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Quand le MSP instrumentalise la cause palestinienne pour imposer un black-out culturel

Abdelali Hassani Cherif, président du MSP

Abdelali Hassani Cherif, président du MSP. Crédit image : DR

«Nous vous prions de bien vouloir prendre des mesures urgentes visant à geler les manifestations festives à travers l’ensemble des wilayas, en solidarité avec nos frères en Palestine et à Gaza », peut-on lire dans la missive signée par le chef du groupe parlementaire du MSP et  adressée au ministre algérien de la Culture et des Arts, rendue publique ce 31 juillet 2025.

Le groupe parlementaire islamiste du Mouvement de la Société pour la Paix (MSP) a réclamé la suspension de toutes les festivités culturelles prévues à travers le pays, au motif du « contexte dramatique en Palestine ». À première vue, la démarche semble empreinte de solidarité envers un peuple en détresse. En surface seulement. Car elle soulève des interrogations profondes quant aux motivations politiques sous-jacentes et aux implications pour la scène culturelle nationale. On sait l’entrisme des islamistes du MSP et leur volonté de contrôle de la culture et de mise au pas de la société.

Un contexte culturel déjà affaibli

En vrai, le pouvoir a déjà préparé le terrain aux forces les plus rétrogrades et conservatrice en interdisant la tenue de cafés littéraires, rencontres etc. La société algérienne traverse une période où les espaces de loisirs et de culture se font rares. Dans ce paysage marqué par la morosité sociale, l’ennui chronique d’une jeunesse en quête de repères et une politique culturelle aux moyens limités, les quelques initiatives festives estivales — souvent concentrées dans des régions rurales ou enclavées — jouent un rôle essentiel : elles permettent de tisser du lien, de nourrir un imaginaire collectif, et de faire vivre un tissu artistique déjà fragile.

En appelant à la mise sous cloche de toute forme d’expression festive, le MSP ne se contente pas de revendiquer un acte de compassion à l’égard de Gaza. Il tente d’imposer une lecture univoque de la solidarité : celle qui passe par le silence, l’abstinence culturelle et l’uniformisation des émotions publiques. Une conception qui fait peu de cas de la diversité des formes de soutien, qu’elles soient caritatives, diplomatiques, éducatives ou artistiques.

Une instrumentalisation politique de la tragédie

Le fond du message dépasse donc largement l’humanitaire. Il s’inscrit dans une logique bien plus politique : celle de la captation de la cause palestinienne, que le MSP cherche à s’approprier pour affirmer sa légitimité morale face à un pouvoir exécutif souvent accusé d’ambiguïtés sur ce dossier. En ce sens, la demande du parti frériste s’apparente à une tentative de prise d’ascendant symbolique : imposer un agenda émotionnel national, en se posant en seul porte-voix légitime de la solidarité arabe et musulmane.

Ce jeu de concurrence n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, des pans du champ politique algérien cherchent à instrumentaliser le drame palestinien comme levier de popularité ou de mobilisation interne, au détriment parfois d’une action diplomatique mesurée ou d’un engagement sur le long terme en faveur des droits des Palestiniens.

Culture et résistance ne sont pas incompatibles

Il serait réducteur de croire que la suspension des festivités soit l’unique manière d’exprimer son soutien à Gaza. L’histoire contemporaine, y compris palestinienne, a montré que la culture peut être une forme de résistance, de témoignage, voire de survie. Annuler les festivals, les concerts ou les expositions, c’est faire taire des voix qui, parfois, s’élèvent précisément pour dénoncer l’injustice, éveiller les consciences ou porter la mémoire des peuples en lutte.

En somme, la proposition du MSP, sous couvert d’un deuil collectif imposé, révèle une volonté de contrôle symbolique et moral de l’espace public. Une démarche qui, au lieu d’unifier la nation dans un élan de solidarité éclairée, risque d’accentuer les fractures, en confondant compassion et censure, engagement et injonction.

L’heure n’est pas à l’interdiction des fêtes, mais à la réinvention de la solidarité. Une solidarité qui ne se décrète pas par le silence ou l’austérité, mais qui se construit dans le respect de la pluralité des formes d’engagement, y compris artistiques et culturelles.

Samia Naït Iqbal

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