Site icon Le Matin d'Algérie

Quand les jeunes d’At Yenni étaient l’ossature de la JS Kabylie

JSK
La JSK faisait vibrer les foules

Au milieu des années 70,  la Jeunesse Sportive de Kabylie évoluait en division ‘’Excellence’’ de handball qui était alors la deuxième division nationale d’Algérie (N2). Ses adversaires étaient le Mouloudia d’Alger, l’Usma, le Wab (Boufarik) etc, et ils avaient tous pris une rouste à Tizi-Ouzou et parfois même chez eux.

Inutile de vous dire que l’accueil qui nous était réservé hors de nos bases était plutôt ‘’chaud’’, sauf à Alger où nos inconditionnels venaient en nombre pour donner de la voix dès lors que le mot Kabylie était cité dans une rencontre sportive.

Nous étions généralement sur le podium mais, hélas, jamais promus. Je me souviens qu’à l’issue d’une saison fantastique (72 -73 de mémoire), alors que nous avions assuré notre montée en élite (N1) sur le terrain, un tour de passe-passe en fin d’exercice nous avait maintenus en N2 au bénéfice d’un savant calcul dont les paramètres étaient vraisemblablement pipés. Je crois que cette année-là, un club de la capitale avait été injustement promu. En tout cas, c’est ainsi que je l’avais vécu et inscrit définitivement en mémoire (avec un peu de chauvinisme… peut-être?).

L’amphithéâtre de nos exploits, c’était la cour du lycée polyvalent de Tizi-Ouzou car, en ces temps-là, le handball se jouait en plein air. Le meilleur terrain du pays était le stade Ouaguenouni à Alger. Les premières salles multisport n’ont vu le jour que quelques années plus tard (la salle Harcha et la Coupole du 5-Juillet). Le fait de jouer dans la cour du lycée nous garantissait un public certain tous les week-ends : les internes consignés (à croire que le ‘’surgé’’ était de mèche avec nous) et ceux, beaucoup plus nombreux, qui n’avaient pas les moyens de rentrer chez eux.

Des joueurs de  l’illustre équipe de football de l’époque se faisaient un devoir de venir en groupe nous encourager au gré de leur disponibilité. Ainsi, nous avions parmi nos supporters Driss Kolli, Arezki Kouffi, Mouloud Iboud, Smaïl Karamani et tant d’autres illustres noms. Inutile de vous dire que, ces jours-là, l’ambiance autour du terrain était démultipliée, la présence de ces stars y étant sans doute pour quelque chose.

Nos déplacements en car étaient assurés par la compagnie « Oumnia Hadj Arezki » grand président du club de Kabylie. Nos repas en déplacement étaient autant que possible pris dans des restaurants gérés par des Kabyles dans les villes d’accueil (rue Tanger à Alger par exemple). Bien sûr, ces gens-là ne faisaient pas commerce en nous recevant. Généralement, la note était sérieusement réduite pour aider le club. Ils nous faisaient sentir qu’ils étaient honorés de nous recevoir et leur carte nous était ouverte à souhait au grand dam de notre entraineur et diététicien de circonstance, Rachid Sedkaoui dit ‘’Minouche’’ en raison de ses yeux verts qui lui donnaient un regard malicieux de félin.

Il arrivait souvent qu’il y eût des sportifs issus de nos villages dans les clubs adverses (je citerai en exemple mon ami Akmoun Madjid qui évoluait alors à l’Usma, sans doute l’un des meilleurs joueurs de ce club). Pour tout l’or du monde je n’aurais souhaité être à leur place : quel déchirement cela pouvait être pour eux d’être dans les rangs de l’adversaire du jour !

Le handball étant un sport de contact, il nous arrivait de leur dire deux ou trois  mots ‘’gentils’’ durant le match, dans notre langue maternelle, du genre : ‘’espèce de vendu !’’, juste pour les déstabiliser. Bien entendu, cela ne durait que pendant le match et, dès le coup de sifflet final, quels que fussent l’intensité et le résultat de la joute, ils venaient nous rejoindre dans nos vestiaires comme pour nous rappeler, qu’au-delà du sport, ils étaient bien des nôtres et que leur loyauté était indéfectible… Et nous les accueillions comme tels, bien évidemment.

