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Quand l’État nage en pétrodollars, la société rame en dinars !

Pétrole

La manne pétrolière permet au pouvoir d'acheter un semblant de paix sociale.

L’Algérie, à la fois bénie par la richesse de ses sous-sols et confrontée à des défis économiques majeurs, illustre un paradoxe criant : l’État nage dans une mer de pétrodollars, tandis que les citoyens, eux, peinent à joindre les deux combats avec des dinars de plus en plus dévalués.

Ce processus complexe – où les recettes en devises fortes issues des exportations d’hydrocarbures se transforment en dinars locaux – joue un rôle central dans la crise économique qui secoue le pays.

Le processus de transformation des pétrodollars en dinars

Les pétrodollars font leur entrée dans l’économie algérienne sous forme de devises fortes – le dollar américain principalement, car le pétrole est vendu sur le marché international dans cette monnaie. Ces recettes sont disponibles par la Banque d’Algérie et les entreprises publiques, qui gèrent les exportations d’hydrocarbures. L’État, bien qu’ayant des réserves de change considérables, doit ensuite procéder à un échange de ces dollars en dinars pour financer les dépenses publiques, telles que les salaires dans le secteur public, les subventions sur les produits de base, ou encore les projets d’infrastructures.

Le problème majeur survient lorsque cette conversion est effectuée à un taux de changement officiel fixé par l’État, souvent bien plus favorable que la réalité du marché. Par exemple, bien que le dinar soit régulièrement dévalué par rapport aux devises étrangères, cette dévaluation ne reflète pas toujours la réalité du marché parallèle, où le dollar et l’euro se vendent à un taux beaucoup plus élevé. Cela crée une distorsion : l’État, par ses choix de politique monétaire, manipule la valeur du dinar à sa guise, mais cette manipulation profite rarement à l’économie réelle.

La dévaluation du dinar : un poids pour les citoyens

Le citoyen algérien, quant à lui, subit de plein fouet les conséquences de cette politique monétaire. Si l’État reçoit des pétrodollars à un taux de change favorable, l’inflation locale – alimentée par une dévaluation du dinar et une économie toujours trop dépendante des importations – grignote inexorablement le pouvoir d’achat des Algériens. En 2017, la dévaluation du dinar a fait perdre près de 30 % de sa valeur par rapport au dollar, rendant les produits importés beaucoup plus chers. Or, l’Algérie importe une grande partie de ses biens de consommation : alimentation, produits manufacturés, médicaments, etc.

Lorsque l’État injecte de l’argent dans l’économie via des projets publics ou des subventions, cela génère une demande accumulée pour ces biens, mais sans véritable valeur ajoutée locale. Résultat : les prix flambent et la monnaie locale perd de son pouvoir d’achat. Le citoyen qui touche un salaire en dinars voit donc la valeur de son revenu se diluer, alors même que ses dépenses quotidiennes augmentent. Pour les familles, en particulier celles des classes moyennes et populaires, l’impact est brutal. Les dépenses de nourriture et d’énergie, par exemple, deviennent de plus en plus difficiles à assumer, alors que la qualité de vie se dégrade.

Les subventions et leur impact

L’État, pour limiter la révolte sociale et maintenir une certaine stabilité, recourt à des subventions sur des produits de première nécessité, comme le pain, l’huile, ou les carburants. Ces subventions, en apparence généreuses, sont financées par les revenus pétroliers. Mais ces subventions sont souvent mal ciblées et profitent davantage aux segments de la population déjà favorisés qu’aux plus démunis. De plus, elles ont pour effet de maintenir la dépendance à l’importation de biens au lieu de stimuler une production locale. Les recettes pétrolières, au lieu de servir à diversifier l’économie ou à investir dans l’éducation et la santé, alimentent donc un système clientéliste qui engendre des inégalités.

Le rôle des entreprises publiques et la gestion de l’argent public

En parallèle, l’État algérien, par le biais des entreprises publiques, tente de maintenir une certaine activité économique interne. Cependant, nombre de ces entreprises sont inefficaces, peu compétitives, et souvent engluées dans des pratiques de corruption et de mauvaise gestion. Alors que les pétrodollars pourraient être investis pour stimuler des secteurs productifs, ils sont souvent engloutis dans des projets mal conçus ou des investissements non rentables. Les entreprises publiques, malgré des centaines de milliers de travailleurs, continuent de générer des pertes, drainant ainsi les ressources de l’État et aggravant la crise économique.

L’État nage dans les pétrodollars, mais à quel prix ?

Dans ce contexte, l’État continue de « nager » dans les pétrodollars : ses réserves de change, bien qu’en baisse depuis 2014, restent relativement importantes, et il a recours aux emprunts sur les marchés financiers pour compenser les déficits budgétaires. Cependant, cette richesse est mal utilisée, pour ne pas dire mal gérée. L’État algérien reste fondamentalement dépendant de l’industrie pétrolière, et de la chute des prix du pétrole, en 2014, ce qui met en évidence la fragilité de ce modèle. Bien que le pays conserve encore une partie de ses réserves en devises, ces dernières sont insuffisantes pour soutenir un développement à long terme.

La société rame avec des dinars

Le citoyen, de son côté, n’a pas accès à ces pétrodollars. Il doit composer avec un dinar qui perd de sa valeur chaque jour, face à une inflation galopante et un marché de l’emploi de plus en plus bouché. Le chômage des jeunes diplômés, qui dépasse les 30 %, est l’un des symptômes les plus visibles de cette crise. Bien que des efforts aient été faits pour diversifier l’économie et stimuler l’entrepreneuriat, l’Algérie reste un modèle de dépendance aux hydrocarbures. Ceux qui ne peuvent pas accéder à un emploi public ou à des ressources en dispositifs se retrouvent exclus du système économique, et leur quotidien devient chaque année plus difficile.

Les Algériens, donc, continuent de « ramer » avec leurs dinars, tandis que l’État nage en pétrodollars, mais sans véritable perspective de prospérité pour les générations futures.

Conclusion

L’Algérie, malgré sa richesse pétrolière, reste piégée dans un modèle économique qui ne profite pas aux masses. Les pétrodollars, loin de se transformer en développement durable, alimentent un système économique inégalitaire, où les citoyens doivent se contenter de dinars dévalués pendant que l’État gère ses réserves de changement de manière inefficace. L’enjeu majeur de demain pour l’Algérie sera de sortir de cette dépendance au pétrole, de diversifier son économie et d’assurer une redistribution plus équitable des ressources. Tant que l’État continue de « nager » dans ses pétrodollars sans remettre en question sa gestion, la société continue de « ramer », avec des dinars qui n’ont plus de valeur.

« Un pays riche en ressources naturelles peut se condamner à une pauvreté durable s’il ne transforme pas sa richesse en un capital humain et productif, plutôt qu’en une rente qui nourrit l’inégalité. »

– Amartya Sen, économiste et prix Nobel de la paix.

Dr A. Boumezrag

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