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Quand les gyrophares masquent le mépris 

Véhicule de police en Algérie

Dans un pays où l’État de droit est vidé de sa substance juridique et morale par la suprématie du politique et la toute-puissance de l’Etat profond, l’abus de pouvoir se manifeste jusque dans les recoins de la vie quotidienne. Sur nos routes, les véhicules de service sont devenus le symbole parfait de cet abus d’un pouvoir qui exige tout, ne respecte rien et ne s’excuse jamais. 

Ces véhicules ne circulent pas ; ils foncent, ils s’imposent. Ils forcent le passage, balaient tout sur leurs chemins, et écrasent symboliquement ceux que le pouvoir est censé servir. 

Ils surgissent derrière vous comme un éclair. Tous feux allumés, gyrophares aveuglants et sirènes hurlantes, ils vous somment de disparaître, de vous effacer sur-le-champ. Aucun délai, aucun temps mort, aucune précaution. Vous n’avez même pas le temps ou l’espace nécessaire pour vous rabattre prudemment pour leur céder le passage. La brutalité de leur incivisme est telle qu’elle vous met dans un état de panique, vous contraint à des manœuvres précipitées, jusqu’à risquer l’accident — pouvant être fatal — dans le seul but de leur libérer la voie.

Souvent, aucune urgence réelle ne motive cette démonstration de force. Un comportement d’autant plus injustifiable qu’il ne répond souvent à aucune nécessité de service. Ce comportement ne s’embarrasse d’aucune considération pour les citoyens, et révèle au grand jour la véritable nature de tout régime autoritaire et ce qu’il s’efforce de masquer : son enclin à piétiner le principe d’égalité et l’Etat de droit.  

Le contraste avec les démocraties véritablement ancrées dans l’Etat de droit est saisissant. Ailleurs, les responsables de l’Etat ne cultivent ni la condescendance, ni fastes d’un protocole conçu pour flatter leur égo. Ils refusent les passe-droits, déclinent les privilèges que leur tend l’Etat profond soucieux de les asservir. Ils attendent au feu rouge, circulent sans escorte tapageuse, se déplacent parfois à vélo, sans bruit ni ostentation. Ils incarnent la retenue, le respect de la loi, et la conscience que le pouvoir n’autorise pas à écraser les autres, mais oblige à l’exemplarité.

Ici au contraire, la route devient le théâtre quotidien de la domination. Chaque cortège est une mise en scène du pouvoir absolu. Obliger les autres à se ranger sans sommation sur le bas-côté pour leur libérer la voie devient un rituel, Une forme de révérence des temps modernes, que l’on impose à ses sujets. 

C’est l’état d’esprit qui règne au sommet ; une violence arrogante, un mépris absolu pour la vie d’autrui. Aux yeux de ceux qui ont une parcelle de pouvoir, la vie des citoyens ne vaut presque rien. Elle n’a ni prix, ni sens. Elle peut être sacrifiée, à tout moment, sur l’autel de leur puissance et de leur impunité.

Qui parmi nous n’a pas vécu cette expérience humiliante ? Qui n’a pas ressenti cette peur soudaine, cette panique qui vous étreint quand les sirènes hurlent et que vous vous retrouvez sommé de dégager la voie sur-le-champ. Qui n’a pas eu ce sentiment de gêner, d’être en trop, simplement pour avoir eu l’audace d’emprunter l’espace public ? Cette pratique n’est ni exceptionnelle ni marginale ; elle est banalisée, presque institutionnalisée. A force de la subir, les citoyens finissent par intérioriser une forme de culpabilité absurde ; ils finissent de se croire fautifs ; fautifs d’emprunter les routes, fautifs de circuler à une « mauvaise » heure, fautifs d’exister là où ils n’étaient pas attendus.

Nous ne sommes pas seulement confrontés à des excès de comportement ou à des abus ponctuels. Ce que révèlent ces scènes de la route, c’est la conception autoritaire du pouvoir, profondément enracinée, qui ne voit dans la population qu’un obstacle à contourner ou un ennemi à tenir à distance.

Il est temps d’en finir avec cette culture politique de l’arrogance et de l’impunité. Il est temps de rappeler, avec force, que les routes appartiennent à tous, que la vie des citoyens a une valeur, et que le respect de chacun est le premier fondement d’un ordre juste. Ce combat commence là où commence toute démocratie digne de ce nom. L’égalité devant la loi, jusque dans les usages les plus ordinaires de l’espace public.

Hamid Ouazar, ancien député de l’opposition

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