Autrefois bastion de la laïcité et des libertés démocratiques, le RCD est aujourd’hui secoué par une vive controverse. Accusations de compromission avec les islamistes, destruction des archives du parti, mise en cause de la légitimité de la direction actuelle : le conflit oppose avec virulence anciens cadres et dirigeants en place.
En toile de fond, des choix stratégiques perçus comme contraires à l’ADN du parti et à ses principes fondateurs. Cette crise interne révèle la fragmentation croissante du camp démocratique algérien et soulève une question cruciale : que reste-t-il de l’héritage politique du RCD ?
Depuis quelques semaines, une tempête secoue la maison du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), un des partis les plus emblématiques de l’opposition démocratique en Algérie. À l’origine de la polémique : une série d’accusations graves portées contre la direction actuelle du parti, accusée de « trahison des principes fondateurs » par d’anciens cadres démissionnaires. En toile de fond, une guerre de mémoire, de légitimité et d’orientation stratégique qui dépasse largement les murs du parti pour interroger l’état du camp démocratique dans son ensemble.
Accusations croisées, fracture assumée
D’un côté, un groupe d’anciens militants se disant proches de l’ex-président et membre fondateur, Saïd Sadi dénonce une « liquidation idéologique » du RCD. Dans une déclaration au vitriol.
Amar Ingrachene, universitaire, éditeur et ancien militant du parti, accuse la direction actuelle d’avoir pactisé avec le mouvement islamiste Rachad, d’avoir effacé les archives historiques du parti et, pire encore, de participer à une entreprise de réhabilitation du Front islamique du salut (FIS), pourtant honni historiquement par le RCD. « Ce n’est pas une dérive mais un plan méthodique d’alignement avec l’islamisme », soutient-il.
Les griefs sont précis : signature d’une feuille de route commune entre l’ex-président Mohcine Belabbas et Rachad pendant le Hirak, présence de cadres du parti sur des chaînes affiliées à l’islamisme, exclusion de plusieurs centaines de militants critiques, destruction des archives… Pour les frondeurs, c’est un basculement complet qui renie la doctrine de la « double rupture » — contre le pouvoir autoritaire et contre l’islamisme politique. Une première question : pourquoi maintenant alors même que le parti fait face à des interdictions de salles, et à des pressions du pouvoir ?
Réponse du camp Mazouz : une manœuvre de déstabilisation
Face à ces attaques, la direction actuelle du RCD, menée par Atmane Mazouz, dénonce une tentative de déstabilisation politique « orchestrée dans l’ombre ». Dans un communiqué relayé par le Forum national pour la convergence démocratique, ses soutiens dénoncent une « cabale personnelle » qui viserait à remettre la main sur le parti. « Le RCD est aujourd’hui dans le viseur du pouvoir, ses meetings sont interdits, ses militants harcelés. S’en prendre à lui maintenant, c’est faire le jeu du régime », peut-on lire dans le texte.
Le Forum, regroupement de plusieurs militants se réclamant du camp démocratique, appelle à la solidarité avec la direction actuelle du RCD et accuse les détracteurs de nourrir des rancunes anciennes et personnelles, voire de vouloir « délégitimer une direction élue démocratiquement ».
Dans une de ses récentes déclarations, Atmane Mazouz rappelait et avertissait : « Le RCD ne sera jamais un parti de soumission ni de compromission. Nous sommes et nous le demeurerons un rempart contre l’islamisme, l’autoritarisme et toutes les formes d’injustice. Quand d’autres courbaient l’échine ou se vendaient pour quelques privilèges, nous, nous avons résisté. »
Au-delà du cas RCD : une crise de la démocratie algérienne
Au fond, cette querelle interne dépasse la simple gestion d’un parti politique. Elle révèle l’impasse stratégique et idéologique d’une opposition démocratique fragmentée, incapable de s’unir autour d’un socle minimal. La méfiance réciproque entre anciens et actuels dirigeants du RCD est aussi le symptôme d’un déficit de débat interne et d’un manque de clarté sur les alliances à nouer face à un régime toujours aussi autoritaire. Ce dernier ne laisse aucun espace aux partis de l’opposition. Depuis 2020, la scène politique est placée sous formol et l’expression libre est criminalisée. Une glaciation générale qui n’encourage ni débat ni pratique démocratique.
La question de l’islamisme, notamment, reste un point de fracture fondamental. Faut-il dialoguer avec les mouvements islamistes modérés au nom de la convergence contre le régime ? Ou maintenir une ligne rouge intransigeante comme l’a toujours revendiqué le RCD historique ? La réponse à cette question divise profondément le camp démocratique.
Quel avenir pour le RCD ?
À l’heure où le champ politique algérien se réduit comme peau de chagrin, le RCD est à la croisée des chemins. Entre refondation stratégique et fidélité aux principes fondateurs, entre ouverture tactique et refus de compromission, le parti doit trancher sans ambiguïté s’il veut retrouver un rôle moteur dans la recomposition démocratique. Encore faut-il qu’il survive à cette crise existentielle.
Samia Naït Iqbal
1- Repères historiques – Le RCD, un parti pas comme les autres
1989 : Fondation du RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie) par Saïd Sadi, dans le sillage de l’ouverture politique post-octobre 1988. Le parti se distingue par sa défense de la laïcité, des libertés démocratiques et de la cause amazighe.
1991-1992 : Refus clair du FIS (Front islamique du salut) et soutien à l’interruption du processus électoral. Le RCD devient l’un des principaux porte-voix de la lutte contre l’islamisme.
2000 : Participation au gouvernement sous Bouteflika, une décision très critiquée à l’époque. Le RCD quitte l’exécutif deux ans plus tard, a la suite des tragiques événements du printemps noir de Kabylie
2012 : Départ de Saïd Sadi de la présidence du parti ; Mohcine Belabbas lui succède.
2019 : Le RCD soutient le Hirak, adopte une ligne dure contre le pouvoir, mais reste accusé d’ambiguïtés dans ses alliances.
2022 : Atmane Mazouz devient président du parti lors du 6e congrès, en remplacement de Mohcine Belabbas.
2–Les dates clés du conflit actuel
2019-2020 : Premiers désaccords internes sur la ligne politique du parti, notamment concernant le rapprochement supposé avec des figures islamistes dans le cadre du Hirak.
2021 : Exclusion de plusieurs militants critiques ; montée du malaise interne.
2022 : Élection d’Atmane Mazouz à la tête du parti. Les accusations de « dérive idéologique » deviennent plus virulentes.
Fin 2023 : Destruction signalée d’archives numériques et papier du parti — événement interprété par les anciens cadres comme un effacement délibéré de l’héritage du RCD.
Mai 2025 : Publication d’un communiqué du Forum national pour la convergence démocratique en soutien à la direction actuelle, suivie d’une déclaration incendiaire d’Amar Ingrachene et avant lui, Yacine Aissiouene, ancien député du parti dénonçant une « liquidation des démocrates » et une réhabilitation de l’islamisme.