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Quand l’Armée a « restitué » le pouvoir à… l’un des siens

Chronique du temps qui passe

Quand l’Armée a « restitué » le pouvoir à… l’un des siens

Les chefs de l’armée auront donc mis 15 ans pour s’apercevoir qu’en troquant l’Algérie de Zéroual contre l’Algérie de Bouteflika, ils ont joué le destin du pays à la roulette russe. C’est bien le cas de le dire. L’Algérie de Bouteflika c’est un peu la Russie malade de Boris Eltsine Russie dans les années 1999, dominée par des groupes avides et irresponsables, qui ont démantelé l’État et livré le pays à des coteries mafieuses. De qui disait-on : « C’est la victoire d’un homme malade reconduit à la tête d’un pays convalescent » ? De qui parlait on en disant : « Ce président, élu pour quatre ans mais dont personne ne sait combien de temps il « tiendra » réellement, sera-t-il vraiment capable de relever les défis du troisième millénaire ? » De Boris Eltsine bien sûr. Mais cela aurait pu être de Bouteflika aussi. Et de qui parlait la journaliste Sophie Lambroschini en écrivant : « Le régime eltsinien a inventé un nouveau style de gouvernement : le pilotage automatique » De la Russie, bien entendu, mais les propos s’appliquent sans mal au régime algérien. Le système Bouteflika peut se réclamer du slogan des bolcheviques en 1917:Grab’ nagrablennoé («Pille ce qui a été pillé !»)

Nos généraux et le sort de Saddam

L’image de la statue de Saddam qui tombe sans résistance nous révèle ce qu’il en coûte à un pays de voir son armée démantelée par la propagande des cartels anonymes. Comment passe-t-on d’une armée puissante à une armée déguenillée ? Par la calomnie dévastatrice, comme celle qu’on déverse depuis dix ans sur l’armée algérienne, sans s’apercevoir que notre pays peut parfaitement, demain, dans deux ans ou dans cinq, se voir appliquer les critères de « dictature » qui ont permis aux Américains d’envahir l’Irak. Nos dirigeants en sont-ils conscients ? Pas sûr. Pendant que le régime de Saddam Hussein s’écroulait sous les bombes américaines, notre Pouvoir regardait ailleurs. Vers où ? Pas vers l’avenir en tout cas. En théorie, Mohamed Lamari n’a rien de Taha Ramadan et le général Toufik n’a que de vagues ressemblances avec Tarek Aziz. En dehors d’un usage commun, quoique assez contrasté, de la langue arabe et d’un port constant de l’uniforme dont, soit dit en passant, on notera quelque analogie dans la couleur, tout semble différencier la hiérarchie militaire algérienne de celle de Saddam Hussein, à commencer par l’idée que se font les uns et les autres des valeurs démocratiques essentielles, c’est-à-dire celles que se sont attachés à nous enseigner les Américains.

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Ainsi est-il communément admis que Taha Ramadan et Tarek Aziz ne sont que d’ignobles serviteurs d’une dictature dont on va s’amuser à nous conter les atrocités dans les jours à venir, quand l’image des chefs militaires algériens, par le fait même qu’ils évitent d’occuper les devants de la scène politique, semble échapper à un jugement aussi définitif, nos généraux étant passablement considérés comme les vrais détenteurs d’un pouvoir qu’ils ont toutefois l’intelligence ou la bienveillance de vouloir progressivement céder à un régime civil, le « moins mauvais » possible, «fût-il islamiste . C’est que, conscients de l’urgence qu’il y a à gagner les bonnes grâces occidentales, nos officiers supérieurs, frappés d’une soudaine crise de perspicacité, s’appliquent depuis quelques années, et avec des fortunes diverses, à soigner leur langage, à ne rien dire qui paraisse suspect aux yeux de l’opinion internationale, entreprenant de démentir, avec ce qu’il faut de réactions outragées, les accusations d’ingérences politiques que leur prêtent çà et là des esprits cauteleux pressés de conclure à un «régime militaire». Toute ressemblance avec des personnages du régime irakien ne serait donc que fictive, nos généraux disposant même de l’avantage décisif que notre Mohamed Al Sahhaf local est une charmante rouquine adoptée par les milieux médiatiques, ne portant pas béret et uniforme mais, selon les profonds souhaits de notre Président, une jupe chargée de la noble mission de rivaliser avec la barbe de Abassi Madani. Bref, rien ne devrait donc priver notre armée du label démocratique, elle qui s’est reconvertie à l’art de la cohérence malgré les sorties de l’indomptable Khaled Nezzar. Rien, si ce n’est les Américains eux-mêmes, uniques décideurs en la matière, les seuls qui détiennent l’immense privilège de distinguer le bien du mal, le bon du mauvais, le croyant du mécréant et le général républicain du général tortionnaire. Oh bien sûr, le fait que Mohamed Lamari n’a pas pris les populations kabyles pour des Kurdes et que le général Toufik n’a jamais gazé personne devrait, en toute bonne logique, éviter de les confondre avec les officiers de Saddam et même, allez savoir, les classer parmi les sérieux candidats à !a bonne réputation. Cela suffirait si les critères d’appréciation yankees ne reposaient sur une subtilité infiniment complexe et franchement hypocrite.

