Une déclaration ministérielle peut, parfois, en dire long par ce qu’elle omet autant que par ce qu’elle proclame. Celle du ministre de l’Éducation nationale, Mohamed Seghir Saâdaoui, en est une parfaite illustration. Et sa saillie sur les résultats du BEM en dit long sur le racisme anti-Kabylie qui macère au sein de l’équipe à Tebboune.
En annonçant que « la première place en matière de taux de réussite au Brevet d’enseignement moyen ( BEM) de la session 2025 revient à l’École Internationale Algérienne de France (EIAF) avec un taux de 88,46 % », le ministre a livré une information pour le moins déroutante, en y glissant un classement qui interpelle.
En apparence anodine, cette déclaration marque un tournant dans la manière dont les résultats du BEM sont présentés au public algérien. Pour la première fois, une école algérienne située à l’étranger, dans un contexte social et pédagogique radicalement différent de celui des établissements du territoire national, se retrouve intégrée au classement des wilayas algériennes. Une décision surprenante, et surtout problématique, à plus d’un titre.
Une manœuvre symbolique ?
L’école algérienne de France, relevant du réseau des établissements algériens à l’étranger, est une entité à part, destinée principalement aux enfants de diplomates et de cadres expatriés, bénéficiant de conditions d’enseignement singulièrement favorables. Comparer ses performances à celles des lycées publics de wilayas confrontées à des difficultés structurelles — surcharge des classes, manque de moyens, inégalités régionales — relève d’un non-sens pédagogique et statistique.
La question se pose alors : pourquoi cette soudaine insertion dans le classement national ? Pourquoi faire figurer une école d’élite hors-sol au sommet d’un palmarès censé refléter l’état de l’école algérienne dans sa réalité la plus crue ? Cette hiérarchisation inhabituelle, voire artificielle, interroge sur les véritables intentions du ministre.
Tizi Ouzou, la wilaya qu’on évite de nommer
Cachez-moi cette wilaya que je ne saurais voir ! Mais le cœur du malaise est ailleurs. Car en creux, cette déclaration semble chercher à décaler les projecteurs. Depuis quinze ans, la wilaya de Tizi Ouzou trône en tête du classement national du BEM (et même du BAC) avec des taux de réussite souvent au-dessus de 80 %. Cette constance remarquable, fruit d’un investissement communautaire dans l’éducation, d’une tradition de rigueur scolaire et d’un tissu familial mobilisé, aurait dû être saluée à sa juste valeur.
Or, au lieu de reconnaître ce leadership une nouvelle fois confirmé, le ministre choisit d’évoquer Tizi Ouzou comme occupant « la deuxième place », en la reléguant derrière une école… en France ! Et ce, sans même prendre le soin de mentionner explicitement son taux de réussite exact, préférant s’attarder sur le sort de la wilaya la moins performante, Bordj Bou Arréridj. L’attention se détourne, la symbolique change, le podium s’efface.
Une gêne politique ?
Décidément la Kabylie gêne au plus haut point les dirigeants du pays. Comment expliquer sinon ce triste comportement d’un haut commis d’Etat qui se pique de l’unité nationale ?
Ce déplacement du regard pose une question : le ministère est-il à ce point embarrassé par la domination récurrente de Tizi Ouzou aux examens scolaires ? Pourquoi cette réussite est-elle devenue, au fil des années, un fait qu’on contourne, qu’on atténue, qu’on relativise ? Doit-on y lire un malaise politique plus profond, où une excellence régionale dérange, voire irrite, en haut lieu ?
La manœuvre est d’autant plus maladroite qu’elle en dit long sur un pouvoir incapable de célébrer équitablement les réussites, surtout lorsqu’elles viennent de régions à forte identité culturelle et historique, comme la Kabylie. Elle révèle une tendance à diluer les performances régionales dans une vision centralisée, où les distinctions territoriales gênantes sont dissoutes dans des catégories floues.
De la reconnaissance au camouflage
Plutôt que de s’enorgueillir d’une telle vitalité éducative dans une wilaya qui fait face à de nombreux défis, le ministère semble préférer masquer, relativiser, contourner. Au lieu d’encourager la généralisation de ce modèle de réussite, on tente d’en affaiblir la portée symbolique. Ce qui aurait pu servir de levier national devient une gêne à gérer.
En intégrant artificiellement une école étrangère dans un classement national, le ministère brouille les pistes et sape sa propre crédibilité. La vérité éducative se doit d’être transparente et cohérente. Et quand le classement devient politique, c’est la confiance dans les institutions qui vacille.
Sofiane Ayache