se contente de son fauteuil doré, ne cherchant plus à innover ou à remettre en cause l’ordre établi, car pourquoi s’embêter à réformer quand on peut se contenter des rentes? Un système politique obèse, inefficace et corrompu, qui ne produit rien d’autre que des inégalités, mais qui ne risque rien : c’est l’arme ultime des dictateurs. Ils s’assurent de la survie de leur pouvoir en achetant des loyautés, en manipulant les rentes économiques, et en maintenant un peuple dans l’ignorance et la soumission.
« Le pouvoir n’est jamais un bien public, il devient un bien privé qu’on conserve à tout prix. » — Jean-Paul Sartre. Cette citation de Sartre résume parfaitement le comportement des dictateurs rentiers. Le pouvoir devient un objet à préserver, souvent à n’importe quel prix, au détriment du peuple et du bien commun. Les moyens ? La manipulation, la répression, la corruption. Le prix ? Le sacrifice du pays tout entier.
Le dictateur comme « mémorial vivant » : un héritage problématique
Mais que reste-t-il après la retraite du dictateur ? Un pays en ruines, une économie en berne, une société fracturée. Les dictateurs, loin de construire des nations viables, préfèrent laisser derrière eux un héritage dévasté. Ce sont des mémoriaux vivants, des vestiges d’un pouvoir qui n’a jamais su se renouveler. À chaque retraite, à chaque « renversement » ou à chaque transition, la structure économique rentière se reconstruit à partir des mêmes bases corrompues, laissant peu de place à une véritable démocratie ou à une réévaluation de la gestion publique.
La dictature se retire toujours dans l’ombre, mais elle laisse derrière elle une nation éblouie par ses promesses non tenues, une économie à genoux et un peuple devenu spectateur de son propre effondrement. Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que cette forme de dictature n’est pas simplement l’apanage d’un seul homme, mais d’un système qui vit de sa pérennité, de ses alliances et de son pouvoir de maintenir l’immobilisme au prix du sang et des ressources naturelles.
Conclusion
Quand la dictature prend sa retraite dans un fauteuil doré, c’est le peuple qui paie le prix de l’immobilisme et de la corruption.
Le système rentier, alimenté par la corruption, la bureaucratie et la manipulation des ressources naturelles, produit des dictateurs qui, une fois leur pouvoir consolidé, ne cherchent pas à partir mais à trouver un endroit où leurs héritages perdurent. Le fauteuil doré du dictateur, loin d’être un symbole de victoire, est un monument à l’échec économique et politique. C’est le peuple qui continue à souffrir, alors que les élites prennent leur retraite en toute quiétude, protégées par ceux qui partagent leurs intérêts.
Dr A. Boumezrag