On ne gagne jamais la sympathie des Américains, on se résigne à leur puissance ou on en meurt. L’épisode irakien en est l’illustration la plus sanglante et, hélas, la plus proche de nos réalités. Car, enfin, où commence une dictature dans la terminologie américaine et où finit le bon sens républicain ? Bien malin serait celui qui répondrait à la question. La carte mondiale est peuplée de régimes autoritaires sur lesquels ne plane aucune menace des B 52. Par quel sortilège, alors, le peuple américain est-il brusquement devenu éligible à la « liberté » par l’Administration américaine aux dépens des dizaines de peuples qui subissent, en Asie, en Amérique du Sud ou en Afrique, la même lame dictatoriale ? Le sortilège de la stratégie du Pentagone, du pétrole et des dollars. Des normes valables à Kirkouk comme à Hassi Messaoud. On n’y peut rien, notre pétrole a des qualités irakiennes : les Américains n’y sont pas indifférents. Qui a oublié que la loi sur les hydrocarbures a bénéficié du soutien officiel de la Maison-Blanche et que son gel, sous la pression de la rue, ne place pas notre pays dans une posture sympathique aux yeux des responsables américains ? Qui peut, aujourd’hui, assurer que l’Algérie n’est pas dans les plans de recomposition américains ? Si, d’aventure, tel était le cas, les motifs d’une ingérence américaine sont déjà préparés qui mûrissent au soleil du mensonge. On se rappellerait opportunément, le moment venu, que les généraux algériens sont accusés de délits susceptibles de tourner vers eux le regard américain, que s’ils n’ont pas gazé leurs populations, Ils sont quand même suspectés d’en avoir massacré certaines, sur la foi des écrits de mercenaires algériens comme Habib Souaïdia ou Aboud Hicham, recrutés par les officines franco-américaines pour cette triste besogne.

On se rappellerait, en plus du « putsch » de janvier 1992, que traîne encore à leur passif un certain dossier de 7 000 disparus, que pèsent sur eux les soupçons d’assassinat de leurs opposants politiques, de corruption, de trafic d’influence, de tous ces crimes pour lesquels Milosevic est devant le juge de La Haye et Saddam dans la déchéance éternelle pour n’avoir eu les moyens de résister… Car c’est ainsi qu’on passe d’une armée puissante à une armée déguenillée, par la calomnie dévastatrice, comme celle qu’on déverse depuis dix ans sur l’armée algérienne ; par la propagande subversive qui inhibe avant d’ouvrir la voie aux embargos, puis à l’isolement et enfin à l’exécution finale. La statue qui tombe, faute de combattants.

La guerre contre l’Irak a commencé il y a dix, quinze ou vingt ans, le jour où on a décidé d’entamer le processus d’émasculation progressive de l’armée irakienne par les campagnes internationales qui retournent les opinions. Alors, ce pouvoir algérien, occupé à maîtriser les règles de la mondanité américaine pour s’épargner tes foudres de la Maison-Blanche, sait-il qu’il ne suffit pas de détourner la tête du conflit irakien pour se prémunir de ces nouvelles stratégies colonisatrices américaines qui mettent fin à un demi-siècle de décolonisation ? La soumission aux règles américaines se fait aux dépens de la souveraineté nationale. Des âmes lucides soutiendront qu’il est illusoire de vouloir s’opposer à la puissance américaine. Faut-il alors laisser faire, offrir nos têtes au bourreau sous prétexte qu’il porte un étendard étoilé ? Il y a une forte résistance internationale à l’hégémonie de George Bush et il serait dommageable de ne pas en tenir compte à défaut de la rejoindre.

J’entends bien que le Président candidat Bouteflika – un homme coopté par des généraux pour, précisément, plaire aux opinions internationales – est disposé à toutes les allégeances pour obtenir un second mandat, quitte à l’obtenir par un char américain, mais, pour l’avoir répété, cet homme n’est pas représentatif de la dignité algérienne. Je ne connais pas beaucoup d’Algériens qui seraient fiers de voir leur compatriote Chakib Khelil, homme-lige de M. Bouteflika, diriger le pétrole irakien sous les ordres des Américains. Alors, sans doute est-Il encore temps de méditer sur notre futur proche, de dresser autour du pays la protection idéale, celle du soutien populaire, par la transparence, la vérité, la justice sociale, le dialogue, le rétablissement de la confiance. La vraie démocratie qui se réalisera contre toutes les hégémonies, celle des islamistes, celle de leurs protecteurs ou celle de leurs alliés d’Oujda.

M. B.

Chronique publiée en 2012

 

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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