La particularité de cette équipe de la JSKabylie était qu’elle avait une ossature de jeunes (et moins jeunes) issus des At Yanni. C’étaient généralement d’anciens élèves du collège des Pères Blancs qui excellaient dans ce sport collectif grâce à l’apport inestimable du Père René Gayet qui avait vite compris que la cour du collège avait, à peu de choses près, les dimensions d’un terrain de handball. Il lui avait donc juste fallu concevoir deux cages (dont une en profitant de la disposition des piliers du préau) et, une autre, réalisée en soudant et scellant des profilés métalliques.

Avec ce semblant de terrain, un peu pentu de surcroît, le Père Gayet a su former des hordes de handballeurs. Tous les élèves du collège, dès la 7ème (CM2), sans être tous des athlètes, connaissaient les règles du handball. D’ailleurs, la première leçon de sport, dès l’entrée au collège, était : « les règles de jeu du handball à 7 ». Originaire de Chambéry, le Père Gayet avait dû être un bon handballeur dans sa jeunesse et, en bon prof d’éducation physique, il nous avait inculqué les valeurs de ce sport.

Il établissait un planning d’occupation de la cour (ou du terrain, si vous préférez), durant les pauses du déjeuner et du goûter, pour organiser des rencontres entre élèves de la même classe et de même niveau, de sorte que chaque élève puisse jouer au moins un match par semaine. Ces rencontres lui permettaient, du haut de son balcon, de faire ses détections pour former les deux équipes engagées dans le championnat d’Algérie.

Son système était infaillible et j’en veux pour preuve les résultats obtenus par ce petit collège de 5 classes et 150 élèves seulement : deux titres de champion d’Algérie scolaires (cadets en 1967  et minimes en 1969). De là à ce que les meilleurs finissent dans des clubs de haut niveau, il n’y avait qu’un pas que certains d’entre nous avaient su franchir allégrement.

Parmi mes coéquipiers au sein de la JSK, originaires d’At Yanni, je citerai: Velkacem Sakher,  Mamou Sefrani, Velkacem Ouggad, Mouhou Djender, Hamid Ibazizen, Ouidir C’rif, Madjid Ouazar… (que ceux que j’aurais involontairement omis veuillent bien ne pas m’en tenir rigueur).

Je n’oublierai pas de citer aussi les trois ‘’intégrés’’ : Hervé Miry, un des jeunes professeurs venus enseigner chez les Pères d’At Yanni, dans le cadre de leur service civil.  Mon ami Abdelkrim Hadj Arab, originaire des At Ouacifs donc interne au collège. C’était l’un des meilleurs gardiens de but qu’il m’ait été donné de rencontrer, un boute-en-train hors pair…et un bagarreur précieux pour les fins de matchs houleuses. Et, pour finir, Kamel Hamrène, interne au collège lui aussi et originaire de Maillot. Il était  la gentillesse faite homme, mais redoutable au tir de loin. Ces deux derniers sont hélas partis trop tôt.

Le vivier de handballeurs de haut niveau issus de cette minuscule cour d’école et des méthodes du Père Gayet était considérable. Pour preuve, il y avait aussi un groupe d’internes partis poursuivre leurs études dans les lycées et universités d’Alger qui avaient, de leur côté, formé une autre équipe (entraineur compris). Pareillement, ils avaient joué les premiers rôles dans la même division (Boutellis, Benmiloud, Bouhanik, Ahmed Ali, Bouferrache, Aïnouz, Bouzar, etc…). Celle-ci était parrainée par une entreprise étatique (‘’SNSempac’’, de mémoire).

Il est important de préciser ici que l’excellence était aussi, et avant tout, dans les résultats scolaires. Mais, sur ce point, la qualité de l’enseignement des Pères Blancs d’At Yanni n’était déjà plus à faire.

En ces temps-là, la JSK évoluait en vert et rouge et nos supporters scandaient à l’unisson, en français : « Annoncez les couleurs, vert et rouge sont les meilleures !!! ».

Mouloud Cherfi

Quitter la version mobile