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Quand le rêve vacille : une comédie noire ouvre magistralement les Journées de Carthage

Journées de Cartage

Le rideau s’est levé à Tunis sur une œuvre qui n’a rien d’un simple spectacle d’ouverture. Avec « (Al-)Hulm… Comédie noire », Jellila Baccar et Fadhel Jaïbi ont offert aux Journées de Carthage une entrée en matière d’une puissance rare : un théâtre qui ne cherche ni l’applaudissement facile ni l’illusion du divertissement, mais qui avance, droit, vers le cœur du malaise tunisien.

Dans une bâtisse en rénovation, métaphore transparente d’un pays fracturé, tout vacille : les murs, les valeurs, les certitudes. Les critiques ont souligné la force de cette scénographie qui se dégrade au fil des scènes, comme si le décor lui-même portait la fatigue d’une société traversée par les crises. Ici, rien n’est figé : les objets bougent, tombent, se dispersent. Le chaos s’organise, les tensions montent, le rire surgit — mais un rire amer, chargé de désillusion.

Sur scène, les comédiens livrent une partition d’une précision chirurgicale. Le texte frappe fort, sans emphase : « Ils ont même corrompu le rêve » — phrase qui résonne comme un constat cru sur l’érosion des espoirs nés il y a plus d’une décennie. Et pourtant, le duo Baccar/Jaïbi refuse de céder à l’obscurité totale : derrière la noirceur, l’idée d’un renouveau demeure possible, non pas en retrouvant un rêve perdu, mais en en façonnant un autre.

La presse tunisienne salue l’audace du propos, la densité philosophique du texte et l’ambition esthétique de la mise en scène. Les critiques pointent la capacité de la pièce à interroger sans dicter, à sonder les failles sans condamner, à redonner une dignité au doute.

C’est un théâtre miroir, mais aussi un théâtre marteau : un art qui renvoie l’image d’un pays blessé tout en frappant aux portes de l’avenir.

En inaugurant ainsi sa nouvelle édition, les Journées de Carthage rappellent le rôle premier de la scène : un espace où l’on ose, où l’on questionne, où l’on se confronte au réel avec autant de poésie que de lucidité.

Un début magistral, à la hauteur d’un festival qui entend rester la conscience vibrante du monde arabe et africain.

Djamal Guettala 

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