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Quand le hirak va-t-il aborder les questions qui fâchent ?

OPINION

Quand le hirak va-t-il aborder les questions qui fâchent ?

Nous connaissons tous l’expression « mettre la poussière sous la tapis ». Il est une autre image de l’Algérie que j’aime bien rappeler. 

C’est celle des réunions de famille, particulièrement entre les matriarches, lorsqu’elles sont autour de la meȉda. Cela commence toujours par « nous sommes tous d’une même famille ». Et c’est là, mes chers lecteurs, à ce moment précis de la déclaration de fraternité, que nous comprenions que la guerre allait bientôt éclater. Elle arrive inéluctablement au moindre mot aventureux, à la moindre allusion que l’une d’entre elles risquait.

Eh bien, c’est la même chose pour le mouvement de dissidence citoyenne (hirak) et l’avenir proche de l’Algérie. Que le lecteur ne comprenne pas autrement mon propos, il est celui d’une personne qui fut et restera admiratif d’un extraordinaire mouvement de révolte et de liberté.

J’avais pour habitude de dire avec humour que nous avions milité pendant des décennies sans faire bouger le moindre poil de la moustache d’un général. Puis, un jour, des merveilleux jeunes sont descendus dans la rue, ont crié « Lol » et voilà que le régime militaire a vacillé. C’est tout simplement la force d’une génération qui ne veut plus de la barbarie d’un système hors du temps pour une jeunesse née sous Internet, la mondialisation et les réseaux sociaux.

Cela est un fait indéniable que je ne peux ni n’ai l’intention de contredire. Mais de semaines en semaines, j’ai crainte que ce mouvement, s’il est l’émanation d’une colère assumée et comprise, ne prend pas en compte la démarche qu’il faudrait pour arriver à exaucer le rêve des manifestants.

Toutes les analyses convergent vers un constat, le mouvement n’a pas réussi à dégager des incarnations qui s’expriment pour son compte et seraient les porte-paroles légitimes de la masse en colère. Or, depuis que l’humanité est consciente de sa capacité revendicatrice dans les différentes sociétés, c’est à dire d’organiser des multitudes, elle sait que l’incarnation des foules est une première étape de son expression en des domaines collectifs. Cela s’appelle tout simplement la politique.

Je voudrais maintenant que ces jeunes manifestants nous en disent un peu plus sur leur projet. Je voudrais qu’ils aillent au-delà de la revendication de liberté car si elle est suffisante pour soulever les masses, elle est loin de construire un projet pérenne.

Je souhaiterais que ces jeunes filles en foulard, accompagnées de leurs camarades garçons, nous disent quel avis ont-ils sur la laïcité, une revendication absolument contraire à la position de l’Islam depuis le XIIIe siècle.

Je voudrais qu’ils me disent ce qu’ils pensent du Code de la famille, entièrement en accord avec les écrits de l’Islam. 

Je voudrais qu’ils me disent ce qu’ils pensent de la place des généraux, de leur mise en accusation et des dispositions concrètes à leur égard.

Je souhaiterais qu’ils me disent enfin ce qu’ils ont comme projet de réunification nationale, au-delà du slogan « Nous sommes tous des Algériens », ce slogans qu’affirmaient nos anciennes autour de la meȉda avant que la guerre familiale n’éclate de nouveau, avec plus de rage.

Que pensent-ils de la liberté totale de la langue et culture amazigh, y compris dans un système fédéral où elles pourraient enfin avoir la base anthropologique suffisante pour exprimer la plénitude de leurs droits et de leurs richesses, au bénéfice de l’ensemble du système fédéral ?

Toutes ces questions peuvent fâcher et créer des tensions entre les différentes positions. Mais ce sont elles qui fondent une nation lorsqu’elles sont soulevées, débattues et apaisées dans un minimum de consensus national. Autrement il ne sert à rien de se soulever dans un consensus de façade qui annonce des ruptures inévitables dans un avenir proche.

Je dois rappeler avec force que ma sévérité envers l’attitude actuelle du hirak n’a rien à avoir avec la ligne éditoriale du journal dans lequel j’écris. Il est de son honneur de laisser les paroles s’exprimer sans que cela ne remette en cause son acharnement à couvrir les événements en toute objectivité et en accompagnant le désir légitime d’un mouvement pour lequel la sincérité n’est nullement à remettre en cause.

Mais la démocratie, c’est difficile et entraîne toujours des opinions qui exaspèrent, comme la mienne.

Personnellement, après avoir soutenu (et je soutiens encore) avec émerveillement le hirak, je suis fondé à me poser des questions. J’ai une propension naturelle à me méfier lorsqu’une jeune fille en foulard vient m’annoncer qu’elle manifeste pour revendiquer la liberté. 

J’ai un esprit suspicieux et une tendance à toujours me méfier devant les situations pareilles. Mais je suis très ouvert à la démocratie et à l’humanisme dès qu’on m’explique les choses par des arguments.

J’attends donc, avec impatience, que le hirak m’explique les choses en entrant enfin dans les discussions qui peuvent fâcher. Si nos matriarches d’antan entraient immédiatement dans les discussions qui peuvent fâcher, il y aurait certainement eu moins de violence dans les rapports humains lorsque les causes de cette explication franche se manifestaient dans la vie quotidienne.

La démocratie, ce n’est pas aussi facile que la dictature qu’a vécu cette jeunesse depuis qu’elle a ouvert les yeux à ce monde. La démocratie est l’art de débattre des questions qui fâchent.

Il faut que le mouvement de dissidence citoyenne ou hirak s’en rende immédiatement compte et s’exprime à leur sujet pour préparer un affrontement qui honore la démocratie, celui des opinions contraires.

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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